Ce matin, à la une du Cri du peuple (daté de demain), d’abord les « Dernières nouvelles »:

Au moment de mettre sous presse, on vient nous annoncer que M. Darboy, archevêque de Paris, aurait été arrêté sous l’inculpation de complot contre la sûreté de l’État.

Un officier nous écrit que les gardes nationaux du fort de Vanves ont pris une mitrailleuse aux insurgés. [On est tous l’insurgé de quelqu’un???]

Le plateau de Châtillon, qui avait été abandonné dans la matinée, a été répccupé hier soir.

On nous raconte que Flourens aurait été assassiné par les sbires de Versailles. Voici le récit qui nous est affirmé:

Flourens, à la tête de ses hommes, se serait avancé témérairement. Aussitôt entouré et reconnu, il aurait été traîné à terre. On lui aurait tranché la tête et ensuite tiré des coups de fusil.

Nous marchons en avant, tout se réorganise. Le moral des troupes est excellent.

Le bruit court que les généraux Henry et Duval, faits prisonniers, auraient été fusillés par les sergents de ville.

Ils sont tombés fièrement aux cris de: VIVE LA RÉPUBLIQUE! VIVE LA COMMUNE!

Ces nouvelles, plus ou moins (plutôt moins) vraies, appartiennent à l’actualité journalistique. La note optimiste entre les morts de Flourens (pas comme ça, mais il est bien mort) et de Duval (que font là les sergents de ville? sur sa mort, voir notre article d’hier) appartient, aussi, à la propagande « militaire ».

Tout ceci va très bien avec l’affiche de Jules Bergeret que j’ai utilisée en couverture et qui vient du musée Carnavalet.

L’éditorial de Jules Vallès, dont quelques extraits suivent, illustre les illusions que se faisaient les communards au début de cette guerre civile.

Il faut choisir

Le drapeau blanc contre le drapeau rouge: le vieux monde contre le nouveau! La dernière étreinte! Qui triomphera, des neveux de Hoche ou des petits-fils de Cathelineau?

C’est le drapeau blanc qui a couvert les soldats infâmes. Le drapeau rouge qu’ont défendu les soldats honnêtes!
Le drapeau rouge: il flotte au-dessus de deux cents bataillons fédérés, vainqueurs dans Paris. De ces deux cents bataillons, il ne s’est pas détaché, depuis quinze jours de victoire, un seul homme qui ait compromis les idées de vertu. Il n’y a pas eu un crime commis, il n’y a pas eu, dans ce cahos [sic, chaos plutôt que cahot!] glorieux, une femme insultée, un pain volé, un ennemi meurtri.
[…]
On s’est avancé devant des bataillons qui criaient: « Nous sommes des frères » et qui levaient la crosse en l’air! Par deux fois, aujourd’hui et hier, les fusils ont trahi et on a assassiné les Parisiens qui croyaient à la fraternité! — Par deux fois: à Neuilly et à Châtillon!

Il faut en finir!

Qu’en dites-vous, ô hommes de tout rang et de toute classe, faubouriens du vingtième arrondissement ou bourgeois du deuxième!
Paris ne peut être impunément massacré ni déshonoré!

Il faut en finir!

Pour cela, il y a deux chemins à suivre!
Il y a aller à Versailles ou bien rester à Paris!

Si l’on va à Versailles, il faut y aller comme un torrent!
Que tout Paris se mette en branle, et que les femmes suivent les hommes, que les enfants suivent les mères, que les quatre-vingt-douze de la commune soient au milieu.
En avant!
Ils parlaient d’une poignée de rouges! Voilà un million de têtes!
En avant!
[…]

Pas d’escarmouches, à bas la stratégie. Je ne crois qu’à toi, ô Révolution.

Il y a à choisir: levée en masse, marche sur Versailles; l’inondation — ou bien, on traite — avec le monde! — PARIS LIBRE!
Il faut se hâter de choisir.

Versailles prisonnier, ou Paris ville libre!
Il n’y a pas à sortir de là.
[…]

Qu’on prenne une résolution suprême! Et en attendant veillez, gardes nationaux de Paris! veillez sur la cité!
N’avancez pas, ne reculer point! soyez des soldats, vous qui pouvez être des héros!

Veillez! et que la Commune décide!

Jules Vallès

Nous retrouverons malheureusement le « pas de stratégie » quand les versaillais seront entrés dans Paris en mai. Mais nous sommes le 5 avril et, non, ce ne sont pas des escarmouches, comme on le lit encore souvent, mais c’est bien une guerre sans merci qui a commencé.

Avant d’arriver à la séance de la Commune de ce soir, qui ne commencera qu’à dix heures, arrêtons nous un instant à la lecture d’un article du Journal officiel de ce matin, paru dans la « Partie non officielle », mais quand même signé d’un élu du huitième arrondissement. Vous souvenez-vous du gymnase Triat? Et d’Hippolyte Triat? Eh bien, les revoici!

Corps des gymnastes

Il est établi, sous la direction et le commandement du citoyen Hippolyte Triat, gymnasiarque, un corps spécial de gymnastes, destiné à former des professeurs de gymnastique civile et militaire pour les écoles et pour les armées citoyennes.

Les élèves devront être âgés de seize à vingt ans.

Ils sont admis et inscrits dès à présent au gymnase Triat, avenue Montaigne, 55, et seront immédiatement exercés à différents cours de gymnastique proportionnels à leur âge.

Aux effets de l’organisation régulière et de l’administration du corps des gymnastes dont s’agit, il sera fondé un gymnase-école, pour lequel la caserne de la Pépinière est dès à présent et provisoirement attribuée.

Les élèves du gymnase-école seront choisis parmi tous les élèves de 16 à 20 ans, dont les dispositions et les aptitudes au professorat auront été reconnues.

Se faire inscrire dès à présent au gymnase Triat, avenue Montaigne, 55, Champs-Elysées, où les élèves trouveront l’indication des cours, qui vont être immédiatement commencés.

Ces cours, étant faits sous le patronage de la municipalité du 8e arrondissement, seront entièrement gratuits.

Le maire du 8e arrondissement, Jules Allix.

Tous deux, Jules Vallès et Jules Allix, se retrouvent le soir, à 10 heures, à l’Hôtel de Ville. Parisel préside la séance. Vallès est bien là puisqu’il est assesseur. On nomme six membres pour représenter la Commune à l’enterrement des gardes nationaux assassinés par le gouvernement de Versailles. On se préoccupe des orphelins. On débat (encore) des situations respectives de la Commune et du Comité central, et le citoyen Delescluze dépose sur le bureau un projet de décret. Il demande l’urgence et le décret est voté à l’unanimité.

Parmi les nombreuses décisions de la Commune qui ne seront jamais appliquées, c’est celle qui lui fera le plus de mal: il s’agit du décret des otages, que je ne vais pas recopier mais que vous pouvez aller lire dans le procès verbal de la séance  ou dans un article ancien de ce site. En bref, révoltés par les assassinats de prisonniers, les élus décident que chaque nouvelle exécution sera suivie d’un nombre triple d’exécutions de partisans de Versailles.

Et pendant ce temps, dans le onzième arrondissement, un sous-comité de la garde nationale prépare une grande fête contre la peine de mort pour demain matin. Dont j’ai déjà parlé dans encore un article ancien de ce site. Et que j’évoquerai rapidement demain.

Cet article a été préparé en novembre 2020.