J’ai peu parlé de Gaston Crémieux. En 1871, il a trente-cinq ans, c’est un avocat, il est né à Nîmes, a étudié à Montpellier et à Aix-en-Provence, puis il s’est installé à Marseille. Il a déjà participé à des journaux, écrit des poèmes, c’est un républicain, mais c’est là, face à la misère de la population ouvrière, notamment face au choléra en 1865, qu’il devient actif dans les associations ouvrières. En particulier dans une association pour l’instruction « des deux sexes ».
Il est très actif aussi pendant la campagne de Gambetta lors des élections législatives de mai-juin 1869 — vous savez, celles où Gambetta a été élu à Marseille et à Paris, ce qui a amené l’élection complémentaire de Paris qui a vu l’élection de Rochefort quelques mois plus tard.
Sa première condamnation par un conseil de guerre, c’est le 27 août 1870. Il a manifesté le 8 août après les catastrophes militaires, le cortège a envahi la préfecture en réclamant des armes et, le lendemain, après l’arrestation d’un des leurs, les manifestants ont occupé la mairie, installé un comité révolutionnaire. Pas pour longtemps… Les dirigeants, dont Gaston Crémieux, sont arrêtés et condamnés. Six mois de prison pour lui. Ils sont libérés après la proclamation de la République le 4 septembre.
Gaston Crémieux est un des acteurs de la Ligue du Midi. Une « Commune révolutionnaire » est proclamée à Marseille le 1er novembre — simultanément et parallèlement à l’insurrection parisienne du 31 octobre. Pas pour longtemps non plus…
C’est Gaston Crémieux qui, à Bordeaux en février, a inventé le qualificatif « ruraux » pour les membres de l’Assemblée nationale, mais ceci, je l’ai déjà raconté.
C’est avec un peu de honte que je résume ici en quelques lignes inadéquates l’histoire de la « Commune de Marseille ». D’autant plus de honte que j’avais annoncé le 26 avril que j’en reparlerais en juin, et que je ne l’ai pas fait!
Gaston Crémieux, le 22 mars, dans une réunion de club, s’écrie:
Le gouvernement de Versailles a essayé de lever une béquille contre ce qu’il appelle l’insurrection de Paris, mais elle s’est brisée entre ses mains, et la Commune en est sortie. Ainsi Citoyens, les circonstances sont graves. Avant d’aller plus loin, je veux vous poser une question. Quel est le gouvernement que vous reconnaissez comme légal?
Est-ce Paris ? Est-ce Versailles?
Toute la salle unanime, crie : « Vive Paris! » Le lendemain, 23 mars, une nouvelle manifestation à la préfecture arrête le préfet et, d’une fenêtre, Gaston Crémieux proclame « la Commune républicaine ». Une commission qu’il préside prépare l’organisation d’élections et reçoit bientôt « l’aide » de la Commune de Paris, qui délègue là Landeck, Amouroux et Albert May. Sans doute Gaston Crémieux, avant tout militant républicain, n’est-il « pas assez révolutionnaire ». Les luttes internes affaiblissent le mouvement, qui est réprimé dans le sang dès le 4 avril — les élections étaient prévues pour le 5.
La dernière « Commune de province » est morte.
Gaston Crémieux, qui avait hésité à s’enfuir, est arrêté — dans un corbillard, déguisé en femme, au cimetière juif, dans le lit du gardien, choisissez votre (vos) version(s).
Le procès de la Commune de Marseille se déroule, devant le 1er conseil de guerre, du 12 au 28 juin 1871. Il y a dix-sept prévenus et trois condamnations à mort, dont celle de Gaston Crémieux, « factieux incorrigible ».
Depuis cette date, les condamnés sont passés dans différentes prisons marseillaises, et notamment, comme l’annonce triomphalement Le Monde illustré daté du 8 juillet, les communeux marseillais sont enfermés au Château d’If. Et ce journal publie sur la même page, d’abord l’image des troupes massacreuses

que j’ai utilisée en couverture de mon article du 26 avril, puis, après Notre-Dame de la Garde, le Château d’If… L’office du tourisme marseillais peut être satisfait…
Les prisonniers, eux, et leurs familles avec eux, attendent que la Commission des grâces se mette au travail.
… la suite dans l’article du 1er décembre.