Le 28 novembre à sept heures du matin, on exécute trois hommes à Satory. Deux d’entre eux sont des « vedettes », Louis Nathaniel Rossel et Théophile Ferré.

On connaît beaucoup de détails sur ce moment, le fait que l’exécuteur, celui qui commande le feu, est le même Merlin qui présidait le conseil de guerre qui a condamné Ferré, ainsi il réunit

les trois caractères de vainqueur, de juge et de bourreau

comme dit Lissagaray, qu’il y a un public de curieux, parmi lesquels le peintre Édouard Manet, que les militaires qui vont tirer étaient avec Rossel à Metz, que Ferré fume un cigare, que Rossel était accompagné de son avocat et d’un pasteur, qu’il a demandé à commander lui-même le feu, et même à serrer la main à Merlin, que Ferré a refusé qu’on lui bande les yeux et qu’il a repoussé le prêtre, que les troupes ont défilé, avec leur musique, devant les cadavres, et je ne résiste pas à citer encore un commentaire de Lissagaray.

Quel cri d’horreur la bourgeoisie eût poussé, si, devant les otages exécutés, les fédérés eussent paradé musique en tête.

On sait aussi que la famille de Rossel et la sœur de Ferré — qui était, alors, sa seule famille — ont réclamé et emporté leurs corps, que l’un est enterré à Nîmes et l’autre à Levallois (j’ai déjà parlé de sa tombe).

On sait tout ça, et même encore des tas de détails.

Mais on ne dit pas grand chose de Pierre Bourgeois. Un jeune gars aux yeux clairs — il a eu vingt-trois ans le 15 novembre. En voilà encore un, inconnu. Apparemment, il a été condamné à mort le 4 septembre (le jour où se tenait le « procès des pétroleuses »), mais je n’ai pas trouvé trace de son procès dans la presse. Je n’ai d’ailleurs trouvé aucune source sur ce que je vais vous raconter maintenant, je ne fais que copier des choses que j’ai lues ici ou là — et dont les auteurs ne citent pas leurs sources. Je suppose qu’il y a un dossier quelque part au Service historique de la Défense, mais je ne vois pas son nom dans le « répertoire alphabétique des condamnés » de la « sous-série GR 8 J » dans le document « Conseils de guerre et condamnés de la Commune de Paris » de ce service, sans doute parce que Pierre Bourgeois était un militaire.

Il est né à Dole le 15 novembre 1848 — ça au moins, c’est sûr: j’ai vu son acte de naissance, dans lequel son père est dit sabotier et la profession de sa mère n’est pas indiquée. Il s’était engagé, dit-on, à l’âge de dix-huit ans. En 1870, son régiment réprimait la grève du Creusot et, dit-on aussi, faisait six morts parmi les grévistes — et ça, ce n’est pas tout à fait vrai (il y a bien eu six morts grévistes, mais dans un éboulement, voir La Marseillaise du 26 janvier 1870). Il a dû s’opposer, au moins en paroles, à une action de « maintien de l’ordre », et s’est retrouvé en prison pour six mois. Il en est sorti parce qu’on avait besoin de chair à fusil pour l’armée de la Loire, il s’est donc battu et est devenu sergent en janvier 1871. En mars, son régiment était à Paris. Il l’a quitté (quitter son régiment est une désertion) et a rejoint la Commune et, dit-on, le 105e bataillon de la garde nationale — un bataillon du septième arrondissement. On dit qu’il s’est battu, notamment au fort d’Issy. Après la Semaine sanglante, il était caché dans Paris. Il a dû tenter de rejoindre sa région d’origine, en tout cas il a été arrêté à Semur-en-Auxois le 28 juin.

Le jour où il est exécuté, il est considéré comme sergent au 45e régiment d’infanterie de ligne où il était immatriculé sous le numéro 6576 — c’est ce qui est indiqué dans son acte de décès. Je suis d’accord que c’est une information sans intérêt. Mais au moins, elle est sûre.

Il n’a pas de famille sans doute puisqu’il est inhumé au cimetière Saint-Louis de Versailles — et c’est vrai aussi: en plus des actes d’état-civil, j’ai vu le registre d’inhumations.

Au moins, nous avons une photographie (je l’ai copiée sur le site de Jean-Paul Achard).

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Merci à Julien Clerget pour les discussions que nous avons eues au sujet de Pierre Bourgeois et pour l’article qu’il m’a envoyé:

Vasseur (Daniel) et Popelier (Jean-Pierre)Le sergent Bourgeois, le « fusillé inconnu de 1871 », Généalogie magazine 297-298 (2009).