Le 6 avril 1871, à la mairie du onzième arrondissement, il se passe pas mal de choses… dont je retiens

  • on rédige des actes d’état civil, naissances, mariages, décès — comme je l’ai expliqué dans un ancien article, ces actes ont bientôt été « bâtonnés », ce qui les a annulés, mais ne les empêche pas d’être lisibles,
  • un sous-comité de la garde nationale et des gardes d’un bataillon brûlent publiquement « la » guillotine devant la mairie — et c’est une fête.

Sur ce fait, cette fête, je renvoie à un des premiers articles publiés sur ce site. J’ajoute une petite curiosité: les journaux qui ont rendu compte de cet événement et qui, bien sûr, n’avaient pas tous un journaliste présent, et qui, bien sûr, se sont copiés les uns les autres, ont écrit que le bataillon qui était allé chercher la guillotine était le 137e. Or le 137e était un bataillon du 10e, ce qui rendait la chose incroyable. Les mêmes articles confondaient Folie-Méricourt et Folie-Regnault… Je n’ai donc pas hésité à corriger et à remplacer 137e par 237e — ce dernier était bien un bataillon du onzième! Je l’ai fait dans l’article déjà mentionné, puis dans Comme une rivière bleue. J’en ai ensuite discuté assez longuement avec Maxime Jourdan et nous avons tous deux cherché… des preuves. Sans en trouver d’autre que notre intime conviction. Et la possibilité, suggérée par Maxime, que 130e était plausible aussi: dans une casse d’imprimerie, le 7 et le 0 sont proches…

Dans Comme une rivière bleue, j’avais insisté, ce matin-là, celui du 6 avril, sur les mariages que célébrait Augustin Verdure, membre de la Commune, élu du onzième chargé de cette tâche.

Aujourd’hui, ce sont les décès que je vais considérer, en commençant par regarder le registre des décès de cet arrondissement, à cette date.

Cela commence, à neuf heures du matin, par l’acte 3828, qui nous apprend la mort d’un enfant de onze mois. Sur les vingt-huit actes de cette journée, huit concernent des enfants en bas âge… C’est aussi ça, la vie, dans un arrondissement populaire, cette année-là.

Les vingt autres morts ont dix-huit ans et plus. Le plus âgé est un tailleur de quatre-vingt-sept ans.

Ce sont… sept femmes et treize hommes.

Ma conscience professionnelle m’interdit de tirer des conclusions statistiques de nombres aussi petits. Mais elle ne m’interdit pas de chercher d’autres sources d’informations. Ni de monter la rue de la Roquette jusqu’au cimetière du Père-Lachaise où, justement, ce jour-là, le 6 avril, le cimetière ouvre une « tranchée des victimes » — victimes de la liberté, est-il précisé, dans un raccourci étrange — dans la 89e division. Y sont inhumées des victimes de la sortie torrentielle (voir nos articles des 3 et 4 avril) — des gardes nationaux qui ont été ramenés à Paris. Une cinquantaine de corps entre le 6 et le 9 avril. Dont cinq des nôtres, du registre du onzième. Les autres viennent d’autres arrondissements ou leur décès a été déclaré un autre jour que le 6.

Ces cinq hommes retirés de notre registre, restent sept femmes et huit hommes.

Plutôt que les retirer, je vais au contraire les conserver et écrire leurs noms.

  • Ferdinand Étienne Trolet était journalier, né à Belleville, avait 18 ans, il est mort le 4 avril, 50 rue Servan — sans doute était-il toujours Bellevillois, en tout cas les amis, âgés de 23 et 29 ans, qui ont déclaré son décès l’étaient. Il a été inhumé le 6.
  • Jules Ernest Turquin était tourneur en fer, né à Belleville, avait 22 ans, il est mort le 4 avril, 7 avenue Parmentier (ma fréquentation du registre m’a appris qu’il s’agissait, près de la mairie, d’une ambulance). Il a été inhumé le 6.
  • Louis Laurent était bijoutier, il avait 53 ans, il est mort le 5 avril, chez lui, 27 rue de la Forge-Royale. C’est son fils, également bijoutier, qui a déclaré le décès. Rien dans l’acte de décès ne laisse deviner qu’il s’agit d’une victime de la guerre. Il a été inhumé le 7.
  • Pierre Jean Babet était maréchal ferrant, il avait 49 ans, il est mort le 3 avril chez lui, 64 Faubourg du Temple. Même remarque. Il a été inhumé le 6.
  • Louis Alexandre Richard était ciseleur, il avait 29 ans, il est mort le 4 avril, 7 avenue Parmentier (ambulance, donc). Il a été inhumé le 7.

Son acte de décès, portant le n° 3055, a été le dernier inscrit dans le registre ce 6 avril à trois heures trois quarts.

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Par cet article, je voulais — aussi — montrer comme il est difficile de dénombrer les morts de la guerre de Versailles contre Paris. Par exemple, dans l’état civil, beaucoup d’entre eux sont déclarés morts à leur domicile. Si je n’avais pas vu le registre du cimetière, comment pourrais-je savoir qu’il s’agit de morts de la guerre?

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Comme je ne me lasse pas de la mairie du onzième arrondissement, voici encore une illustration de l’incinération de la guillotine, celle-là parue dans l’Illustrated London News, mais que j’ai copiée dans le livre de Dayot, sur Gallica, là.

Livres utilisés

Audin (Michèle)Comme une rivière bleue, L’arbalète-Gallimard (2017), — La Semaine sanglante. Mai 1871, Légendes et comptes, Libertalia (2021).

Dayot (Armand), L’Invasion, Le siège, la Commune. 1870-1871. D’après des peintures, gravures, photographies, sculptures, médailles autographes, objets du temps, Flammarion (s.d.).

Cet article a été préparé en mai 2020.