Faire connaître et commenter les Souvenirs de Maxime Lisbonne, cela a déjà été fait, par Marcel Cerf à la fin des années 1960, dans plusieurs articles et un joli livre, même si je n’aime pas son titre, Le d’Artagnan de la Commune : le colonel Maxime Lisbonne. (Que je ne trouve pas plus malin que le « que ses attitudes prétentieuses avaient fait surnommer l’Achille de la Commune » de Maxime Ducamp (Convulsions, vol. 2). Ou que le « Je ne l’appelais que le Murat de la Commune », d’Edgar Monteil.)

La source principale de Marcel Cerf est un manuscrit écrit par Maxime Lisbonne alors qu’il était encore au bagne en Nouvelle-Calédonie, qu’il a daté du 7 juin 1880 (avant le vote de l’amnistie plénière) et qu’il a envoyé à Alphonse Humbert. Celui-ci, journaliste au Père Duchêne pendant la Commune et bagnard comme Maxime Lisbonne, avait été libéré avant lui. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi Marcel Cerf a publié ce qui est essentiellement une paraphrase (augmentée) de ce texte plutôt que le texte lui-même (commenté). C’était peut-être la mode en ce temps-là (le livre est paru en 1967). Il est vrai qu’il a, une dizaine d’années après, publié le texte lui-même, de façon plus confidentielle, dans le bulletin des Amies et amis de la Commune (nos 5 (1976), 7 (1977), 11, 12 (1978) et 14 (1979)).

Voici ce que Lisbonne a écrit de ses intentions à son ami Humbert :

Mon intention était d’attendre ma rentrée, soit en exil, soit à Paris, pour le faire publier en volume et te le donner ensuite pour le faire paraître en feuilleton dans un de tes journaux. J’ai pensé et je pense encore qu’avec les événements passés au sujet de l’amnistie, je pourrais trop tarder pour cette publication […]

Je reviendrai dans un article ultérieur sur cette (non-)publication. C’est sans doute parce qu’il était l’ami et le beau-frère d’Humbert qu’Edmond Lepelletier a été ensuite possesseur du manuscrit qu’il a décrit ainsi dans le deuxième volume de son livre :

Ses « Souvenirs », signés du pseudonyme transparent de Portugal, écrits à la presqu’île Ducos, et demeurés inédits, sauf quelque communications faites à des amis, comme Gaston Da Costa [lui aussi ancien bagnard], et dont je déchiffre, sur les feuillets jaunis [il n’y a que vingt-sept pages], l’écriture menue, belle, mais serrée et fine, et presque effacée, à la mauvaise encre pâlie, où l’on reconnaît la préoccupation d’économiser le papier, soit afin de mieux dissimuler l’écrit aux surveillants du pénitencier, soit pour transporter plus aisément le cahier confidentiel dans les déplacements et les corvées du bagne ou du camp de déportation […]

C’est la veuve d’Edmond Lepelletier (remariée à un M. Moulusson dont elle était aussi veuve) qui a cherché le manuscrit pour le remettre à Marcel Cerf, en 1956 si j’ai bien compris. C’était une très vieille dame, elle avait rencontré Maxime Lisbonne, elle a ainsi fait le lien entre lui et son biographe. Le manuscrit est désormais dans le fonds Marcel Cerf de la Bibliothèque historique de la ville de Paris, ce qui est sans doute le meilleur choix possible : l’accueil y est agréable et l’accès des documents aux chercheurs y est facile. Ainsi j’ai moi-même pu voir, toucher, feuilleter, lire… ce manuscrit (en juillet 2022) — et même le photographier (voir l’image de couverture).

J’ai écrit « source principale » parce qu’il y en a une autre, le journal L’Ami du Peuple, que Maxime Lisbonne a fait paraître en 1884-1885 (dans lequel j’ai déjà puisé notamment sur l’actualité de mai 1885) et dans lequel, peut-être lassé d’attendre une publication par Humbert, il a publié, en feuilleton, des « Souvenirs du 18 mars 1871 jusqu’à l’amnistie ». La publication n’est pas allée jusqu’à l’amnistie — le manuscrit d’Humbert n’allait pas jusque là de toute façon — mais ce feuilleton va plus loin que le manuscrit. De toute évidence, Maxime Lisbonne avait conservé une copie de son texte, et c’est sans doute celle-ci que Gaston Da Costa a utilisée dans son livre, ainsi que nous l’a dit Lepelletier.

Les souvenirs de Maxime Lisbonne ne constituent pas une « histoire de la Commune », encore une… il le dit d’entrée, son concours politique aurait été peu sérieux, il s’est réservé pour l’action. On n’y trouve pas une étude de la Commune du point de vue politique ou social. Comme le dit si bien Marcel Cerf, il a été un « vaillant soldat républicain » pendant la Commune et il est revenu du bagne « socialiste sentimental ». Il propose aussi le point de vue d’un membre du Comité central de la garde nationale, pas d’un membre de la Commune.

À suivre

*

Avec mes remerciements à Pascal Baumer, qui m’a montré les numéros introuvables de La Commune dans la bibliothèque des Amies et amis de la Commune.

Livres cités

Cerf (Marcel), Le d’Artagnan de la Commune : le colonel Maxime Lisbonne, Éditions du Panorama (1967).

Du Camp (Maxime)Les Convulsions de Paris, Paris, Hachette (1879).

Monteil (Edgar)Souvenirs de la Commune, Charavay frères (1883).

Lepelletier (Edmond)Histoire de la Commune (en trois tomes), Paris, Mercure de France (1911).

Da Costa (Gaston)La Commune vécue (trois volumes), Ancienne Maison Quantin (1903-1905).