Huit communardes ont été condamnées à mort, dont la peine a été commuée en travaux forcés à perpétuité.
Les voici par ordre alphabétique
- Marceline (Marcellienne) Expilly (épouse Adolphe)
- Marguerite Guinder (épouse Prévost), notre Marguerite Lachaise (nous l’avons rencontrée plusieurs fois, en particulier ici),
- Joséphine Marchais (voir le procès des pétroleuses),
- Anne Marie Ménand, dont une photographie fait la couverture de cet article,
- Marie Jeanne Moussu (épouse Gourier),
- Elisabeth Rétiffe (voir le procès des pétroleuses),
- Léontine Suétens (voir le procès des pétroleuses),
- Marie Wolff (épouse Guiard) (voir nos articles précédents, ici et là).
Anne Marie Ménand est morte à la prison d’Auberive (dans la Haute-Marne, voir aussi cet article ancien) le 14 novembre 1872.
Elles ne sont plus que sept.
Double peine : on les envoie en Guyane et pas, comme les autres condamnées communardes (et communards), en Nouvelle-Calédonie. L’insalubrité reconnue de la Guyane (ou du moins de ses lieux d’enfermement) les condamne à une mort certaine, ou sans doute, on l’espère.
Le navire qui les emporte s’appelle L’Endurant (L’Entreprenante) et quitte Toulon le 1er septembre 1873. Elles ne sont pas seules à bord. Il y a avec elles d’autres condamnées, coupables de vol, d’infanticide ou d’assassinat — l’infanticide dans les classes pauvres au dix-neuvième siècle est l’équivalent de l’avortement au vingtième, beaucoup des infanticides sont des domestiques et subissent donc les travaux forcés après le viol (j’ai déjà évoqué cette question, une fois à la suite du jeune Maroteau et une autre à celle d’André Léo)…
Quarante-sept femmes de France, en toute illégalité : depuis 1869 (et l’ « Empire libéral ») seules les condamnées Antillaises et Arabes (algériennes, je suppose) sont censées subir leur peine en Guyane. Pour préciser les « classes pauvres » déjà nommées, sachez qu’il y avait en 1878 en Guyane 131 femmes bagnardes dont seulement 9 savaient lire et écrire (toutes les neuf étaient européennes…).
Elles arrivent après environ trois semaines de traversée, sans doute, suivant l’usage, après que les matelots aient « profité » d’elles (en d’autres termes, les aient violées). Un autre usage est de les débarquer pour un bref séjour aux Îles du Salut (inspection et visite médicale), puis de les envoyer à Saint-Laurent-du-Maroni et au « couvent » tenu par les sœurs de Saint-Joseph de Cluny (où elles sont incarcérées). Mais nos sept communardes commencent par rester aux Îles du Salut.
On ne sait rien de leurs conditions d’incarcération.
Commençons par Joséphine Marchais. Elle a commencé par s’évader, le 20 novembre, dit-on, certainement pas 1872, comme on le dit aussi (elle n’était pas encore en Guyane), mais peut-être 1873, rattrapée le 26. On dit qu’elle est morte le 20 février 1874 (autre tentative d’évasion ? mauvais traitements ? maladie?). Et il y a en effet un acte de décès à son nom, à Saint-Laurent-du-Maroni, dûment signé de deux « surveillants militaires ».
Elles ne sont plus que six.
Notez que quatre d’entre elles sont des femmes mariées (qu’elles aient quitté leur mari ou pas).
Il faut savoir que les femmes bagnardes de Guyane étaient supposées contribuer au peuplement de la colonie, en épousant des bagnards libérés. C’est ce qu’a fait Léontine Suétens, le 26 juin 1875, en épousant un bagnard nommé, non pas Ben Aïssa, dit Tafarani, comme on le lit dans le livre Les Femmes bagnardes, mais Aïssa ben Tafaraoui ben Tebra (de la tribu des Oued Ali, dans l’arrondissement d’Oran, dit leur acte de mariage). Si Léontine signait son nom avec difficulté, son époux ne signait pas du tout. Un bagnard libéré devait rester à perpétuité en Guyane. Ainsi, Léontine Suétens était coincée sur place elle aussi. Et en effet, elle y est restée jusqu’à sa mort à l’hôpital de Saint-Laurent-du-Maroni le 2 novembre 1891.
Il nous reste cinq femmes.
Dont quatre sont mariées. J’ajoute une lettre écrite, le 30 août 1877, par le gouverneur de la Guyane au ministre de la marine :
Il existe à la communauté de Saint Laurent du Maroni quatre femmes condamnées mariées en France qui ont été envoyées à différentes époques à la Guyane : les femmes Gourier, Gaillard, Adolphe et Prévost.
Conformément aux instructions contenues sur leurs feuilles originales leur condamnation prononcée pour faits insurrectionnels doit être subie à la Guyane. Il n’y a donc pas lieu de demander leur renvoi dans les maisons centrales de France, quoiqu’elles soient inutiles pour la colonisation.
Cette situation provoque de la part de ce personnel d’incessantes réclamations et crée de perpétuels embarras.
J’ai par suite Monsieur le ministre l’honneur de demander à votre Excellence l’autorisation de les placer en liberté provisoire ainsi que cela a eu lieu pour les femmes de race noire […]
Vous avez compris: comme elles sont mariées, on ne peut pas les utiliser pour augmenter la population… Une copie de cette lettre se trouve dans la demande de grâce de Marie Wolff (de Guiard à Guyard ou Guillard, la voici Gaillard), conservé aux archives nationales (BB/24/759), sans davantage d’informations. Il s’agit bien de nos quatre communardes mariées. Je ne sais pas si cette lettre a été suivie d’effet.
La suite au prochain épisode.
*
J’ai trouvé la photographie d’Anne Marie Ménand par Appert au musée Carnavalet.
Sources
Toujours le dossier de demande de grâce de Marie Wolff aux Archives nationales (BB/24/759), les archives nationales d’outre mer (en ligne) pour l’état civil en Guyane, et ici les livres:
Krakovitch (Odile), Les Femmes bagnardes, Olivier Orban (1990).
Thomas (Édith), Les Pétroleuses, Gallimard (1963), — réédition L’Amourier (2019).
*
Corrections en rouge ajoutées pendant que je préparais une série sur Marcellienne Expilly (avril 2024).