Vous vous souvenez, bien sûr, de cette photographie. Oui, elle est partout. Le plus souvent, ceux qui y figurent sont présentés comme des morts de la semaine sanglante.
J’ai déjà dit ce que j’en pensais: ce sont des fédérés tués en avril 1871 et photographiés — chacun avec un numéro — avant leur inhumation, pour être identifiés.
C’est sans doute même une photographie réalisée au cimetière du Père-Lachaise et mentionnée dans le registre des inhumations du cimetière le 11 avril:
Tout ça est dans un article ancien, auquel je vous renvoie.
Pourquoi je vous en parle encore une fois aujourd’hui?
Parce que je ne le répéterai jamais assez pour concurrencer cette légende d’une photographie gentiment faite par les versaillais pour nous documenter sur leurs crimes…
Mais, non, ce n’est pas la vraie raison de vous en parler. C’est d’une autre utilisation, bien plus nauséabonde, que je veux vous parler.
Mais commençons par les amis. Ces morts de la Commune dans leurs bières ont aussi été dessinés par Ernest Pignon-Ernest lorsqu’il préparait son affichage pour le centenaire de la Commune (vous savez, les marches du Sacré-Cœur, celles du métro Charonne). Je l’ignorais, je l’ai appris en visitant l’exposition Insurgé.es! à Saint-Denis (au fait, dépêchez-vous, elle se termine le 6 mars), je l’ai déjà signalé. J’ai regardé ces dessins, encore et encore, et j’en ai parlé avec Laure Godineau (qui est une des commissaires de l’exposition). En authentique historienne, Laure m’a signalé le livre Paris et la photographie, de Virginie Chardin, qui présente aussi cette image. Je ne commente pas ce qu’elle en dit. Sauf qu’elle renvoie, ainsi que Laure me l’avait dit, à une utilisation bien moins connue de cette image.
L’histoire se poursuit à la Bibliothèque nationale de France où je lis Si les soviets gagnaient la guerre Katyn partout, un livre de 1943, et heureusement, c’est dans un lecteur de microfilms, ainsi personne ne voit ce que je lis, j’aurais été gênée de me promener avec ce livre en mains dans une salle de lecture. C’est un livre nazi. Délibérément et franchement nazi. Les juifs, d’une part, et les communistes de l’autre (mais, vous vous en doutez, beaucoup sont les deux à la fois, et même les trois, puisqu’ils sont aussi franc-maçons) sont responsables de toute la misère du monde, les pages sont d’ailleurs emplies de cadavres qui leur sont dus. Heureusement, « L’Allemagne rempart de l’Occident » va nous sauver, nous sommes je l’ai dit en 1943 de sorte que cette Allemagne bénéficie enfin de l’aide que lui apporte la « Légion des volontaires français contre le bolchévisme » sur le front de l’est, et Heil Hitler!
Pourquoi je vous parle de cette merde puante? Eh bien, parce que sur sa centaine de pages, elle en consacre quatre à une chronologie de « 90 ans d’expérience des mouvements révolutionnaires« , qui commence en 1847. La date 1871 est consacrée à la Commune de Paris,
Mouvement révolutionnaire qui revêt à l’origine un caractère patriotique incontestable, mais que Marx tenta de dévoyer pour la mettre au service de la Première internationale.
Une photographie dudit Marx, « le juif barbu Karl Marx » figure à proximité. Trois pages plus loin, la date 1939 est illustrée par des
cadavres de nationalistes espagnols exécutés par les rouges durant la guerre civile (1936-1937).
Ces nationalistes, vous voulez les voir? Eh bien, les voici
(excusez la mauvaise qualité de la photographie — prise dans le lecteur de microfilms).
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Je remercie Laure Godineau. Évidemment!
Merci à Virginie Chardin d’avoir signalé ce fait dans son livre.
D’après les règles que je me suis fixées, les livres et articles cités sur ce site s’ajoutent à la bibliographie générale — sauf quand j’oublie de le faire. Là, je crois que je vais en oublier un.
Livre cité
Chardin (Virginie), Paris et la photographie, cent histoires extraordinaires de 1839 à nos jours, Parigramme (2001).