Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.
Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.
66. Jeudi 24 février 1870
Rochefort ne peut pas répondre directement à la démocratie toulousaine, alors Barberet le fait pour lui, il en profite pour annoncer un nouveau collaborateur, à partir de demain, le « Numéro 444 », qui écrira des « Lettres de la Bastille », ce qui nous laisse un peu de temps pour décrypter le pseudonyme ;
en attendant, c’est Dubost qui s’y colle, pour écrire un inévitable « La République », anniversaire de la révolution de février 1848 oblige,
Hier, nous ne fêtions qu’un souvenir, aujourd’hui nous fêtons une espérance ;
il pose ensuite des « Questions au garde des sceaux » ;
après le délit de fausse nouvelle pour lequel la Marseillaise est poursuivie, à cause d’une lettre signée Langlois, un guet-apens, le journal dépose « une plainte en faux » ;
les « Nouvelles politiques » continuent à commenter le décret convoquant la Haute-Cour, mais donnent aussi une « statistique intéressante », il y a à Paris 101,570 misérables, 21,865 hommes, 35,432 femmes, 21,996 garçons, 22,277 petites filles de moins de quatorze ans (eh bien, mieux que la parité, pour une fois!) ;
à « La Chambre », ces messieurs continuent à se divertir,
en présence des déclarations si nettes et si loyales du ministère qui assurent à la France l’ordre et la liberté, la Chambre passe avec confiance à l’ordre du jour,
votent-ils par 336 voix contre 18 ;
le « Bulletin du mouvement social » annonce que l’Exposition internationale ouvrière devrait s’ouvrir à Londres dans le courant de l’année, d’autres cercles ouvriers (au Havre), deux nouvelles associations à Paris (j’en reparlerai bientôt), des grèves dans l’empire autrichien ;
Labbé consacre lui aussi son « Courrier politique » à l’anniversaire du 24 février 1848 ;
je passe les « Échos » ;
Amouroux a écrit de Sainte-Pélagie à Delescluze pour le Réveil ;
dans les « Informations du jour » on essaie toujours de comprendre ce qu’est le complot ;
dans son « Bulletin des travailleurs », Puissant publie des noms et adresses d’ouvriers cherchant du travail ;
il y a des « Communications ouvrières », employés de commerce, ouvriers de la boucherie, tonneliers, ameublement ;
presque une page et demie de compte rendu analytique, longue, longue intervention de l’honorable Jules Favre et réponse de son excellence le ministre des affaires étrangères monsieur le comte (mettez les majuscules que vous voulez) Daru (pas celui de la rue, son fils Napoléon) ;
et les habituelles rubriques finales, parmi lesquelles « La Rampe » de Jules Civry.
Je garde les questions de Dubost (je rappelle que le garde des sceaux est (aussi) Émile Ollivier) et un peu de « la Rampe », une question aussi.
QUESTIONS AU GARDE DES SCEAUX
La Gazette des Tribunaux nous apprend que cent huit mandats de dépôt ont été levés aujourd’hui, et que les citoyens détenus à Mazas et à la prison de la Santé en vertu de ces mandats ont été mis en liberté.
Sur le nombre des inculpés maintenus en état d’arrestation, ajoute le même journal, il y en a cent vingt-cinq sur le sort desquels il sera statué cette semaine. Enfin les cent cinquante autres devront attendre un complément d’instruction.
Nous ignorons encore dans laquelle des deux dernières catégories ont été classés les rédacteurs de la Marseillaise, et attendant de nouveaux renseignements, nous poserons au ministre de la justice quelques questions auxquelles son devoir à défaut de sa conscience le forcera peut-être de répondre.
1° Pourquoi a-t-on relâché certains rédacteurs de la Marseillaise et pas les autres ?
2° Puisqu’il est acquis aujourd’hui qu’aucune charge ne pesait contre cent huit des personnes arrêtées (et nous ne comptons pas dans ce nombre les citoyens relaxés il y a quelques jours) en vertu de quel droit ont-elles été conduites à Mazas ?
3° Quand se décidera-t-on à faire connaître les motifs pour lesquels on retient encore en prison les autres personnes arrêtées ?
4° Quel dédommagement le gouvernement compte-t-il offrir aux citoyens qu’il a arrachés sans raison, il l’avoue lui-même, à leurs travaux et à leurs familles, au risque d’apporter le trouble dans leur intérieur et de ruiner leurs intérêts ?
Nous attendons de M. Émile Ollivier des explications sérieuses, et non point des phrases creuses comme celles à l’aide desquelles il a cherché à berner jusqu’ici la France.
ANTONIN DUBOST
LA RAMPE
Aujourd’hui, mercredi, dans la salle Pleyel, troisième séance des Derniers grands quatuors de Beethoven, par MM. Maurin, Mas, Demuncke et Colblain.
Nous aurons à reparler de ces quatre vaillants artistes et de la tâche qu’ils se sont imposée en exécutant depuis l’hiver de 1848 les dernières œuvres de Beethoven, œuvres alors complètement inconnues.
Disons simplement que ces quatre artistes ont donné spontanément leur adhésion à un projet de réorganisation des Concerts de la fraternité, projet dont l’étude a été interrompue par suite de l’arrestation en masse des rédacteurs de la Marseillaise.
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Voici ce que je lis dans un journal :
Dernièrement, il y avait un concours pour une place de violoniste à l’orchestre de l’Opéra.
Parmi les concurrents se trouvait une jeune fille, à qui l’on n’avait accordé de se faire entendre que pour attirer sur elle l’attention du ministre des beaux-arts.
Quand son tour fut venu d’exécuter son morceau, elle le fit avec tant d’habileté et de goût que Georges Hainl s’employa immédiatement pour lui faire obtenir quelque chose en dehors de l’orchestre de l’Opéra d’où tout Jupon est impitoyablement proscrit.
Pourquoi une femme ne peut-elle faire partie d’un orchestre ?
Pourquoi ce préjugé ridicule ?
Pourquoi empêcher ainsi les femmes de gagner honnêtement leur vie ?
Pourquoi continuer à leur fermer ainsi presque toutes les carrières ?
Grave question qui ne sera jamais résolue, parce qu’elle est trop importante pour qu’on daigne y prêter une attention sérieuse.
J’admets que les femmes ne votent pas, mais pourquoi ne les admettrait-on pas dans un orchestre pour jouer du violon ?
C’est bien indiscret à moi de demander de pareilles choses.
Je fais d’humbles excuses à la société et je m’empresse de passer à un autre sujet.
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L’Opéra-Comique prépare une brillante représentation.
MM. de Leuven et du Locle montent le Barbier de Séville avec Achard dans le rôle d’Almaviva.
Rossini va donc pouvoir toucher quelques bons droits d’auteur. Tant mieux pour lui, car il paraît qu’il a fait de fortes dépenses pour s’installer convenablement dans les Champs-Élysées.
[…]
JULES CIVRY
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La caricature de Charles Amouroux (qui, de son métier, était chapelier) par Klenck vient du musée Carnavalet et de ce site, là.
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Le journal en entier, avec son sommaire détaillé est ici (cliquer).
Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).