Je vais conclure (provisoirement, j’espère) cette série par trois articles de questions.

Dans le « copier-coller » désormais devenu l’usage courant, il y a une déplorable absence de sources. Et un tout aussi déplorable « toujours la même chose ».

L’image des douze corps en bière

est partout (livres, articles, internet) avec des légendes le plus souvent baroques, mais l’image très analogue que j’ai publiée dans un autre article de cette série

est beaucoup moins courante (car qui va lire Vizetelli?) — évidemment, après cette publication, elle pourrait être, elle aussi, copiée-collée… Mais quelle est sa source? Disdéri, comme le suggère Quentin Bajac dans La Commune photographiée? Où l’auteur du livre l’a-t-il trouvée? Que représente-t-elle précisément (date exacte, après Buzenval ou pendant la Commune? dans quel cimetière)?

*

Voici deux autres images issues de « nulle part » (même si je vais dire où je les ai trouvées) et dont j’aimerais connaître la source (la vraie source, la source initiale). 

D’abord, encore un portrait d’Eugène Varlin (voir l’article sur le jeune relieur). J’ai eu la chance de recevoir un tirage de la photographie « inconnue » de Londres, je l’ai publiée, elle a une source. Mais celle-ci?

C’est une image d’après photo. Je l’ai incluse dans le cahier iconographique des Écrits d’Eugène Varlin. Contrairement aux autres portraits que je connais, ce n’est pas un retouchage de la photographie « du jeune relieur ». Je l’ai trouvée dans un tableau d’images comme nos « Hommes de la Commune », que voici:

Le titre est en allemand Die Opfer des Kampfes (les victimes du combat), le journal qui offrit cette image à ses lecteurs était germanophone, se nommait New Yorker Volkszeitung et paraissait à New York. L’image est datée (1er février 1891). La partie gauche représente des Français, communards, la partie droite des Russes et des Allemands. J’attire votre attention sur le fait remarquable que cette image comporte une femme, Sophie Petrowskaya — que je n’ai pas identifiée. Les noms des « victimes » figurent sous l’image (n’hésitez pas à cliquer sur l’image pour la grossir). Du côté français, nous voyons donc, de gauche à droite et de haut en bas

Flourens, Varlin, Rigault, Grousset (qui n’était pas vraiment une victime et d’ailleurs était vivant), Millière, Rossel, Dombrowski, Ferré (avec une inexactitude dans le prénom), Delescluze.

J’ai trouvé (et acheté) cette image à l’IISG d’Amsterdam. Voilà, je vous ai tout dit. Par quoi je veux dire que je ne sais rien de plus. Qui a gravé ces portraits? Presque tous ressemblent assez aux portraits photographiques des « Hommes de la Commune » que nous avons observés dans les articles précédents. Je doute donc que le portrait de Varlin soit imaginaire. Où ce graveur a-t-il trouvé la photographie de Varlin dont il s’est inspiré? Et où est-elle aujourd’hui?

*

Ensuite, une belle brochette de bagnards.

Je l’ai photographiée (d’où l’absence de qualité) dans un (vieux) livre. La légende est erronée quant au lieu, car le bagne de la Nouvelle-Calédonie était à l’île Nou et pas à la presqu’île Ducos. Les forçats sont identifiés comme, de gauche à droite,

Lambert, Giffault, Fortin, Dacosta, Girault, Girard, Vinot, X et Trinquet.

Je n’ai pas de doute sur Trinquet. Le livre, La Commune de Paris, est paru en 1921. Il n’indique pas la source, ni même l’auteur, de l’image. Je n’ai jamais vu cette photographie ailleurs. Peut-être seulement par ignorance? Qui a fait cette photographie? En a-t-il fait d’autres? Des mêmes lieux? D’autres bagnards? D’autres déportés? Où les auteurs du livre l’ont-ils trouvée? Où est-elle aujourd’hui?

Livres cités

Vizetelly (Ernest), My Adventures in the Commune Paris 1871, London, Chatto & Windus (1914).

La Commune photographiée, Réunion des musées nationaux (2000).

Varlin (Eugène)Eugène Varlin, ouvrier relieur 1839-1871, Écrits rassemblés et présentés par Michèle Audin, Libertalia (2019).

La Commune de Paris, Actes et Documents, Épisodes de la Semaine sanglante, préface de G. Zinoviev, Éditions Clarté (1921).