Je reprends la suite de cette série d’articles sur mai 1885, mort d’Amouroux, de Cournet et d’Hugo (ici et là).
Toute cette agitation au Père-Lachaise… et il reste à enterrer Victor Hugo, qui certes va attirer plus de monde que Cournet et Amouroux. Et justement, une idée jaillit parmi ces « bourgeois de parlementaires »: et cette bâtisse, sur la Montagne Sainte-Geneviève, dont on ne sait plus bien le statut, église? panthéon national? ça a tant changé au cours du siècle… et si on en (re-)faisait un Panthéon? et dans ce cas, quoi de plus adapté que l’enterrement là de Victor Hugo?
Et là, tout va très vite, et dès le 26 mai, un décret présidentiel (voir Le Rappel daté du 29 mai), fondé sur des lois, décrets, ordonnances, arrêtés des 4-10 avril 1791, 13 messidor an X, 20 février 1806, 12 décembre 1821, 26 août 1830, 14 juin 1833, 6-12 décembre 1851, 22 mars 1852 et 26 juillet 1867 (je vous avais dit, que ça changeait tout le temps), dit (je ne cite que les deux premiers articles):
Article premier. — Le Panthéon est rendu à sa destination primitive et légale. Les restes des grands hommes qui ont mérité la reconnaissance nationale y seront déposés.
Art. 2. — La proposition qui précède est applicable aux citoyens à qui une loi aura décerné des funérailles nationales. Un décret du président de la République ordonnera la translation de leurs restes au Panthéon.
Et ce décret daté du 26 mai est immédiatement suivi d’un autre décret présidentiel, lui aussi daté du 26 mai, devinez quoi, Jules Grévy (le président, c’est lui) décide que le corps de Victor Hugo sera déposé au Panthéon. Ouf. Et cela se passe le 1er juin, mais vous n’avez pas besoin de moi pour suivre cet événement planétaire.
Et revenons à Maxime Lisbonne qui, dès le dimanche 24 mai, sur cette une de L’Ami du peuple qui contenait déjà tant de choses que j’ai citées (voir cet article précédent), il y avait encore un petit article de Maxime Lisbonne lui-même. Le voici:
UN MOUCHARD ORATEUR
On n’accusera pas L’Ami du Peuple d’avoir été trop tendre pour Victor Hugo, homme politique.
Mais nous avons rendu hommage au « Poète » et nous avons affirmé que les générations futures liront avec admiration les œuvres de cet homme de génie que nous ne voulons pas laisser insulter.
Laisser prononcer un discours sur la tombe de Hugo par Maxime Du Camp — de Satory — ce délateur de 1871, cet ignoble mouchard de lettres, serait la dernière des lâchetés; la population révolutionnaire de Paris ne permettra pas une telle infamie.
J’interromps brièvement l’auteur pour une explication. Par application d’une règle que j’ignore, l’Académie française avait désigné Maxime Ducamp pour prononcer le discours par lequel cette institution (à laquelle Victor Hugo appartenait, évidemment) rendrait hommage au grand homme. Mais laissons Maxime Lisbonne s’exprimer complètement.
Il ne suffit pas de protester dans les colonnes des journaux; il faut un exemple.
Si les fabricants de dictionnaires persistent à faire prendre la parole au Père-Lachaise [le Panthéon n’est pas encore à l’ordre du jour] par cette vieille casserole de Du Camp, je prends l’engagement de lui cracher au visage — sans espoir de la récurer, il est vrai — mais avec la conviction intime d’être l’interprète de tous les révolutionnaires.
Maxime Lisbonne
Il n’est certainement pas le seul de son avis (peut-être même pas le seul à vouloir cracher au visage de Ducamp), puisque Le Rappel qui avait annoncé dans son numéro du 24 mai:
C’est M. Maxime Du Camp qui, en sa qualité de directeur, prononcera, au nom de l’Académie française, le discours sur la tombe de Victor Hugo.
a précisé, le lendemain,
Le bruit que ce serait par M. Maxime Ducamp que l’Académie serait représentée aux obsèques de Victor Hugo a causé une vive émotion.
Ce bruit, pouvons-nous affirmer, est dénué de fondement.
On ne sait pas encore par qui sera prononcé le discours au nom de l’Académie française.
Le choix de l’orateur sera probablement fait lundi ou mardi.
Enfin, le 28 mai,
M. Maxime Ducamp a commis que ce n’était pas par lui que l’Académie française pouvait être représentée aux funérailles de Victor Hugo.
Il a écrit que son état de santé l’obligeait à demander qu’on lui donnât un remplaçant.
Quelques académiciens ont résisté, disant que déposséder M. Maxime Ducamp, c’était « céder à la Commune ».
Ainsi, c’est bien à son œuvre anticommunarde, comme cela avait été dit lors de son élection cinq ans plus tôt, que Ducamp devait son fauteuil.
MM. Ernest Legouvé et Jules Simon ont vivement parlé pour que la démission fût acceptée.
Ils ont convaincu les opposants, et la démission a été acceptée à l’unanimité.
M. Maxime Ducamp a été remplacé par M. Emile Augier.
C’est là un porte-paroles que personne ne récusera.
Ce que Maxime Lisbonne ou un des ses amis dit à sa façon dans L’Ami du Peuple du 28 mai:
DU CAMP A LE TRAC
Maxime du Camp (de Satory) a renoncé à prendre la parole sur la tombe de Victor Hugo. Grâce à l’attitude énergique des révolutionnaires, et en particulier de Maxime Lisbonne et de Lissagaray, ce scandale sera évité.
Le lâche gredin a compris qu’il recevrait certainement la correction qu’il mérite si bien.
Il ne parlera pas; cela suffit.
C’est d’ailleurs assez nous occuper de ce misérable drôle.
Laissons-le à sa foire.
Il reste des choses à dire sur L’Ami du Peuple et le Panthéon, auxquelles peut-être vous ne vous attendez pas. Ce sera pour un prochain article. Qui nous livrera peut-être l’identité du militaire qui médite devant les marches du Panthéon sur cette image des funérailles de Victor Hugo que j’ai extraite du Monde illustré du 6 juin 1885.