On m’a dit, plusieurs fois, que le suffixe « ard » est péjoratif.
Oui, il l’est. Très souvent.
On m’a dit qu’il valait mieux utiliser « communeux » que « communard ».
J’ai pensé aux bilieux avaricieux, aux paresseux boiteux, aux calamiteux et fâcheux cagneux… Soyons sérieux!
Un peu d’attention montre que les deux mots sont péjoratifs, que l’un, communeux, apparaît et est massivement utilisé avant l’autre, communard, qui prédomine aujourd’hui.
Pour écrire cet article, j’ai utilisé la « recherche avancée » sur le site (privé, payant) Retronews de la Bibliothèque nationale de France (publique), et le catalogue (public) de cette bibliothèque. (N.B. Tous les liens que comporte le présent article vont pourtant vers des sites publics.)
Le mot « communeux » est utilisé par la presse parisienne dès le 12 octobre 1870, grâce au Figaro, qui nous explique que
Jules Richard appelle les partisans de la commune de Paris les communeux, pour les distinguer des communistes.
Il me semble que, peut-être à cause des communistes, justement, c’est sur le modèle de « partageux » que le mot est formé.
En tout cas, c’est bien le mot que toute la presse utilise, après le 31 octobre, pour désigner les partisans de la Commune. Au point que, le 28 décembre, La Liberté titre son « premier-Paris » (éditorial): « Encore les communeux! » Car la revendication de la Commune de Paris est revenue en force dans les réunions de clubs. Et le Journal des Débats nous le précise, il y a des arrondissements dirigés par les communeux (en italiques dans le texte), et « Messieurs les communeux » « veulent mettre la Commune partout ». Ce qui est repris par plusieurs journaux dans les premiers jours de l’année.
Mais qu’en pensent les intéressés? Le Journal des Débats rend compte, dans son édition du 4 janvier 1871, d’une réunion du club de l’École de médecine (que nous savons être un haut-lieu internationaliste):
Le citoyen Armand Lévy annonce qu’il a une communication à faire à l’assemblée. Il donne lecture d’un long article du Figaro qui attaque la presse démagogique et les clubs et qui raille les aspirations des « communeux. » Chaque passage de cette satire est habilement souligné et quelquefois commenté par M. Lévy, président du club, et est livré aux rumeurs indignées de l’assemblée.
Comme partageux, le mot communeux est péjoratif et il est vécu comme tel. Et continue à être vécu comme tel après la proclamation de la Commune. Le Bien public du 6 avril dresse d’ailleurs une liste des injures qui s’échangent entre Paris et Versailles. La voici:
[…] les épithètes de sbires, de chouans, de communeux, d’insurgés, qu’on se jette n’empêchent pas que ce soit du sang français, rien que du sang français qui coule […]
Le 10 avril, Alix Payen écrit à son père:
Ces abominables communeux ont brûlé solennellement la guillotine l’autre jour.
Entre le 18 mars et le 24 mai, dates où paraissent des journaux favorables à la Commune, le mot apparaît au moins une fois dans plus de 280 journaux, presque tous réactionnaires, surtout dans Le Gaulois et L’Univers. Pour les journaux « communeux » ou presque, je vois exactement cinq mentions,
- une assez anodine dans Le Cri du peuple daté du 1er avril
- une citation du journal Le Soir dans La Commune le 14 avril
- une dans Le Rappel le 18 avril, invitant Thiers à devenir communeux comme Henri IV est devenu catholique
- une dans « L’Opinion de la province », dans La Sociale du 5 mai, où j’ai vu, seule et unique fois, le mot « anti-communeux »
- et la dernière dans Le Cri du peuple daté du 13 mai, le journal commente un arrêté de la mairie du onzième contre la prostitution d’un « Pas trop mal, pour des Communeux! ».
En résumé, pendant la Commune, ce sont ultra-majoritairement les adversaires qui utilisent le mot communeux. Et qui peut-être forgent à son image le mot pétroleuse — ceci est… douteux, le masculin de pétroleuse, rarissime, semble être pétroleur.
Le mot communard, lui, apparaît pour parler du mouvement en province, principalement au Creusot, à Saint-Étienne, à Lyon. Et pour la première fois à propos de Paris, le 2 avril, dans La Liberté. Il est très peu utilisé dans toute la presse parisienne. Côté Commune, à part des citations d’autres journaux, je n’en ai vu aucune mention.
Aucun des deux mots n’apparaît dans les procès-verbaux des séances de la Commune.
Au cours des conseils de guerre de l’été, les accusateurs, autant que je l’ai vu, n’utilisent que le mot « communeux ».
J’ai voulu vérifier dans la presse réactionnaire, et j’ai choisi Le Figaro. La première occurrence de « communard » dans ce journal arrive le 1er juin 1871. Il utilise, on l’a vu, « communeux » depuis le 12 octobre précédent. En cohérence avec la mention des conseils de guerre, j’ai compté les numéros du journal qui contiennent chacun des deux mots, entre le 1er juin, donc, et le 31 août: j’ai trouvé 171 communeux et 54 communards.
Il n’y a donc aucun doute que « communeux » est péjoratif. C’est le mot, l’insulte, des « versaillais ».
D’ailleurs, dès le retour de « l’ordre », les auteurs réactionnaires s’en donnent à cœur joie, voyez le catalogue de la Bibliothèque nationale de France, Dictionnaire de la Commune et des communeux, Le Bilan de la Commune et des communeux, Communeux, Les Communeux, Les Communeux (un autre), Les Communeux peints par eux-mêmes, Guerre des communeux de Paris, Lettre adressée à Monsieur Alphand par un soi-disant communeux, La loi Dufaure et l’Internationale – les communeux jugés par l’Internationale, Le Pilori des communeux… j’arrête là, la suite est en 1872. Dix ouvrages contenant le mot dans le titre pour la seule année 1871. Le premier écrit par un… communeux est La Revanche des communeux, de Jean-Baptiste Clément, paru en 1886, bien après l’amnistie.
La même recherche, les livres contenant le mot, communard cette fois, dans leur titre, classés par ordre croissant de date, confirme ce que nous avons vu jusque là: il y en a davantage, mais ils sont plus tardifs. Les bons avis d’un communard, Souvenirs du régime communard. Et c’est tout pour 1871. Un « roman anti-communard » en 1872, puis c’est… 1877. Les mémoires d’un communard, de Jean Allemane, ne paraissent qu’en 1906.
D’où je conclus que le mot communeux est au moins aussi péjoratif que le mot communard, auquel il a très nettement préexisté, comme le mot des ennemis de la Commune.
Évidemment aussi, à toutes ces époques, il y a des fiertés à se proclamer communeux, pétroleuse, communard. Et en écrivant ces lignes, je repense au beau titre d’un livre que je n’ai pas lu, Des camisards aux maquisards (de Muse et Raymond Tristan-Sévère).
Péjoratif, le suffixe « ard »?
Camisardes, partageuses, communeuses, communardes, pétroleuses, maquisardes… je suis des vôtres!
*
L’image de couverture est une des « communeuses » de Bertall, elle porte le titre « club à l’église », je l’ai copiée sur Gallica.
Merci à toutes celles et ceux qui m’ont incitée (directement ou pas) à écrire cet article, Ludivine Bantigny et Laure Godineau, notamment.
Quelques-uns des livres cités ou utilisés
Payen (Alix), C’est la nuit surtout que le combat devient furieux Une ambulancière de la Commune, Écrits rassemblés et présentés par Michèle Audin, Libertalia (2020).
Bourgin (Georges) et Henriot (Gabriel), Procès verbaux de la Commune de Paris de 1871, édition critique, E. Leroux (1924) et A. Lahure (1945).
Anonyme, Guerre des communeux de Paris, par un officier supérieur de l’armée de Versailles [qui s’appelait Eugène Hennebert], Firmin Didot (1871).
Bertall, Les Communeux, 1871 : Types, caractères, costumes, E. Plon (1880).
Morel (Henry), Le Pilori des communeux, Lachaud (1871).
Clément (Jean-Baptiste), La revanche des communeux, Jean Marie (1886-87).