Le 30 avril, à l’Hôtel de Ville, il y a deux réunions de l’assemblée communale et quatre moments. Avant d’en sélectionner un, en voici la liste:

  • La Commune reçoit une délégation de l’Alliance républicaine des départements
  • revenue en séance, elle se déchire sur divers motifs personnalisés mais qui tous sont liés à la publicité des séances
  • la réunion se conclut en comité secret.
  • Au cours de la deuxième réunion, on vote sur le Comité de salut public.

J’ai déjà parlé de la question du Comité de salut public dans des articles anciens (ici, pour aujourd’hui et , pour demain). Nous n’avons pas de procès verbal de la réunion en comité secret mais nous en verrons les décisions dans notre article de demain 1er mai.

Pour aujourd’hui,  je vais parler de la réception de l’Alliance républicaine des départements, qui touche le sujet crucial de l’isolement de la Commune. J’utilise le compte rendu qui est dans le recueil des procès verbaux (les pages du 30 avril sont en ligne, ).

L’Alliance républicaine des départements s’est réunie à une heure place du Louvre, elle a formé un bureau, adopté une résolution, et choisi des délégués (en grand nombre) pour la porter à la Commune. Jusque là, tout est standard! Moins standard, la Commune a interrompu sa séance et a reçu les délégués dans la cour d’honneur de l’Hôtel de Ville. C’est Jean-Baptiste Millière qui a lu la résolution que voici (dans cet article, les citations sont en vert):

ALLIANCE RÉPUBLICAINE DES DÉPARTEMENTS

Assemblée générale des citoyens nés en province et résidant à Paris, réunis au nombre de 100.000 dans la cour du Louvre, dimanche 30 avril 1871.

RÉSOLUTlON

Considérant qu’après avoir sacrifié la France aux intérêts de leurs partis politiques et cléricaux et de leur ambition personnelle, ces hommes, qui s’étaient chargés de la défense nationale, ont voulu étouffer dans Paris l’esprit d’indépendance qui ne leur permettait pas de jouir du fruit de leur trahison;

Qu’à cet effet, la majorité monarchiste de l’Assemblée nationale et son pouvoir exécutif ont provoqué la population parisienne et l’ont fait attaquer par des chefs bonapartistes, complices du crime de décembre [1851]

Que le gouvernement de Versailles, en faisant recommencer, avec plus de barbarie que les Prussiens, le bombardement de Paris par des généraux bonapartistes qui font assassiner les prisonniers désarmés, renouvelle contre la France tout à la fois les horreurs de la guerre étrangère et du coup d’État;

Que, tandis que le gouvernement lui fait une guerre atroce, Paris, parfaitement calme à l’intérieur, se défend avec l’héroïsme du courage et de la loyauté, pour maintenir, dans l’intérêt de la France entière sans aucune prééminence:

1° La République une et indivisible, seul gouvernement capable de mettre fin aux révolutions violentes;

2° Et l’indépendance de la commune, garantie des droits individuels;

Déclare,

Qu’elle renouvelle solennellement son adhésion à l’œuvre patriotique de la Commune de Paris, et qu’elle adjure les bons citoyens dans chaque département d’apporter à Paris l’appui moral, et, dans la mesure du possible, un concours effectif pour aider la capitale dans sa revendication de nos droits nationaux et municipaux.

Pour l’assemblée générale :
Les membres du bureau.

Pour comprendre ce qui se joue là, il faut avoir en tête que — suite d’un exode rural et des grands travaux réalisés à Paris sous l’empire — la plus grande partie des ouvriers parisiens, soit sont nés « dans les départements », soit y ont de la famille proche.

C’est Gustave Lefrançais qui répond, au nom de la Commune:

Citoyens, hier nous avons eu la joie de recevoir ici les représentants de toutes les loges maçonniques et de voir acclamer, comme vous venez de le faire aujourd’hui, la République universelle, reconnue en quelque sorte dans la Commune de Paris.

Aujourd’hui, citoyens, vous venez plus spécialement, au nom de la France entière, dont vous êtes les représentants départementaux, faire acte d’adhésion à cette même Commune. Il faut enfin que Versailles le sache: la Commune de Paris n’est pas seulement l’expression des volontés d’un groupe, d’un parti parisien; la Commune de Paris, reprenant les grandes traditions de 93, représente la Révolution française tout entière. Merci donc à vous, citoyens, d’être venus nous apporter votre adhésion. Vous avez un grand acte immédiat à faire. Votre adhésion à la Commune de Paris signifie que désormais vous n’avez plus rien en commun avec le parti qui siège à Versailles. (Bravos prolongés.)

Votre adhésion à la Commune de Paris, pour se traduire en un acte officiel et réel, doit avoir pour conséquence, citoyens, la sommation, pour chacun des départements que vous représentez, à ceux qui se disent encore d’une façon mensongère et hypocrite les délégués du suffrage universel, et qui n’ont pas honte de mitrailler la capitale de la France, mieux encore le siège de la révolution européenne et le représentant de la civilisation au XIXe siècle; il faut, dis-je, que vous fassiez sommation à tous vos représentants d’avoir à se démettre immédiatement d’un mandat qui est rempli depuis longtemps, et vous savez, citoyens, de quelle façon il l’a été; il faut que vous les sommiez, sous peine de trahison envers la France, envers l’humanité entière, d’avoir à déposer de suite ce mandat, qui n’a plus raison d’être et qui ne signifie plus, à l’heure qu’il est, que ruines et destruction. (Bravos! Très bien!)

Faire pression sur les députés des départements. Pour qu’ils déposent « immédiatement leur titre de député aux ports de Paris ». Millière exprime la communion de sentiments et d’idées de l’Alliance avec la Commune. Et le fait que la recommandation a déjà été exécutée. Il lit le manifeste adressé en province, dont j’extrais:

Unissez-vous à nous, pour dire à l’Assemblée que son mandat a expiré et qu’elle n’a plus lieu d’exister, pour crier au gouvernement: Assez de sang! assez de crimes! N’attentez plus à la liberté de la grande cité, qui depuis si longtemps combat et souffre, non seulement pour son salut, mais encore pour celui de la France entière.

L’un s’exprime au nom de l’Alsace et de la Lorraine, le citoyen Beslay, qui est breton, regrette qu’il n’y ait pas de Breton parmi les délégués, mais il y en a un (ouf), et le citoyen Charles Gérardin dit qu’il est le seul Alsacien membre de la Commune et déclare:

Soutenons donc la Commune, et nous y trouverons la liberté entière, la libération de l’Alsace et de la Lorraine, livrées si misérablement par les lâches qui siègent à Versailles. 

Et Lefrançais conclut:

Espérons qu’avant peu, citoyens, nous fêterons la grande fête de la République française. (Bravos prolongés.)

*

J’ai trouvé l’affiche appelant au meeting à La Contemporaine.

Livre utilisé

Bourgin (Georges) et Henriot (Gabriel)Procès verbaux de la Commune de Paris de 1871, édition critique, E. Leroux (1924) et A. Lahure (1945).

Cet article a été préparé en novembre 2020.