Après la parution de Comme une rivière bleue et à propos de ce livre, j’ai participé à de nombreuses discussions, dans des librairies, des bibliothèques… sur le livre, mais aussi sur la Commune de Paris.

Une des nombreuses questions qui m’ont été posées portait sur les aspects « féministes » de la Commune, et notamment sur le slogan « À travail égal salaire égal ».

J’ai déjà signalé, dans un article de ce site, la formulation consensuelle

la Commune amorce le droit au travail des femmes, l’égalité des salaires avec les hommes

… et son peu de contenu. J’ai bien vu, au cours de ces discussions, que tel ou tel participant était mécontent lorsque je disais: — non, je n’ai vu nulle part formulé le principe « à travail égal salaire égal » dans les procès verbaux des réunions de la Commune.

Pour nous faire plaisir, à mes interlocuteurs et à moi, j’ai plusieurs fois lu la claire et nette déclaration d’Eugène Varlin, en 1867 (voir cet autre article):

M. Varlin, relieur, croit que la femme doit travailler et doit être rétribuée pour son travail. Il croit que ceux qui veulent lui refuser le droit au travail, veulent la mettre pour toujours sous la dépendance de l’homme. Nul n’a le droit de lui refuser le seul moyen d’être véritablement libre. Elle doit se suffire à elle-même, et comme ses besoins sont aussi grands que les nôtres, elle doit être rétribuée comme nous-mêmes. Que le travail soit fait par un homme, qu’il soit fait par une femme: même produit, même salaire.

Par ce moyen, la femme ne fera pas baisser le salaire de l’homme, et son travail la fera libre!

Eugène Varlin, tout seul, en 1867 — et pas « la Commune ». J’ai mentionné le cas des institutrices, d’ailleurs présent dans Comme une rivière bleue (je renvoie encore à un article de ce site). J’ai essayé de parler de la néfaste et durable influence proudhonienne sur le mouvement ouvrier français.

Pour illustrer cette question, je vais citer aujourd’hui un article d’un de mes communards préférés, Albert Theisz, à qui j’ai déjà consacré plusieurs articles (dont une esquisse de biographie). Ouvrier bronzier, membre de l’Association internationale, secrétaire de la Chambre fédérale des sociétés ouvrières et comme tel jugé et condamné au « troisième procès de l’Internationale », membre de la Commune (il a fait fonctionner la poste), évadé de Paris (je raconterai comment dans un prochain article), proscrit à Londres, de retour à Paris après l’amnistie en juillet 1880, vite embauché au journal L’Intransigeant (toujours Rochefort) pour un article « Le Mouvement social » hebdomadaire, encore plus vite mort d’anémie (janvier 1881).

Le 18 octobre 1880, son article porte sur une grève d’ouvrières, à la parfumerie Piver, à Aubervilliers. C’est un bel article, dans lequel Albert Theisz se montre très sensible aux agressions (sexuelles) dont sont victimes les ouvrières (en ce temps-là et dans ce milieu-là, on subi(ssai)t en silence). Je ne le cite pas en entier (le journal est sur Gallica et cet article est là).

Je me contente d’un extrait, qui contient, en toutes lettres, la revendication « à travail égal salaire égal ».  Mais… lisez tout le passage!

[…] Les ouvriers typographes dans un procès sous l’empire déclaraient qu’ils interdisaient le travail aux femmes parce qu’ils préféraient les laisser aux soins du ménage plutôt que d’en être réduits par leur concurrence à vivre à leurs dépens.

Comme les typographes, nous préférerions la femme au foyer domestique plutôt qu’à l’atelier faisant concurrence à l’homme. Mais si nous ne pouvons obtenir gain de cause complètement, au moins nous sera-t-il permis de demander pour elle quelques considérations que sa nature exige. Au point de vue moral, un peu de respect, au point de vue matériel, pour un travail égal à celui de l’homme, salaire égal. […]

(C’est moi qui souligne, bien sûr). Treize ans après le « Nul n’a le droit de lui refuser le seul moyen d’être véritablement libre » de son ami Varlin…

*

Comme l’image de couverture le rappelle (elle vient du Monde illustré daté du 17 juin 1871, via Gallica — la rue Taranne, où se passe cette scène, est aujourd’hui un morceau du boulevard Saint-Germain), tout ça n’a pas empêché des femmes de participer à la Commune! Mais les lectrices et les lecteurs de ce site le savent. Au cas où, voici quelques liens:

avant la Commune, grève de femmes, grève des ovalistesune femme dans les réunions publiques,

pendant la Commune, des ambulancières, l’Union des femmes pour la défense de Paris et les soins aux blessés, Louise Michel, Henriette-Tout-le-Monde, Marie David, Marie Ferré, Victorine Brocher, André Léo, Jenny Matthey, Elisabeth Dmitrieff, la fille du Père Duchêne, Sofia Kovalevskaïa, Nathalie Lemel,

pendant la Semaine sanglante, une barricade de femmes?

et après, des livres… les Pétroleuses,  le petit dictionnaire, (et, au risque de me répéter…  Comme une rivière bleue),

mais, bien entendu, tout ça n’a rien à voir avec le slogan À travail égal salaire égal, n’est-ce pas?