Le texte que je publie est fondé sur celui que Maxime Lisbonne a publié en feuilleton dans L’Ami du Peuple en 1884-85, mais il ne lui est pas absolument identique. Je l’ai copié, puis comparé au manuscrit qui se trouve à la Bibliothèque historique de la ville de Paris (voir un article précédent) et j’ai parfois choisi cette version, quand elle était plus longue, ou plus claire, ou plus explicite. La division en chapitres ne coïncidant pas dans les deux versions, j’ai introduit ma propre division. J’interromps parfois le texte par des explications, des informations, ou des commentaires, entre crochets [comme ça] et d’une couleur différente. Si les reproductions « pourries » du journal que j’ai utilisées rendent parfois le feuilleton difficile à lire, le manuscrit, lui, est extrêmement clair et bien écrit. Une remarque qui pourrait s’ajouter à toutes celles qui pourraient surgir des quelques notes biographiques d’un article précédent serait: ce garçon indiscipliné, qui s’est engagé dans la marine à l’âge de quinze ans, puis dans l’armée à dix-huit ans, est allé assez longtemps au collège et y a été assidu pour y apprendre à très bien écrire !
Cela commence ici, en 1870 et aussi le 27 novembre 1884 dans L’Ami du Peuple, sous le titre
Souvenirs du 18 mars 1871
Jusqu’à l’amnistie
même si ça ne va pas jusque là. D’ailleurs le manuscrit porte le titre plus modeste
Souvenirs du 18 mars 1871 au 26 mai
et cela commence, comme il se doit, par une
Préface
Le plus grand nombre des récits qui ont été faits sur la Révolution de 1871 ont été puisés soit dans les journaux officiels, soit dans des récits incomplets et souvent inexacts. Souvent aussi, ils ont été inspirés par des sentiments passionnés qui en ont écarté toute sincérité. Aussi les événements y sont-ils présentés la plupart du temps sous un jour faux et avec des détails erronés qui égarent le lecteur, et lui rendent impossible une juste appréciation des faits et des hommes.
Acteur dans cette grande lutte depuis le 18 mars jusqu’au 26 mai (époque où ma blessure me réduisit à l’inaction) j’ai pris au jour le jour pendant toute la période révolutionnaire des notes que je livre, aujourd’hui, à la publicité.
Cet ouvrage n’a donc pas la prétention d’être un historique complet de la Révolution de 1871. Il ne sera que le récit des événements dans lesquels j’ai pris une part directe, mais j’espère que sa sincérité et son exactitude en feront une œuvre utile pour ceux qui voudront entreprendre un travail d’ensemble sur cette remarquable époque.
Je puis dire hautement que ce n’est pas l’ambition qui me pousse à écrire ce volume. Par le passage suivant d’une lettre que j’adressais au colonel Charles Duval de la garde nationale en 1870 après la bataille de Buzenval [sur la bataille de Buzenval le 19 janvier 1871, voir cet article et ceux qui l’entourent sur ce site], on verra que j’ai toujours compris que défendre la République était un devoir et non pas, comme le croient beaucoup de nos députés actuels, un moyen d’arriver aux honneurs et au pouvoir.
Mon Colonel,
Après vous avoir donné les noms des braves citoyens tués à Buzenval pour la Patrie et la République, je vous ajoute les noms de ceux qui ont été blessés grièvement, afin que vous puissiez obtenir, de M. le générale en chef de la garde nationale, la récompense que vous désirez demander pour eux.
Je termine, mon colonel, en vous réitérant la défense formelle que je vous a faite à Arcueil lors de votre rapport au général Corréard sur la conduite que j’avais tenue à la reconnaissance du parc de Bagneux occupé par les Prussiens.
Je ne désire aucune récompense. Le républicain dévoué, convaincu, ne doit voir dans le sacrifice de sa vie qu’un devoir qu’il accomplit, et non pas une voie ouverte à son ambition.
M. Charles Duval existe, j’en appelle à son témoignage.
Je n’avais qu’un désir: aider à la conclusion d’une paix honorable qui m’eût permis de rentrer dans la vie privée. Ce désir était le même au 18 mars, que nous eussions été vainqueurs, je ne me fusse pas écarté de cette ligne de conduite.
Les services que j’ai rendus à la République sont trop peu importants pour que je puisse jamais prétendre à siéger dans une assemblée. Mais en supposant qu’une circonstance imprévue m’ouvrît les portes de la députation, je refuserais.
Je refuserais parce qu’il me serait impossible dans une assemblée, telle qu’elle est composée aujourd’hui et qu’elle le sera encore longtemps, d’entendre dire avec le sang froid et la patience qui doivent caractériser le député:
L’Honorable M. Rouher, le complice pendant 20 années du régime Bonaparte. [Ce ministre de Napoléon III avait été élu sous la République député du Puy-de-Dôme, mais il est mort avant la publication du feuilleton, le 3 février 1884.]
L’Honorable Canrobert, l’homme du 2 décembre [auteur d’un carnage le 4 décembre 1851 sur les grands boulevards, un des acteurs aussi de la guerre de Crimée à laquelle Maxime Lisbonne a participée ou assisté].
L’Honorable Vinoy, le capitulard de 1870.
L’Honorable Dufaure, le promoteur des lois d’exception qui nous envoyèrent au bagne [Jules Dufaure était alors le ministre de la justice, mais il est mort en 1881].
L’Honorable Mac-Mahon, l’exécuteur des hautes œuvres de M. Thiers en 1871
[Pour une raison difficile à comprendre, ML n’a pas inclus dans son feuilleton « l’Honorable Galliffet, le massacreur de Mai », qui est dans le manuscrit.].
Les honorables de la gauche dont la plupart ont voté l’amnistie en 1876 sachant bien qu’elle ne serait pas acceptée; ou qui déposaient des demandes d’amnistie, excepté pour les crimes de droit commun, comme s’ils ignoraient qu’en Révolution tous les moyens sont légaux quand ils ont un but général et dans l’intérêt de la cause que l’on veut faire prévaloir [Sur les batailles de l’amnistie, voir nos articles, celui-ci et les suivants, ainsi que les présentations de La Semaine de Mai, ici, là et aussi là. Ne pas oublier que le texte de Maxime Lisbonne a été écrit avant le vote de l’amnistie plénière en 1880].
(À suivre)