Ouvrier. Toujours honnête quand il ne fait pas d’émeute

est une définition du Dictionnaire des idées reçues, qui n’est pas un livre terminé par Flaubert — c’est même un livre posthume de cet auteur.
Il contient trois fois le mot « ouvrier ». Celle ci-dessus, puis

Écoles. Polytechnique, rêve de toutes les mères (vieux). — Terreur du bourgeois dans les émeutes quand il apprend que l’École Polytechnique sympathise avec les ouvriers (vieux)

et encore, à propos des tapisseries des Gobelins,

L’ouvrier ne sait pas ce qu’il fait.

Je réponds immédiatement à une question que peut-être vous vous êtes déjà posée: ce dictionnaire ne contient que deux fois le mot émeute, les deux ci-dessus. Je pourrais m’arrêter aussi sur le vieux: ce temps (du présent de l’auteur) où ouvriers et émeutes se conjuguent si bien, c’est aussi celui où les élèves de l’École polytechnique ont choisi leur camp, celui de la bourgeoisie — ils n’étaient pas aux côtés des insurgés en juin 1848, ils n’y étaient pas non plus, à quelques exceptions près (comme Cavalier et Rossel, qui attendent d’être « jugés »), au printemps 1871.

Mais c’est des ouvriers qu’il est question. L’Éducation sentimentale, citée dans l’article précédent, contient trente fois le mot « ouvrier » — et zéro fois l’expression « honnête ouvrier », que l’on trouve en effet à profusion dans la littérature.

De ceci, et notamment de cette profusion d’honnêtes ouvriers, ainsi que de l’absence… d’ouvrières, je parlerai dans une rencontre à Dives-sur-Mer, le 6 août (dans le cadre du festival « théâtre et lecture en Normandie »). Si vous êtes dans les parages, venez donc…

Pour ce bref article deux voies s’ouvrent à moi:

  • vous dire que, pas plus dans L’Éducation sentimentale que dans le reste de la littérature du siècle, le mot « ouvrière » n’est le féminin du mot « ouvrier »,
  • ou discuter l’ « antéposition » de l’adjectif, c’est-à-dire l’adjectif « placé avant », car il y a peu de doute que c’est à l’expression « honnête ouvrier » que le Dictionnaire des idées reçues fait référence.

Mais la pensée d’Eulalie Papavoine, une « pétroleuse », qui attend, mais dans quelles conditions, d’être « jugée » (le 4 septembre prochain), m’impose de revenir à la correspondance de Flaubert. Notre grand homme écrit en effet à George Sand, le 7 septembre 1871:

Que dites-vous de Mlle Papavoine, une pétroleuse, qui a subi au milieu d’une barricade les assauts de 18 citoyens! Cela enfonce la fin de L’Éducation sentimentale, où on se borne à offrir des fleurs! — Est-on bête, nom de Dieu! est-on bête!

Il a d’ailleurs écrit la même chose à la Princesse Mathilde la veille. Qu’il écrive en ces termes à des femmes qu’il respecte — il me semble qu’il y a peu d’allusions sexuelles dans ses lettres à sa « Chère Maître » (George Sand) — montre qu’Eulalie Papavoine n’est pas considérée comme un être humain. Cette déshumanisation des communards est ce qui a permis de leur faire subir n’importe quoi — c’est-à-dire tout — pendant la Semaine sanglante. Cela continue. Voir le procès « des pétroleuses » dans notre article à venir du 4 septembre. On peut aussi se demander où Flaubert a trouvé ce fantasme…
Mais voyez la suite de la lettre:

Mais ce qui dépasse tout maintenant, c’est le Parti conservateur, qui ne va même plus voter! et qui ne cesse de trembler! Vous n’imaginez pas la venette des Parisiens. « Dans six mois, monsieur, la Commune sera établie partout » est la réponse ou plutôt le gémissement universel.
Je ne crois pas à un cataclysme prochain, parce que rien de ce qui est prévu n’arrive. — L’Internationale finira peut-être par triompher, mais pas comme on elle l’espère, pas comme on le redoute. — Ah! comme je suis las de l’ignoble ouvrier, de l’inepte bourgeois, du stupide paysan et de l’odieux ecclésiastique.

Les voilà, nos antépositions!

*

La photographie de couverture représente Eulalie Papavoine, que l’ « infâme Flaubert » méprise tant. Une « courageuse ouvrière », bien maltraitée par tous — en particulier par le photographe policier Appert. Je l’ai copiée au Musée Carnavalet.