La Commune!…

Ah! je l’attends je l’attends… depuis septembre!

Et aujourd’hui, dimanche 26 mars, après encore de longs atermoiements des maires d’arrondissements — pendant lesquels, à Versailles, Thiers et ses sbires n’ont pas chômé — enfin, on élit la Commune.

Aujourd’hui, Eugénie Desjardins, le journaliste Edgar Monteil, du Rappel, et un assesseur dont l’histoire n’a pas retenu le nom, nous racontent des moments de cette journée — et quelle journée! celle qui a fait l’objet de l’article « Quelle journée! », de Jules Vallès dans Le Cri du peuple, si vous ne l’avez pas lu, courez-y! J’ajoute quelques mots de Lissagaray, pour conclure.

Les interventions signalées (ou signées) [ma] sont inédites et ont été rédigées par moi (M. A.).

Rue Saint-Yves. — On m’appelle la Picarde mais mon nom c’est Eugénie Chilly, femme Desjardins. Et mon homme c’est François Bufferne. Il est du 84e. Ça fait des années qu’on est ensemble. J’ai trente-sept ans, j’en avais vingt-huit. Non, on est pas mariés, mais, je vais vous dire, le mariage, c’est un piège, pour les femmes. J’en ai épousé un, j’étais jeunette, je ne savais pas, il m’a fait mettre en prison pour adultère. Vous vous rendez compte? Trois mois, que j’ai passés, à Saint-Lazare. Pendant ce temps, lui, il s’est fait la malle avec sa maîtresse. Bon, il est mort, n’en parlons plus. J’espère quand même que, maintenant qu’on a la Commune, les femmes, elles vont pouvoir divorcer. Moi, j’en épouserai pas un autre. Je veux être libre. Nous deux Bufferne, on est pour les sentiments, pas pour les héritages.
Aujourd’hui, je vais au bureau de vote. Faut expliquer aux citoyens pour qui il faut voter. Yen a des, faut tout leur dire. Mais avant ça, je vais mettre ce drapeau rouge sur le toit de mon immeuble. [ma]

Rue Clauzel. — Ça y est, j’ai voté, je sors juste du bureau. Je ne vous dis pas pour qui!
Mais je peux vous dire que ça n’a pas été simple. D’abord, il y avait tellement de monde que j’ai fait la queue un bon quart d’heure. Puis, quand mon tour est arrivé, j’ai du avouer que j’avais égaré ma carte électorale, mais que j’avais apporté une enveloppe avec mon adresse. Mais ce n’était pas assez. On m’a demandé une attestation de deux citoyens. J’en ai trouvé deux. Me voilà en règle, ai-je cru. Mais non! L’un des deux signataires n’était pas de l’arrondissement. J’ai dû redemander le même service à deux autres citoyens, après m’être assuré que tous deux étaient bien du neuvième arrondissement.
Et enfin j’ai pu voter! Alors là, citoyens! Bravo! Je vais raconter combien strictement vous veillez à la sincérité du vote! Oui, dans mon journal. Ah, vous ne saviez pas? Je suis journaliste. Je fais la journée dans le Rappel. Edgar Monteil, c’est mon nom. [ma]

Mairie de Belleville. — Ah! Ce qu’on a vu et entendu aujourd’hui! Les discussions des femmes, pour le secret du vote, qu’est une conquête démocratique, disait l’une, aujourd’hui le secret il joue contre le peuple, disait une autre. Après quoi toutes deux essayaient de savoir pour qui avait voté tel ou tel notable du quartier. Et elles proposaient à boire à tout le monde, un coup d’not’pinard.
Le cul-de-jatte sur roulettes qui ne pouvait pas mettre lui-même son bulletin dans l’urne, placée trop haut, et qui ne voulait pas qu’on le porte, ce n’est pas un bébé, on l’a posée par terre près de lui.
Tous ceux qui se sont sentis obligés de faire un commentaire que bien sûr ils avaient préparé depuis un moment,
— Pour que le peuple devienne intelligent.
— Pour que les rois et les prêtres crèvent de faim.
— Pour la royauté du travail! (un internationaliste du quartier, celui-là).
— Pour ne plus retrouver mon patron.
— Pour tuer Dieu.
Et alors, le curé de Saint-Jean-Baptiste: — Une caresse pour Marianne. [ma]

Quelques mots et quelques nombres, de Lissagaray (« Le bulletin a remplacé le chassepot », c’est de lui):

Le projet Picard n’attribuait à Paris que soixante conseillers, trois par arrondissement, quelle que fût sa population; les cent cinquante mille habitants du XIe n’étaient pas numériquement plus représentés que le XVIe avec quarante-cinq mille. Le Comité central avait décrété qu’il y aurait un conseiller par vingt mille habitants et par fraction de dix mille, quatre-vingt-dix en tout.
[…]
L’adhésion, la convocation des maires firent voter les quartiers bourgeois. Les élections devenaient légales puisque les fondés de pouvoir du gouvernement les avaient consenties. Deux cent quatre-vingt-sept mille votèrent, beaucoup plus relativement qu’aux élections de février.
[…]
Scrutin sincère d’un peuple libre. Ni police ni intrigues aux abords des salles. « Les élections se feront aujourd’hui sans liberté », télégraphia encore M. Thiers. La liberté fut tellement absolue que beaucoup d’adversaires du Comité central furent élus, que d’autres eurent des minorités très fortes, Louis Blanc, 5680 voix, Vautrain 5133, etc., qu’il n’y eut pas une seule protestation.

Retrouvez le résultat de cette élection dans un article ancien de ce site!

*

J’ai bien sûr déjà « montré » la plus célèbre affiche du Comité central (dans cet article), mais je ne crois pas l’avoir publiée en entier. La voici, telle que je l’ai copiée sur le site d’affiches anarchistes ficedl:

Livre cité

Lissagaray (Prosper-Olivier)Histoire de la Commune de 1871, (édition de 1896), La Découverte (1990).

Cet article a été préparé en août 2020.