Suite de l’autobiographie de Charles Levaux, « beau réac ». Après 1848, nous en étions au 31 octobre 1870 et à l’Hôtel de Ville. Il écrit en vert et moi en noir.

M. Charles Ferry [député des Vosges lorsque Levaux écrit la lettre que nous lisons , frère de Jules Ferry, qui était mort l’année précédente et ne pouvait donc plus témoigner…] dont le frère était prisonnier, donnera les mêmes renseignements et ajoutera que c’est en partie à moi que son frère Jules Ferry a dû de pouvoir se sauver.
Enfin, M. de Crisenoy, ex-commandant du 17e bataillon (aujourd’hui receveur à Passy) vous dira qu’à cette affaire du 31 octobre, ayant trouvé qu’il avait charge d’âmes, il n’avait pas voulu me suivre jusqu’à la salle de la Commune [l’appeler ainsi anticipe un peu] où se trouvait prisonnier tout le gouvernement provisoire et m’avait abandonné à la porte, ainsi que M. Roquedat, officier d’état-major, qui nous avait conduits à travers les cours, salles et corridors de l’Hôtel de Ville.
C’est alors que ce dernier et moi nous avons protesté contre l’établissement de la Commune et surtout contre l’incarcération du gouvernement provisoire.
Mais immédiatement, Delecluse [sic] président de la Commune, et Flourens colonel des Tirailleurs ont donné l’ordre à Tibaldi, commandant de ces derniers, de nous frapper, nous arracher nos képis, et finalement nous placer chacun entre quatre tirailleurs avec la consigne de nous fusiller si nous cherchions à nous évader. [Un autre membre du 17e bataillon, nommé Sénevas, que m’a aussi indiqué Maxime Jourdan, et dont je reparlerai, a publié en 1871 ses souvenirs du siège, en particulier du 31 octobre. Levaux y est mentionné une seule fois :

Seul le capitaine Levaux, de la 8e compagnie sédentaire, pénètre dans cette salle et est immédiatement fait prisonnier.]

Mais dans la soirée je profitai d’un moment favorable pour m’échapper et aller rejoindre mon bataillon. À mon grand regret, M. de Crisenoy, découragé, quittait l’Hotel de Ville.
C’est alors que je lui proposai de remonter avec deux compagnies (dont la mienne) seulement, me faisant fort de délivrer tout le gouvernement provisoire.
Mais, pour le même motif que dessus, M. de Crisenoy m’a refusé.
Donc, tout ce que j’ai fait le 31 octobre a été purement volontaire et spontané. Du reste, c’est dans ce sens que m’ont été adressées des félicitations, notamment celles de Jules Favre, Jules Ferry, la Chambre des avoués. [À notre grand regret, nous devons remarquer qu’il ne dit pas ce qu’il a fait, précisément. Pour une histoire « côté 17e bataillon » du 31 octobre, voir deux relations par un carabinier volontaire, celle de Sénevas dans son livre, et celle d’ « un carabinier » en feuilleton dans Le Français (14 mars 1872 et jours suivants). Même si Levaux joue un plus grand rôle dans ce feuilleton que dans la brochure de Sénevas, il est bien possible que Sévenas en soit l’auteur. Nous allons voir qu’il a eu l’occasion d’entendre la version de Levaux au moment même où le feuilleton paraissait. Mais n’anticipons pas.]

[Et voici la Commune.]

J’arrive à d’autres actes tout à fait en dehors de mes fonctions de Capitaine de la Garde nationale.
Ainsi, dès les premiers jours de la Commune, après la manifestation de la Place Vendôme (où mon pauvre fils a essuyé la fusillade des Assassins) [deux mots ici sur le « pauvre fils ». Le fils de Charles Levaux, Albert Levaux, avait 21 ans en 1871, il lui a succédé comme avoué en 1883 (il avait donc essuyé la fusillade sans suite grave) mais est mort en juin 1885,

emporté par la cruelle maladie qui, depuis quelque temps déjà, le tenait éloigné du Palais

(dit la rubrique nécrologique du Droit le 21 juin 1885), c’est cette cruelle maladie qui est, à n’en pas douter, la source de l’expression « mon pauvre fils ». Quant aux « Assassins », auxquels j’ai gardé leur majuscule, j’ai déjà écrit plusieurs articles sur les honnêtes amis de l’ordre venus manifester pacifiquement (mais armés de revolvers), auxquels je renvoie, ici, ou encore ici, et même .], presque tous les officiers de la Garde nationale avaient abandonné Paris et plusieurs s’étaient retirés à Versailles [il est question bien sûr des officiers des bataillons « de l’ordre »…].
Au contraire, j’ai refusé de quitter mon domicile (bien que j’aie été condamné à mort par la Commune [une assertion dont je ne connais pas la source mais qui rappelle une note de Senevas, qui dit dans la brochure déjà citée, à propos du 31 octobre :

C’est à ces faits que je dois d’avoir été condamné à mort le 19 mars par le comité insurrectionnel présidé par Blanqui.

Je ne sais pas ce qu’il appelait « comité insurrectionnel », mais je sais que Blanqui avait été arrêté sur ordre de Thiers le 17 mars, et je me permets de supposer que la « condamnation à mort » de Charles Levaux était aussi véridique que celle-ci!]) non pour y continuer mon service puisque je n’en avais plus à faire, mais pour lutter contre la Commune.

[Nous lirons la suite dans le prochain article.]

*

Encore une fois merci à Maxime Jourdan.

Je ne résiste pas au plaisir d’utiliser encore une fois la belle gravure de Lançon rue de la Paix après la manifestation du 22 mars (première utilisation là).

Livre cité

Sénevas (Raoul Terrasson de), Le Siège de Paris 1870-1871, Souvenirs personnels d’un volontaire, Imprimerie d’Auguste Hérissey (Évreux) (1871).