Le 17 mai, le Conseil fédéral de l’Association internationale des travailleurs se réunit. Il discute certainement de la situation en général. Les deux seuls membres de la Commune présents sont Auguste Serraillier (et non pas Léo Frankel, comme je l’ai écrit par erreur dans les Écrits de Varlin) et Albert Theisz. Il nous en reste une résolution.
Une réunion extraordinaire du conseil fédéral aura lieu le samedi 20 courant, à une heure précise, pour juger la situation actuelle.
Les membres de la Commune qui font partie de l’Internationale sont convoqués pour cette séance.
Ils auront à y répondre de leur conduite à l’Hôtel-de-Ville, et seront interrogés sur les motifs de la scission qui s’est produite au sein de la Commune.
Les membres adhérents pourront, sur la présentation de leurs livrets, assister à cette réunion.
Les citoyens Léo Frankel et Serraillier, délégués de sections et présents à la séance, ont voté la proposition.
C’est une convocation pour une réunion le 20 (aujourd’hui). Et c’est tout ce que nous trouvons dans le recueil des comptes rendus. Mais ce n’est pas tout ce qu’a fait la réunion du 17, puisqu’on lit dans les journaux (Le Rappel du 21 mai, Le Cri du peuple daté du 22 mai) cette annonce peu connue — pour ma part, je l’ai découverte en préparant cet article :
DÉLÉGATION DU CONSEIL FÉDÉRAL DES SECTIONS PARISIENNES AUPRÈS DE LA COMMUNE.
Nommée par le Conseil fédéral pour soumettre à la Commune le résultat des travaux de toutes les sections parisiennes, la commission prévient les internationaux qu’elle se tiendra en permanence, provisoirement, 6, place de la Corderie, tous les jours, de une heure à six heures.
Les sections sont invitées à remettre, dans le plus bref délai, à la commission toutes les propositions, soit individuelles, soit collectives qu’elles jugeraient utiles de présenter à l’approbation de la Commune.Paris le 18 mai 1871
Par ordre:
Le secrétaire provisoire de la délégation,
J. Nostag
Non seulement, les élus à la Commune devront répondre de leur conduite, mais en plus les sections pourront faire des propositions à la Commune.
Et puis il y a la réunion du 20 mai. C’est Bastelica qui préside cette séance. Une trentaine de sections sont représentées. Six membres de la Commune sont présents, Augustin Avrial, Albert Theisz, Auguste Serraillier, Leo Frankel, Charles Ostyn (signataires du manifeste de la minorité) et Jacques Durand (qui a voté avec la majorité). Cela n’apparaît pas dans l’édition en volume des procès-verbaux de séances, mais le Journal officiel du 24 mai le dit: Johannard, Malon et Varlin se sont fait excuser. Le Conseil fédéral adopte la résolution suivante:
Ouï les explications des citoyens de l’Internationale, membres de la Commune; appréciant la parfaite loyauté des motifs qui ont présidé à leur action, les invite, tout en sauvegardant la cause des travailleurs, à faire tous leurs efforts pour maintenir l’unité de la Commune, si nécessaire au triomphe de la lutte contre le gouvernement de Versailles.
Le conseil fédéral les approuve d’avoir réclamé la publicité de ses séances, la modification de l’article 3 qui institue le comité de salut public, lequel rend impossible tous contrôles sur les actes du pouvoir exécutif, autrement dit de ce comité de salut public et des délégations.
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Les autres informations que je veux vous donner avant que, demain, nous ne l’éviterons pas, les versaillais entrent dans Paris, les voici.
Une annonce qui paraît dans la partie officielle du Journal officiel du 22 mai, sans date et entre d’autres annonces datées du 21 mai, que j’ai déjà publiée dans un article ancien.
Le délégué de la Commune à l’enseignement
ARRÊTE:
Une commission est instituée pour organiser et surveiller l’enseignement dans les écoles de filles.
Elle est composée des citoyennes André Léo, Jaclard, Périer, Reclus, Sapia.
Le membre de la Commune, délégué à l’enseignement,E. VAILLANT
Elle date peut-être du 20 mai. Parce que, selon Maxime Vuillaume, il y a eu le 21 un déjeuner « chez Vaillant » — c’est-à-dire au « ci-devant ministère de l’instruction publique », 110 rue de Grenelle — réunissant justement, outre Vuillaume et Vermersch, les citoyennes mentionnées dans cet arrêté, sans doute « pour fêter ça ». En parlant d’enseignement, la cerise sur le gâteau annoncée paraît dans le Cri du peuple daté du 22 mai, celui qui paraîtra demain matin dimanche:
La Commune de Paris (commission de l’enseignement), considérant que le traitement des instituteurs a été, jusqu’à la Révolution du 18 mars, dérisoire, a, dans sa séance du vendredi 29 floréal, décidé:
1° Le traitement minimum des aides instituteurs est élevé à 1,500 fr.
2° Celui des directeurs à 2,000 fr.
Considérant, en outre, que les exigences de la vie sont nombreuses et impérieuses pour la femme autant que pour l’homme;
Et qu’en fait d’éducation, le travail de la femme est égal à celui de l’homme, elle a décidé:
Que le traitement des institutrices sera le même que celui des instituteurs, soit 1,500 fr. pour les aides-institutrices, 2,000 fr. pour les directrices.
Juste à temps pour entrer dans « la légende dorée de la Commune »… Comme ça on pourra dire que la Commune a décidé « à travail égal salaire égal« . Sauf que… ce n’est pas la Commune, mais la commission de l’enseignement. La Commune, elle, n’en a jamais parlé, dans aucune de ses séances, même pas le 19 mai. Si vous ne me croyez pas, regardez les procès-verbaux, qui sont là, et plus précisément celui du vendredi 19 mai. Et puis, c’est seulement pour les enseignantes.
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L’image de couverture, magnifique illustration de la prise d’une barricade, estampe d’après un dessin de Daniel Vierge (au musée Carnavalet), c’est pour demain ou après-demain, car, nous le savons, c’est bientôt fini. Quant à savoir si eux, qui, dans cet article, s’occupent de démocratie ou d’enseignement, en étaient conscients…
Livre cité
Varlin (Eugène), Eugène Varlin, ouvrier relieur 1839-1871, Écrits rassemblés et présentés par Michèle Audin, Libertalia (2019).
Les séances officielles de l’Internationale à Paris pendant le siège et pendant la Commune, Lachaud (1872).
Vuillaume (Maxime), Mes Cahiers rouges, édition intégrale inédite présentée, établie et annotée par Maxime Jourdan, La Découverte (2011).
Bourgin (Georges) et Henriot (Gabriel), Procès verbaux de la Commune de Paris de 1871, édition critique, E. Leroux (1924) et A. Lahure (1945).
Cet article a été préparé en décembre 2020.