En continuant, comme dans l’article précédent de cette série, à lire le volume 2 du livre de Lepelletier, on trouve :

il ne se présenta pas aux élections communales. Il se borna, comme colonel, à conduire au feu ses bataillons, recherchant les endroits où le danger était le plus vif. Il ne se trouvait à sa place qu’aux avants-postes. Dans la lutte désespérée des derniers jours, il fut debout jusqu’à ce qu’une balle lui ayant brisé la cuisse, à la barricade du boulevard du Temple [je la qualifierais plutôt de « du boulevard Voltaire »], il se trouva hors de combat. Amputé de la jambe gauche, il fut conduit prisonnier à Versailles et condamné à mort.

Nous l’avons vu blessé le 25 mai sur le boulevard Voltaire. Nous avons vu aussi que sa peine avait été commuée en travaux forcés à perpétuité. Mais Lepelletier le dit « amputé ». Sa veuve a dit à Marcel Cerf qu’elle l’avait connu, nous sommes donc obligés de prêter attention à cette question : Maxime Lisbonne était-il amputé ? Bien sûr Marcel Cerf s’est lui aussi posé la question. Il ne dit jamais que Lisbonne était amputé. On va le voir en lisant ses souvenirs, Lisbonne lui-même ne parle pas d’amputation, bien qu’il donne, au fur et à mesure de l’histoire, des nouvelles de sa très douloureuse blessure. Il existe des images qui le représentent, après l’amnistie, avec deux jambes, mais bien sûr, il pouvait avoir une jambe de bois. Vue la façon dont les prisonniers communards étaient traités, il ne l’aurait certainement pas eue avant son départ pour la Nouvelle-Calédonie. Son signalement sur sa fiche de bagnard contient une information pas très lisible, en réponse à « Signes particuliers » :

Infirme de la jambe gauche, très fte C. à la jambe gauche.

Le « C. » est évidemment pour « cicatrice » (il en a une autre au ventre). La jambe gauche semble présente. Un petit extrait de la lettre à Humbert accompagnant le manuscrit clôt la question. Il s’agit d’un certificat médical (destiné à faire améliorer son traitement au bagne) :

Je soussigné Médecin Major de la presqu’île Ducos, certifie que le transporté de la Commune 4589 Lisbonne est atteint d’une fracture comminutive ancienne du fémur gauche qui le met dans l’impossibilité de travailler au Génie […]

Il avait donc un fémur gauche ! Et certainement aussi un tibia et un péroné, dont l’absence serait mentionnée là! Ouf ! Et voici une preuve encore plus définitive, une image. Elle est parue dans le numéro 3 de la très confidentielle Gazette du bagne, datée du 15 novembre 1885. Maxime Lisbonne y a publié un dessin représentant le « ferrement » de son ami Maroteau, à son arrivée au bagne de Toulon. Gustave Maroteau, comme nous le savons, était très malade. Il est ferré, allongé sur un brancard. Honte à la « justice » française !

C’est bien sûr une œuvre d’imagination : Maroteau est arrivé à Toulon le 7 février 1872 et Lisbonne, qui s’est représenté lui-même, attendant son tour, n’y est arrivé que le 20 novembre 1872. Mais il s’est représenté sur ses deux jambes, avec deux béquilles.

Et pourtant… lors de son retour à Paris, Rochefort organise une soirée de soutien au théâtre du Château-d’Eau. À un journaliste du Figaro, Maxime Lisbonne parle d’un chirurgien qui pourrait lui faire un appareil grâce auquel il pourrait marcher sans béquilles… Et on trouve aujourd’hui des gens pour lire dans cet article qu’il était amputé et recherchait une prothèse…

Livres cités

Lepelletier (Edmond)Histoire de la Commune (en trois tomes), Paris, Mercure de France (1911).