Avec de nombreux autres amnistiés, dont son collègue bagnard Alexis Trinquet, Maxime Lisbonne arrive sur le Navarin. Le bateau a quitté la Nouvelle-Calédonie le 4 septembre 1880, a rejoint Brest assez tardivement, de sorte que Maxime Lisbonne n’est à Paris que le 8 janvier 1881, trois jours après les obsèques de Blanqui… mais à temps pour celles d’Albert Theisz le 12 janvier. Voyez La Justice du 14 janvier.
Il fait très froid cet hiver, et bien des amnistiés, de retour à Paris, sont en grande difficulté. L’Intransigeant daté du 24 janvier publie une lettre de notre vieille amie Herminie Cadolle:
Citoyen,
En présence de la misère épouvantable qu’augmente encore le froid rigoureux de cet hiver, je vous prie de faire un appel chaleureux, dans votre vaillant journal, à tous les cœurs généreux, pour venir en aide à nos frères rapatriés par le Navarin, que le froid et la faim déciment sans pitié. Il y a, parmi eux, des vieillards incapables da gagner leur vie, des jeunes gens infirmes et es enfants au berceau.
Que tous ceux qui ne sont pas avec les satisfaits ouvrent leur cœur et leur bourse et prouvent, en s’unissant à nous, que notre force est dans la solidarité.
Cadolle, Trésorière du comité socialiste rue St-Louis-en-l’Île, 78.
Le même journal (faut-il rappeler que c’est le journal de Rochefort?), le même jour, annonce une représentation exceptionnelle au théâtre du Château-d’Eau:
Lundi 24 janvier 1B81, à sept heures du soir, une représentation extraordinaire, organisée par Henri Rochefort au bénéfice de notre ami l’amnistié Lisbonne, aura lieu au théâtre du Château-d’Eau, avec le concours des principaux artistes de Paris.
On trouve dès à présent des billets au bureau de location du théâtre et aux journaux, l’Intransigeant, le Mot d’ordre, la Marseillaise, le Citoyen, la Lanterne, la Justice, la Vérité, le Rappel, l’Électeur libre, la Révolution sociale, le Petit Parisien.
Tous ceux qui ont connu le vaillant colonel de 1871, qui revient infirme de la Nouvelle-Calédonie, s’empresseront d’assister à cette fête républicaine.
Quant à nous, nous y serons tous.
Voyez l’Intransigeant pour connaître le programme complet. C’est au profit de Maxime Lisbonne, mais il participe à la représentation, où l’on entendra:
La Cage aux Parisiens, rondeau chanté par Maxime Lisbonne.
Je vous laisse imaginer ce qu’est « la cage aux Parisiens ». Si vous n’y arrivez pas, voyez Le Figaro du 25 janvier, qui rend compte de cette soirée:
Une seule des promesses du programme n’a pas été remplie. Le bénéficiaire, M. Maxime Lisbonne, devait, pour clore la soirée, chanter un rondeau intitulé : La Cage aux Parisiens, mais la censure n’a pas cru devoir l’autoriser, et M. Lisbonne est resté dans la coulisse.
Ce rondeau, qui a pour auteur le docteur Goupil, a été fait en 1871, tout de suite après la Commune. Il comprenait alors près de cent cinquante vers, mais il a été réduit de plus de moitié. La Cage aux Parisiens c’est, on l’a deviné, la prison dont les hôtes, nombreux, fournis par la Commune, sont passés successivement en revue dans le rondeau du docteur Goupil.
Laissons (provisoirement) Le Figaro à sa malveillance habituelle.
Quelques jours après, L’Intransigeant ouvre une « tribune des amnistiés », demandes et offres de travail par et pour les amnistiés… précédée le 5 février de la nouvelle qui suit:
Notre ami Maxime Lisbonne a oublié hier un manuscrit important, dans une voiture qu’il a prise, à quatre heures, boulevard des Filles-du-Calvaire, et qu’il a quittée, à six heures trois quarts en face le café de Madrid. Le citoyen Lisbonne, ne connaissant pas le numéro de la voiture, prie la personne qui aura trouvé son manuscrit de vouloir bien le remettre au bureau du journal. Ce manuscrit est enveloppé dans un journal et signé : Maxime Lisbonne.
Longue course en voiture… Je n’ai pas vu de nouvel article annonçant que le manuscrit a été retrouvé. Par contre, j’ai vu une lettre, écrite par Maxime Lisbonne au… Figaro, qui avait déclaré que le théâtre du Château-d’Eau, où avait eu lieu la représentation, lui devait, à lui Maxime Lisbonne, de ne pas avoir brûlé pendant la Commune. Ne cherchez pas cette lettre dans Le Figaro, qui s’est contenté de:
Nous recevons une lettre de M. Maxime Lisbonne. Sa longueur ne nous permet pas de la publier aujourd’hui.
(Les autres jours non plus, d’ailleurs.) Mais L’Intransigeant l’a publiée. Je n’en cite qu’une phrase:
Du reste, dans quelques jours, paraîtra un volume intitulé : Souvenirs du 18 mars au 28 mai 1871, dans lequel j’expliquerai bien des faits inconnus jusqu’à ce jour.
— qui doit nous rassurer sur le manuscrit en question! Quant au contenu de ce manuscrit et à sa publication, ce sont deux autres histoires… pour un peu plus tard. À moins que… il se soit agi d’un autre manuscrit? Son grand drame La Famille Lebrenn???
*
La photographie des voitures sur le boulevard Montmartre (où se trouvait le café de Madrid) est due à Hippolyte Biancard, je l’ai trouvée au musée Carnavalet.