Nous avons laissé, dans l’article précédent, Blanqui en prison à Versailles, attendant l’ouverture de son procès.
Je ne résiste pas au plaisir de vous citer la lettre qu’il envoie au président de l’Académie des sciences — il y a longtemps que je ne vous ai pas entraînés dans cette institution… (la citation est en vert) — c’est dans le journal La République française que je l’ai copié:
Prison cellulaire de Versailles, samedi 6 janvier 1872.
Monsieur le président,
La science ne s’est point encore prononcée sur les causes de la lumière zodiacale. Le champ reste donc ouvert aux conjectures. Pardonnez-moi de hasarder la mienne et de la soumettre à l’Académie.
D’après Laplace, Arago et d’autres savants illustres, les comètes ont plusieurs fois enveloppé la terre, sans avoir été aperçues.
La rapidité de leur marche leur a-t-elle permis de se dégager complètement et de poursuivre leur route? Cela serait peu conforme aux lois de l’attraction. On sait qu’à raison de leur ténuité, ces astres ne dérangent personne, tandis que tout le monde les dérange. Ils ont dû certainement, dans ces rencontres sidérales, abandonner des lambeaux aux étreintes de notre globe.
Les détachements ainsi faits prisonniers, et refoulés vers l’équateur par la rotation, ne formeraient-ils pas ces renflements lenticulaires qui s’illuminent aux rayons du soleil avant l’aurore et surtout après le crépuscule du soir? La chaleur du jour les a dilatés et rend leur luminosité plus sensible qu’elle ne l’est le matin, après le refroidissement de la nuit.
Ces masses diaphanes, d’apparence toute cométaire, et perméables aux plus petites étoiles, occupent une étendue immense, depuis l’équateur, leur centre et leur point culminant comme éclat, jusque bien au-delà des tropiques, où elles vont s’abaissant peu à peu en finissent par s’éteindre.
C’est donc la terre elle-même qui porte, enroulée autour de son atmosphère, la cause des lueurs zodiacales. Ainsi s’explique leur permanence, beaucoup moins facile à comprendre quand l’origine était supposée en dehors de notre planète. Comme cet appendice n’ajoute pas un atome au poids de la colonne atmosphérique, l’inanité de ia substance cométaire ne pouvait recevoir une confirmation plus décisive.
Il est évident que les comètes, dans tous leurs contacts avec ia terre, laissent des contingents prisonniers. Ces contingents, du reste, ne sauraient dépasser une certaine hauteur sans être écumés par la force centrifuge, qui disperse ces excédents à travers l’espace. L’atmosphère terrestre n’en demeure pas moins doublée d’une enveloppe cométaire, siège et source de la lumière zodiacale.
Cette explication est peut-être une erreur, mais je sais l’Académie indulgente.
Recevez, monsieur ie président, et veuillez transmettre à l’Académie l’hommage de mes plus profonds respects,
Blanqui.
Dans sa séance du lundi suivant (le surlendemain 8 janvier), l’Académie des sciences reçoit la lettre, ses Comptes rendus le signalent, et elle l’enterre d’un
Cette note sera soumise à l’examen de M. Laugier.
N’en parlons plus.
Au cours de ces trois mois, la presse parisienne continue à se déshonorer en distillant la haine de Blanqui, au point que sa sœur doit écrire aux journaux pour protester (c’est la lettre aux journaux dont j’ai déjà publié un extrait dans l’article précédent, que je cite en vert):
Mon frère, dans l’impossibilité la plus absolue aussi bien de connaître les attaques dirigées contre lui que d’y répondre, n’a pas cessé néanmoins d’être le sujet des fables les plus erronées quand elles n’étaient pas les plus odieuses, et depuis que son prochain jugement rattache à sa personne un intérêt d’actualité, c’est à l’envi qu’une presse sans scrupules répand dans ie public, ignorant des faits exacts, d’interminables calomnies, déversant, comme d’une source intarissable, tout ce que l’injustice et la haine peut enfanter de plus meurtrier sur le caractère, les sentiments et la personne d’un homme qui non seulement ne s’est jamais souillé d’un mensonge sur le compte de qui que ce soit, mais n’est jamais descendu même à une personnalité.
Je ne vais donc citer que des journaux « sympathiques »…
Le procès commence le 15 février, il a lieu dans la salle de la cour d’Assises du Palais de justice de Versailles, une salle assez petite. Le Radical note qu’il y a une foule immense devant le tribunal. Le public n’est admis « qu’avec des cartes signées et contre-signées », dit La République française (datée du 16 février), qui note aussi la présence dans ce public d’Alexandre Dumas fils, « qui affecte de presser son front entre ses mains, comme pour y contenir le flot de ses pensées ». Le même journaliste, qui ne signe pas, décrit ensuite Auguste Blanqui,
On amène l’accusé. Blanqui est pâle: la prison et la solitude achèvent de ruiner cette nature si puissante contre la douleur. Il est toujours ferme cependant et impassible. En gagnant sa place au milieu de ses gardes, il ne se donne même pas la peine de regarder la foule accourue pour le voir.
Celui du Radical écrit:
Blanqui est habillé tout en noir, les mains soigneusement gantées.
Sa longue barbe blanche et ses cheveux qu’un prendrait pour des fils d’agent, complète sa physionomie sympathique et intelligente.
Et il rappelle que Blanqui avait été condamné par contumace à la peine de mort en mars 1871.
Je vous fais grâce du long rapport. Au cours de cette journée, chacun va raconter « son » 31 octobre, en remontant plus ou moins loin dans le temps. La conclusion du rapport n’est pas inattendue:
En conséquence, notre avis est qu’il y a lieu de mettre en jugement Blanqui pour avoir, le 31 octobre 1870 à Paris participé à un attentat dans le but d’exciter la guerre civile en portant les citoyens à s’armer les uns contre les autres.
Suit l’interrogatoire de Blanqui. Tiens, c’est de l’affaire de la Villette qu’il est d’abord question. Blanqui fait remarquer que ce n’est pas pour cette affaire qu’il est poursuivi et suggère de lire ce qu’il en est dans La Patrie en danger du 16 septembre 1870, mais peut-être ces gens-là ne savent-ils pas lire, alors il leur explique que le 14 août 1870 fut un 4 septembre manqué. Et, à propos du 31 octobre, après avoir, lui aussi, raconté l’histoire, il rappelle que,
non pas une fois, mais dix, les membres de la Défense nationale nous donnèrent leur parole d’honneur que jamais nous ne serions inquiétés pour les actes qui venaient de se commettre.
L’interrogatoire, évidemment, arrive ensuite au 22 janvier. Blanqui écarte toute participation à cette manifestation. On lui reproche ensuite ses amis, en particulier Rigault.
Vous lirez la suite dans le prochain article.
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Le dessin du fort du Taureau a été publié, de façon adéquate, par Le Monde illustré le 2 mars 1872.
Livres utilisés
Geffroy (Gustave), Blanqui L’Enfermé, L’Amourier (2015).
Dommanget (Maurice), Blanqui, la guerre de 1870-71 et la Commune, Domat (1947).