Je continue à publier les souvenirs de Maxime Lisbonne (pour le début, cliquer ici, pour l’épisode précédent, cliquer là). Je rappelle que les dates figurant dans cette série « Souvenirs de Maxime Lisbonne » sont les dates de parution (de la partie du texte qui suit telle ou telle date) dans L’Ami du Peuple, en 1884.

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À ce moment, Brunel et Protot arrivèrent avec M. Adam [Adolphe Adam avait été élu adjoint au maire du premier arrondissement en novembre 1870, voir cet article]. Le maire consentit aux propositions qui lui étaient faites et adhéra au Comité central. [Je suppose que cette « adhésion » consiste dans cet accord aux propositions.]

Ici, je crois pouvoir rappeler une circonstance bizarre de cet épisode. Lorsque je commandai au maréchal-des-logis Pélissier de mettre en batterie ces deux pièces et au moment où il ouvrit un des caissons de munitions il s’aperçut qu’on avait oublié d’y mettre les projectiles nécessaires.

Les Guyet de l’artillerie [Pierre Guyet fut chef de l’artillerie au ministère de la Guerre où, dit Lissagaray, « il embrouillait les munitions ». Sans doute un agent versaillais.] commençaient déjà leur honorable métier.

À l’étonnement qui se peignit sur son visage, je compris ce qui se passait, et, quand il vint pour m’annoncer ce fâcheux oubli, je l’arrêtai tout court, en lui disant: « Silence. J’ai tout vu. » [Après tout, il suffit que ceux sur lesquels les pièces sont braquées croient qu’elles sont chargées…]

Le calme se rétablit et nous nous dirigeâmes sur la mairie du 2e arrondissement, rue de la Banque.
En arrivant à la rue Croix-des-Petits-Champs nous trouvâmes une barricade qu’avaient élevée contre nous les gardes nationaux de la réaction. Mais comme il ne fallait pas leur faire croire que le quartier général qui s’était installé à cette mairie pouvait nous en imposer, je sommai les fédérés de l’Ordre, comme ils s’intitulaient, de nous livrer passage et m’apprêtai en même temps à attaquer la barricade.

Au même instant, M. Tirard, maire du 2ème arrondissement arriva, se jeta dans les bras de quelques fédérés en les embrassant, et fit appel à la concorde. On nous livra passage. Brunel, Protot et moi montâmes à la mairie afin de nous entendre s’il se pouvait avec les chefs réactionnaires.
Parmi eux étaient Schœlcher, Langlois, Dubail, Bonvalet, etc. [Victor Schœlcher et Amédée Jérôme Langlois étaient députés de la Seine, René Dubail était le maire du 10e et Théodore Bonvalet celui du 3e. Bonvalet était loin d’être le plus réactionnaire.] Après bien des pourparlers, l’arrondissement consentit à reconnaître l’autorité du Comité central. Il fut convenu que les élections des membres de la Commune se feraient le 28 mars et la nomination du général en chef de la garde nationale le 2 avril.
Ce compromis fut signé par les membres du Comité et par les Municipalités présents. On se retira et nous rentrâmes à l’Hôtel de Ville par la rue Vivienne, la ligne des boulevards, en gagnant ensuite la rue de Rivoli par le boulevard Sébastopol.

Les fédérés portèrent leurs fusil la crosse en l’air pour montrer que cette promenade était toute pacifique. De tous côtés la nouvelle de cette conciliation circulait.
Nous rendîmes compte au Comité de notre mission; mais quel fut mon étonnement de nous entendre blâmer par quelques membres et principalement par Ranvier!
La date convenue pour les élections ne convenait pas au Comité. Ranvier ne voyait dans cette entente que du temps gagné dans l’intérêt de Versailles, et le résultat de nos démarches fut annulé. On fit immédiatement prévenir les maires de Paris de vouloir bien se rendre à l’Hôtel de Ville le soir même à minuit, et la discussion fut reprise. Les élections furent avancées de deux jours et l’élection du général maintenue. [Sur les négociations avec les maires, voir mon article du 19 mars (2021). Il y a eu beaucoup de va et vient et de discussions entre les uns et les autres. Les élections avaient d’abord été fixées au 23, puis retardées. La négociation finale à l’Hôtel de Ville est bien racontée par Lissagaray. Elle a abouti à la convocation des électeurs le dimanche 26 mars, ce qui était déjà bien tard.]

Les maires s’engagèrent par une affiche posée à côté de celle du Comité à convoquer les citoyens le 26 mars pour élire un Conseil municipal. [Il y a eu une déclaration, signée des maires et du Comité central. Maxime Lisbonne est d’ailleurs parmi les signataires, mais… il y en a eu deux versions, l’une donnant l’initiative aux maires et l’autre au Comité…]

26 décembre 1884

Le 26, les élections furent faites. Le 28 eut lieu la reconnaissance des membres de la Commune.

Cette cérémonie fut réellement imposante. Nullement copiée sur les réceptions officielles des régimes passés. On avait évité de retomber dans les pasquinades de l’Empire.

Sur une simple tribune élevée sous le pavillon Henri IV, ornée de drapeaux rouges, symboles de la République, les membres de la Commune se trouvaient groupés.

Plus de 200,000 gardes nationaux, la Ligue républicaine, les Francs-Maçons et une partie des écoles vinrent acclamer la Commune et défiler devant les membres de ce nouveau gouvernement du prolétaire qui était appelé à revendiquer les droits du peuple et à faire triompher la vraie, la seule au monde, la République sociale et démocratique.

Les 29, 30 et 31 mars je ne vis rien qui mérite d’être signalé. [Ici apparaît pleinement le fait que nous suivons le regard d’un membre du Comité central : les premières mesures « sociales et démocratiques » prises par l’assemblée communale ne méritent pas d’être signalées!]

Le Comité central alla se fixer aux Magasins réunis, puis rue de la Douane, et enfin en dernier lieu au Ministère de la Guerre.

(À suivre)

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J’ai utilisé l’image représentant quelques-uns des maires dont il  est question ici dans un article  consacré à leur élection en novembre 1870.

Livres cités

Lissagaray (Prosper-Olivier)Histoire de la Commune de 1871, (édition de 1896), La Découverte (1990).