Je vais dire ici les deux ou trois choses que je sais de Maxime Lisbonne, en partant d’un acte d’état civil, celui de son mariage.

Il se marie avec Rosalie Élisa Dodin (dont le prénom usuel est Élisa). Comme il est d’usage, le mariage a lieu là où habite l’épouse, c’est-à-dire à Montrouge, le 11 juillet 1867. Elle a vingt-neuf ans, a perdu son père à l’âge de sept ans, est dite sans profession et habite avec sa mère. Maxime Lisbonne a vingt-huit ans, lui aussi est dit sans profession, il habite avec son père boulevard Saint-Martin à Paris, sa mère est morte un an plus tôt.
Deux jeunes (pas très jeunes, mais jeunes) mariés, qui habitent chez leurs parents… Banal…
Sauf que le reste de l’acte permet d’imaginer moins de banalité. Car les voilà tous les deux, aussitôt unis, qui reconnaissent et légitiment un fils… de dix ans et demi.
Ce garçon est né Armand Dodin le 20 janvier 1857, chez une sage-femme de la rue du Temple, sa mère avait dix-huit ans et habitait rue de Bretagne, son père n’a pas été « dénommé ».

Maxime Lisbonne n’avait alors que dix-sept ans.
Si j’en crois Marcel Cerf, cet enfant était le fruit d’une passion de jeunesse. Mais comment le saurions-nous ?

Si c’est bien le cas, Élisa avait alors commencé une première longue période d’attente puisque Maxime, qui n’avait pas vu, ou avait peu vu son fils, s’est engagé, trois mois après la naissance de cet enfant, pour sept ans. Avant le début de ce peut-être grand amour, et dès l’âge de quinze ans, il avait déjà passé un moment dans la marine et participé à la guerre de Crimée.

Le voilà reparti, comme chasseur à pied puis comme zouave, en Italie et en Syrie, et il doit vraiment faire le zouave… Ce que nous connaissons de lui, son style « emporté » notamment (voir ses sorties contre Ducamp et Favre dans nos articles précédents), nous permet de l’imaginer, encore plus jeune, encore plus insoumis, bref il se retrouve en Algérie dans une compagnie disciplinaire et, si je comprends bien, il montre son courage, dont nous ne doutons certainement pas non plus, lors d’un incendie à Orléansville (Chlef) et est gracié.

En 1864, ses sept ans sont terminés et il rentre à Paris.

Je ne vois rien qui autorise à imaginer que ce jeune homme turbulent est resté fidèle à une femme de 17 à 24 ans… Quant à Élisa Dodin, elle l’aurait attendu sept ans ?

Il commence une carrière de comédien, et même de directeur de théâtre, aux Folies-Saint-Antoine, au début du boulevard Richard-Lenoir qui, pendant son absence, a recouvert le canal Saint-Martin.

Il a formé une société avec son père, qui habite toujours 19 boulevard Saint-Martin (lui même habite 11 rue Saint-Sabin, à proximité immédiate du théâtre).

Il fait faillite et, dit-on, devient agent d’assurance.

Sa mère est morte, il s’est marié avec Élisa, son père meurt.

Et cela nous amène jusqu’en 1870 et à la guerre franco-prussienne, à laquelle évidemment il va participer. Mais nous aurons l’occasion d’en reparler.
Il n’était pas grand (1,615 m), avait les cheveux, la barbe et les sourcils châtains, les yeux « roux » (poésie du garde-chiourme qui a dressé ce signalement…).

Élisa, maintenant épouse, attend son mari pendant ses campagnes de 1870-71. Là nous avons un commentaire d’Edgar Monteil :

Lisbonne était un ancien acteur qui cultivait les cantinières

(Marcel Cerf, qui a pourtant dit que Lisbonne avait été la « coqueluche » du public féminin, cite les phrases suivantes du livre de Monteil, mais omet celle-ci… les historiens de la Commune de ce temps avaient une passion pour les femmes vierges (rouges) et les hommes maris fidèles, « mari fidèle » est aussi ce que dit Didier Daeninckx, mais son Banquet des affamés est un roman).

N’empêche, elle lui a rendu visite lorsqu’il était prisonnier à Versailles et l’a (encore) attendu jusqu’à son retour du bagne au début de 1881. Et, plus remarquable, elle a supporté de vivre plus ou moins près de lui pendant les vingt-quatre années qui ont suivi.

Il est mort en 1905 à La Ferté-Alais.

Encore un mot sur leur fils. D’Armand Dodin, il est devenu Félix Lisbonne lorsqu’Élisa et Maxime se sont mariés. Apparemment, la police, perquisitionnant chez les Lisbonne après la semaine sanglante, a trouvé un uniforme de la garde nationale à sa taille (il avait quatorze ans). Il semble pourtant avoir vécu une vie plus calme que celle de son père. En février 1914, lorsqu’il a déclaré la mort de sa mère à La Ferté-Alais, il avait cinquante-sept ans, était employé aux omnibus parisiens et habitait 15 rue Voltaire dans le onzième arrondissement.

J’ajoute une petite chronologie (avant la Commune).

  • 9 août 1837, mariage à Paris de Jacob Auguste Lisbonne et Marie Louise Félicité Foussenquy.
  • 24 mars 1839, naissance de leur fils Maxime Lisbonne à Paris, 5 rue du Cimetière-Saint-Nicolas (aujourd’hui rue Chapon dans le 3e arrondissement)
  • 20 mai 1840, naissance de leur deuxième fils, Jules Lisbonne
  • 1845, la mère de Maxime Lisbonne et sa belle-sœur ouvrent une société de vêtements de mode 9 boulevard Saint-Martin à Paris
  • 1848, pendant la révolution de février, Auguste Lisbonne est nommé chef de bataillon dans la garde nationale, puis capitaine dans la garde républicaine. En juin, il est blessé et, le 10 août, décoré de la légion d’honneur
  • 1851, Maxime Lisbonne est élève au collège de Saint-Germain-en-Laye, 2 décembre, coup d’état de Louis Napoléon Bonaparte
  • 7 mai 1854, Maxime Lisbonne s’engage comme mousse sur la frégate La Belle Poule, transportant troupes et munitions vers la guerre de Crimée
  • 5 décembre 1855, mort de petit frère Jules Lisbonne, 24 décembre, fin du service de Maxime Lisbonne
  • 20 janvier 1857, naissance d’Armand Dodin, fils d’Élisa Dodin (18 ans)
  • 7 avril 1857, Maxime Lisbonne s’engage pour sept ans au cours desquels, 14e régiment de chasseurs à pied, 1er régiment de zouaves, embarqué pour l’Afrique, participe aux guerres d’Italie, de Syrie, subit diverses mesures de discipline, en particulier en Algérie, se distingue au cours d’un incendie à Orléansville (hôpital selon Marcel Cerf, marché selon Didier Daeninckx, peut-être école de filles, le 14 août 1862), ou alors c’est à Alger en 1860 et c’est une poudrière (selon Maxime Lisbonne lui-même)
  • 7 avril 1864, les sept ans sont terminés
  • 15 mai 1866, il forme avec son père une société pour exploiter le théâtre des « Folies-Saint-Antoine », au début du boulevard Richard-Lenoir
  • 8 juillet 1866, mort de la mère de Maxime Lisbonne à Paris
  • 11 juillet 1867, Maxime Lisbonne et Élisa Dodin se marient à Montrouge et légitiment leur fils de 10 ans et demi
  • 25 décembre 1868, mort du père de Maxime Lisbonne à l’hôpital Saint-Antoine, il habite 66 rue de la Fontaine-au-Roi

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J’ai utilisé l’état civil (archives départementales des Hauts-de-Seine, de l’Essonne, état civil reconstitué de Paris) et la fiche des archives nationales sur les bagnes. Le reste, je l’ai lu dans le livre de Marcel Cerf et dans le Maitron en ligne, mais pour cela je n’ai vu aucune source primaire !

L’image de couverture vient du musée Carnavalet, Malakoff, c’était en 1855, donc le zouave n’est pas Maxime Lisbonne (mais sans doute il lui ressemble).

Livres cités

Monteil (Edgar)Souvenirs de la Commune, Charavay frères (1883).

Cerf (Marcel), Le d’Artagnan de la Commune : le colonel Maxime Lisbonne, Éditions du Panorama (1967).

Daeninckx (Didier)Le Banquet des affamés, Gallimard (2012).