Après une première annonce de l’exposition Insurgé.es!, suite d’un article précédent.
Le dimanche 24 mai, entre de nombreuses autres choses (sur lesquelles je vais revenir), L’Ami du Peuple publie, sur sa première page, un très court article que voici (comme dans les articles précédents, Maxime Lisbonne et ses collaborateurs écrivent en noir et moi en bleu). Pour me faire pardonner mon quasi-silence à son sujet, j’illustre cet article par une photographie de Frédéric Cournet, par Appert (si, si) trouvée sur Gallica.
AMOUROUX
Amouroux, ex-membre de la Commune, est mort hier, 23 mai. La consolation, non seulement pour sa famille, mais pour les révolutionnaires, est de le conduire à la dernière demeure, la semaine de mai [Comme dans le titre du livre de Camille Pelletan, cette expression désigne la Semaine sanglante, qui fait ce jour-là le gros titre de la une du journal].
Les combattants de la Commune ont seuls le droit de mourir à cette saison.
Nous laissons aux autres le droit de crever avant ou après la semaine sacrée [que dire de Victor Hugo, mort le 22 et dont, forcément, il va falloir parler aussi?].
Devant la tombe, on doit désarmer, surtout lorsqu’il s’agit d’un homme comme Amouroux, qui a eu des faiblesses peut-être [voir l’article précédent!], mais qui n’en a pas moins suivi le droit chemin.
Amouroux est resté, quand même, dévoué à la Révolution.
Puis, il a eu l’honneur de passer par Toulon; il a revêtu le costume et traîné la chaîne du forçat… [voir notre antépénultième article]
C’est pourquoi nous saluons ce galérien que nous avons toujours considéré comme un des nôtres.
Maxime Lisbonne
L’Ami du Peuple est devenu quotidien, le numéro du 26 mai, annonce pour le jour-même les obsèques, et celui du lendemain contient, débutant en première page, un compte rendu de ces obsèques, signé de Georges Proteau, qui se termine, comme du pur Lisbonne, ainsi:
… La foule s’écoule lentement, faisant l’apologie de l’ouvrier tour à tour combattant contre l’empire et la réaction versaillaise, poursuivi par les argousins de Napoléon III, envoyé au bagne par les séides du petit Thiers, puis à la Chambre des députés par les électeurs stéphanois.
Après avoir donné son obole pour les blessés de dimanche [je reviens sur les « blessés de dimanche » un peu plus bas] et les familles des détenus politiques, chacun se sépare, emportant un peu de haine cintre les fusilleurs de la semaine sanglante et beaucoup de dégoût pour les bourgeois Brisson, Allain-Targé, Gragnon [bourgeois « de gauche »… mais au pouvoir, Henri Brisson était (brièvement) président du Conseil, Arthur Gragnon préfet de police et François Allain-Targé ministre de l’intérieur].
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J’ai promis de revenir sur deux (ou trois) choses. Voici:
À la une de L’Ami du Peuple du dimanche 24 mai, gros titre « La Semaine sanglante ». C’est le dernier dimanche de mai et il y a une manifestation au Père-Lachaise. Je ne résiste pas au plaisir d’une citation (l’article est signé Jacques Roux):
Il faut marcher au Père Lachaise, non pour pleurer des morts sur qui nous avons déjà trop versé de larmes, mais pour nous dire qu’il est temps enfin de songer à les venger: comme le disait le révolutionnaire russe Herzen, nous avons vu trop de choses navrantes pour perdre notre temps à larmoyer.
Si l’on veut mettre quelque chose dans sa poche pour aller aujourd’hui sur la tombe des fédérés, il ne faut pas que ce soit un mouchoir.
Pas à cause du contenu des poches des citoyens présents mais parce que la police ne voulait pas qu’ils déploient leurs drapeaux (rouges), ça a cogné au Père Lachaise ce dimanche 24 mai, ce sont les « blessés de dimanche » évoqués plus haut. Voir aussi un prochain article.
Sur cette même une, et au-dessus de l’annonce de la mort de Charles Amouroux, était annoncée celle de Frédéric Cournet.
Mais revenons à la mort d’Amouroux. Il avait une jeune épouse de 26 ans et deux petites filles d’un an et de deux ans et demi.
C’est Gustave Mayer, un conseiller de Paris, qui est allé déclarer son décès à la mairie du vingtième. Vous ne vous souvenez pas de Gustave Mayer? Eh, mais c’est qu’il faut évoquer une autre activité de Charles Amouroux, le secrétariat des réunions de la Commune. C’est lui qui a sauvé de l’incendie et des versaillais les procès verbaux des séances et c’est Gustave Mayer qui les a conservés. Il en a parlé avec Amouroux avant sa mort… peut-être pas sur son lit de mort quand même, et celui-ci lui a demandé d’attendre.
Gustave Mayer les a donnés en 1894… Mais voyez donc cet article, un de mes premiers…
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Je ne l’ai pas signalé, mais le journal est encadré de noir, c’est d’ailleurs le cas aussi du Rappel, pour celui-ci à cause de la mort de Victor Hugo, dont il faudra bien parler (voir l’article suivant).
À suivre, donc