La guerre continue. L’affiche que j’ai utilisée en couverture (et que j’ai trouvée au musée Carnavalet), si elle reproduit une dépêche envoyée par Gambetta de Tours le 11 novembre, n’a été affichée dans Paris que trois jours plus tard, le 14 novembre. Il n’y a guère, dans Paris, que des bruits, à propos d’Orléans, plus des rumeurs de négociations…
Mais que se passe-t-il dans le Paris populaire, ce 11 novembre?
La Patrie en danger, dans son numéro daté du 12 novembre, publie la liste des maires et adjoints élus quelques jours plus tôt (sur ces élections et sur les candidats soutenus par le journal, voir notre article du 5 novembre). D’abord le commentaire:
La mairie de Paris, ne s’étant pas soumise à la réélection, est hors la loi commune.
Il faudra attendre 1977 pour cela… En attendant, Jules Ferry est maire… Voici donc la liste des maires et adjoints des vingt arrondissements, avec quelques informations qui, bien sûr, n’étaient pas dans La Patrie en danger ce jour-là.
- 1er. — Tenaille-Saligny, maire; Meurizet, Adolphe Adam, Méline [Jules Méline, élu à la Commune le 26 mars, en démissionna presque aussitôt].
- 2e. — Tirard, maire; Brelay, Loiseau-Pinson [républicain et libre-penseur, il fut ensuite élu à la Commune le 26 mars prochain et en démissionna le 31], Chéron.
- 3e. — Bonvalet, maire; Cléray, Murat, Mousseron.
- 4e. — Vautrain, maire; Chatillon, Callon, Loiseau.
- 5e. — Vacherot, maire; Collin, Thomas, Jourdan.
- 6e. — Hérisson, maire [peut-être vous souvenez-vous de l’avoir rencontré? c’est lui qui, le 28 mai 1871, a marié Tony-Moilin et Lucie Repiquet]; Jozon, Le Roy, Lauth.
- 7e. — Arnaud, maire; Horus, Dargent, Bellaigue.
- 8e. — Carnot, maire; Denormandie, Belliard, Aubry.
- 9e. — Desmarest, maire; Émile Ferry, Alfred André, Gustave Nast.
- 10e. — Dubail, maire; Brelay, Murat [celui-ci est André Murat, que nous avons connu militant de l’Association internationale des travailleurs et comme tel condamné en juillet], Degouve-Denuncques.
- 11e. — Mottu [« le brave Mottu », comme on disait dans les clubs, destitué et… brillamment élu], maire; Blanchon, Poirier, Tolain [encore un internationaliste de la première heure — mais pas de la dernière, hélas].
- 12e. — Grivot, maire; Denizot, Dumas [nous avons rencontré Ernest Dumas avec quatre cents cadavres, après la semaine sanglante], Turillon.
- 13e. — Pernolet, maire; Combes, Bouvery, Meilliet [Léo Meilliet, signataire de l’Affiche rouge en janvier, internationaliste, élu à la Commune le 26 mars, ensuite condamné à mort par contumace].
- 14e. — Asseline, maire; Héligon [Jean Pierre Héligon, aussi un internationaliste « historique », trésorier, condamné lors du deuxième procès, et aussi du troisième, mais devenu adversaire résolu de l’Internationale], Nègre, Périn.
- 15e. — Corbon, maire; Jobbé-Duval, Deck, Michel.
- 16e. — Henri Martin, maire; Marmottan, Chaudet, Sevestre.
- 17e. — François Favre, maire; Villeneuve [Émile Villeneuve, médecin et blanquiste], Cacheux, Malon [je ne présente plus Benoît Malon, voir notamment ses articles dans La Marseillaise — c’est grâce à cette élection qu’il a célébré un mariage dont j’ai parlé aux tous débuts de ce site].
- 18e. — Clemenceau, maire; Lafont, Dereure [Simon Dereure, cordonnier et internationaliste, que nous avons connu à La Marseillaise, et qui a été élu ensuite à la Commune], Jaclard [Victor Jaclard, blanquiste, accusé de Blois, beau-frère de Sofia Kovalevskaïa, plus tard chef de la dix-septième légion, sur le boulevard Voltaire le 25 mai 1871, arrêté et évadé, est lui aussi un habitué de ce site].
- 19e. — Delescluze, maire [je vous laisse chercher toutes les fois que j’en ai parlé…]; Miot [Jules Miot, élu à la Commune par ce même arrondissement], Quentin [Charles Quentin, un journaliste républicain, déjà mentionné sur ce site à propos d’une élection en… 1879], Oudet [Émile Oudet, lui aussi élu à la Commune par cet arrondissement].
- 20e. — Ranvier, maire; Millière [Jean-Baptiste Millière, que nous avons beaucoup vu à La Marseillaise, et dont j’ai dû raconter la mort il y a bien longtemps], Flourens, Lefrançais.
Je n’en dis pas plus sur Gabriel Ranvier, Gustave Flourens et Gustave Lefrançais, je suis sûre que vous les connaissez. Et d’ailleurs, vous l’avez certainement remarqué, tous les élus du vingtième sont en prison. Comme le remarqua Albert Goullé dans le numéro daté du 15 novembre, toujours de La Patrie en danger:
Si non, c’est-à-dire si les fourbes que les suffrages du 3 novembre ont absous n’ont pas le droit de déchirer le mandat confié aux citoyens Ranvier, Millière, Flourens et Lefrançais, et qui équivaut à une amnistie populaire, la séquestration de ces citoyens est une illégalité monstrueuse. Louis-Bonaparte lui-même n’a pas osé procéder ainsi vis-à-vis de Rochefort; il a voulu donner à l’arrestation d’un mandataire du peuple une apparence de légalité [souvenez-vous de cette tragi-comédie!].
Nos Républicains de l’Hôtel de Ville agissent plus lestement. Ils savent à propos n’être point formalistes. Cela ne les gêne nullement de souffleter l’arrondissement le plus patriote de Paris, et de dire aux dix-neuf autres: Je vous aurais traité de même si vous aviez fait comme celui-là. parisiens, nous vous avons consultés: c’était pour nous moquer de vous.
Commentaire de Gustave Lefrançais, dans ses Souvenirs:
Non contente de reprendre la tradition chère aux républicains de 1848 et de transformer en crimes de droit commun les faits ordinairement qualifiés crimes politiques, la Défense pousse l’impudence jusqu’aux dernières limites et prétend faire annuler l’élection de Ranvier comme maire du XXe arrondissement, prétextant sa situation de failli non réhabilité.
Notre brave ami a été mis autrefois en faillite par suite d’un procès que lui a fait la maison Goupil à propos d’une prétendue contrefaçon de ses modèles. Mais depuis cette époque, il a désintéressé tous les créanciers, à un dixième près, qu’il allait leur payer lorsqu’est arrivée la déclaration de guerre.
Tel est l’homme qu’ils veulent faire passer pour indigne de tous droits civiques.
Ce qu’il y a de joli, c’est que ces ignobles farceurs feignent d’oublier qu’il y a quelques jours encore, Paris avait à sa tête, comme premier magistrat municipal — imposé par eux le 4 septembre–, le sieur Étienne Arago, mis en faillite avant le 24 février 1848, comme directeur du Vaudeville, jamais réhabilité et qui, en 1848, était représentant du peuple et directeur des Postes.
Mais qui donc administre l’arrondissement?
Eh bien, une « commission municipale ». Voici ce qu’en dit le comité de vigilance du vingtième arrondissement, publié dans La Patrie en danger datée du 13 novembre:
Aux électeurs
du 20e arrondissement
Citoyens,
Le comité de vigilance du 20e arrondissement a cru de son devoir de vous prévenir que les citoyens Ranvier, Flourens, Millière et Lefrançais que vous avez élus pour composer votre municipalité, sont les uns en prison, les autres sous le coup d’une arrestation dont le prétexte est la manifestation du 31 octobre.
Le gouvernement de la défense nationale, ne tenant aucun compte de la volonté exprimée par les électeurs du XXe arrondissement, vient d’annuler, au moins momentanément, le mandat qu’ils ont confié aux citoyens Ranvier, Millière, Flourens et Lefrançais en nommant une commission de sept membres, commission exclusivement composée d’hommes appartenant au parti de la municipalité déchue.
Cette commission fonctionne sans que le peuple ait sanctionné sa mission.
Considérant que le [peuple] souverain a seul le droit d’élire sa municipalité, le Comité de vigilance déclare que la décision prise par le gouvernement est une violation du suffrage universel et le somme d’expliquer aux électeurs en vertu de quel droit il a substitué une commission nommée par lui à leurs véritables mandataires.
Les membres du Comité
J. Vallès, Dumont, Gaillard père,
Gaillard fils, P. Mallet, Bologne, Vasseron,
Lavalette, Vermorel, Millière, Pischof, Villers,
Briosne, Mabille, Tridon, Vésinier, Fonsèque,
Cattiau, Jacquinet, L. Goutard
Gabriel Ranvier s’exprimera lui-même, voir notre article du 19 novembre.
Livre utilisé
Lefrançais (Gustave), Souvenirs d’un révolutionnaire, La Fabrique éditions (2013).
Cet article a été préparé en août 2020.