Encore une interrogation, cette fois à propos d’un des mes communards préférés, Albert Theisz.

Je n’ai pas vu de photographie de groupe du congrès ouvrier de Bruxelles en 1868, auquel il a participé, pendant que ses camarades du bureau de Paris de l’Association internationale des travailleurs étaient en prison. Je n’ai donc pas pu tenter de le reconnaître, comme je l’avais fait pour Eugène Varlin à Genève (voir cet article récent).

Il n’était pas au procès de Blois — il était alors emprisonné suite au troisième procès de l’Internationale, où nous l’avions entendu prononcer une défense inspirée. 

Il n’a pas été assassiné pendant la Semaine sanglante, et il n’a pas été arrêté et emprisonné après la Commune.

Il est donc normal que, pas plus que Varlin, Malon ou Frankel, il ne figure parmi les « Hommes de la Commune » des illustrations de 1871. Il n’y avait pas non plus de raison pour que sa famille diffuse, avant l’amnistie, une de ses photographies — cela aurait même pu être dangereux. 

Il est plus étonnant qu’il ne figure pas parmi les « Hommes et martyrs ». C’était un militant ouvrier sous le second empire, il avait été élu à la Commune par deux arrondissements, il était assez connu pour que beaucoup de monde ait assisté à son enterrement en janvier 1881, il avait joué un rôle bien plus important que bien des hommes qui figurent sur le placard de Charles Prolès, il avait été condamné à mort par contumace…

On ne le trouve pas non plus dans les assemblages de photographies réunies sur des pages des fascicules « La Commune vue par un témoin fidèle, la photographie », en 1895-97.

Il n’y a pas de portrait de lui dans le livre d’Armand Dayot (paru en 1901) qui contient pourtant bien des richesses — et qui d’ailleurs ne cite pas une seule fois le nom « Theisz ». 

Dans Philémon, qui date de 1913, Descaves écrit:

Quelques photographies étaient ornées d’une dédicace et fixées au mur par des punaises; d’autres portraits, découpés dans des journaux illustrés, étaient attachés avec des épingles.
Je reconnus Delescluze, Blanqui, Gambon, Vermorel, Theisz, Millière, Flourens, Ferré, Tony Moilin, Lefrançais… 

Il réserve une place particulière à Varlin, c’est pourquoi il n’est pas nommé dans cette liste — qui est exactement celle que l’on aurait pu s’attendre à voir dans les journaux illustrés. Sauf que, de Theisz il n’y a point. 

Encouragée par cette lecture, j’ai continué à chercher. Il se pourrait bien que Descaves ait extrapolé… J’ai relu le livre de Laurent sur la poste pendant la Commune. Qui date de 1934. Il comporte plusieurs illustrations, dont (à propos du télégraphe) un portrait dessiné de Jean-Louis Combatz — par lui-même. C’est un neveu de Combatz qui a confié ce dessin à Benoît Laurent. Il n’y a pas de portrait d’Albert Theisz dans ce livre (qui est pourtant tout à sa gloire, même si je suis certaine qu’il n’aurait pas aimé ce mot). Pourtant, Benoît Laurent a rencontré aussi une de ses nièces et son mari. 

Nous sommes arrivés en 1934 et il n’y a toujours pas de photographie d’Albert Theisz… Et pourtant, cette image, nous la connaissons.

Je l’ai copiée dans La Commune de Georges Bourgin, en 1939 — j’ai confiance en l’historien Bourgin, en l’archiviste Bourgin, ce doit être en effet une photo d’Albert Theisz. Pourtant… le « photo Appert » de la légende (cliquer sur l’image pour l’agrandir) est évidemment faux. 

Mais d’où donc Bourgin a-t-il sorti cette image?

Si vous avez une quelconque information sur l’origine de cette photographie, ou si vous en connaissez une autre apparition avant 1939, n’hésitez pas à m’écrire. 

Livres cités

Paris sous la Commune, par un témoin fidèle : la photographie, sans date (1895-97).

Dayot (Armand), L’Invasion, Le siège, la Commune. 1870-1871. D’après des peintures, gravures, photographies, sculptures, médailles, autographes, objets du temps, Flammarion (s.d.). [1901]

Descaves (Lucien)Philémon, vieux de la vieille, présenté, établi et annoté par Maxime Jourdan, La Découverte (2019).

Laurent (Benoît)La Commune de 1871. Les postes, les ballons, le télégraphe, Lucien Dorbon, Paris (1934).

Bourgin (Georges), La Commune, Les Éditions nationales (1939).