Suite de l’autobiographie de Charles Levaux, « beau réac ». Après 1848, le 31 octobre 1870, nous en sommes à la Commune. Il écrit en vert, moi en noir. Et cette fois, c’est moi qui commence.

[Il est un peu étonnant qu’il n’en dise pas plus sur la façon dont son bataillon et lui-même ont tenté de défendre la mairie du septième, comme il l’a fait dans une longue lettre que le Journal des Débats a publiée le 19 juin 1871.]

En effet, j’ai tenté de faire à l’intérieur ce que mon cousin Ducatel a pu réaliser à l’extérieur [Ducatel est l’espion qui a signalé aux troupes versaillaises la possibilité d’entrer dans Paris le 21 mai 1871. Je n’ai pas eu l’énergie d’aller chercher comment ces deux beaux réacs étaient cousins. Il est certain que Ducatel a été récompensé avant Levaux (légion d’honneur dès le 1er juillet 1871) et qu’il a touché beaucoup d’argent en récompense de son haut fait d’armes, de la part du gouvernement, mais aussi grâce à une souscription ouverte par notre cher Figaro. Malgré cette décoration précoce, il n’a pas eu droit à une pension non plus : il n’était ni militaire ni garde national, mais employé du ministère des travaux publics.].
Ainsi, d’accord avec M. Muriel et d’autres qui étaient à Versailles je devais livrer nos 200 bons fusils (cachés dans les caves du Conseil d’État) aux Gardiens de la Pais, Gendarmes et autres qui devaient entrer secrètement dans Paris ; puis nous allions prendre une des trois Portes de la rive gauche [Il y a plus de trois portes de Paris sur la rive gauche. Il est sans doute question ici de celles donnant accès au fort d’Issy, chemin d’accès de Versailles à Paris.].
Mais M. Thiers a refusé d’accepter cette combinaison comme il avait refusé celle de Ducatel.
En outre, j’étais en rapports continuels avec ce pauvre commandant Durouchoux qui s’était retiré à Versailles et venait me voir très souvent.

[D’après Lissagaray, Durouchoux, négociant en vin, recrutait des bataillons occultes qui occuperaient les points stratégiques le moment venu, il a été tué à proximité immédiate de chez Levaux lors de la prise du septième arrondissement le 22 mai.]

Or, les chefs de la Commune (Delescluze, Piat, Raoul Rigault, etc.) avaient fait poser en face de ma maison un Officier qui ordonnait l’arrestation et la mise en Jugement immédiat de tous ceux qui étaient en communication avec Versailles.
Il serait trop long de vous raconter l’historique de tout ce qui a trait aux arrestations et tentatives d’arrestation dont j’ai été l’objet pendant le long règne de la Commune.
J’arrive à ma conduite pendant les journées du Lundi 22 mai, Mardi 23 mai et matinée du Mercredi 23 mai [nous voici donc à la Semaine sanglante.].
Cette conduite était bien étrangère à mes fonctions de Capitaine de la Garde nationale.
En effet, le Lundi matin, Raoul Rigault et ferré, accompagnés d’une dizaine de Vengeurs de Flourens sont venus faire le siège de ma Maison dont la Porte cochère était fermée. J’ai voulu, résister, revolver en mains. Mais j’ai dû céder et alors Raoul Rigault et Ferré ont donné l’ordre à un Vengeur de « Foutre le Feu à ma Cambuse, aussitôt que les troupes de Versailles seraient arrivées dans le quartier » [Voilà un « condamné à mort » bien traité… il n’a même pas été arrêté!].
Cependant, j’avais fait savoir à ces Misérables que je me défendrais jusqu’à la dernière extrémité contre l’incendie de ma maison.
Dans la journée de Mardi, les troupes s’étaient avancées du côté de la Croix-Rouge, par le Palais-Bourbon.
C’est alors que les Insurgés mirent le feu à la Légion d’honneur, au Conseil d’État rue de Lille, etc. [Regardez le plan en couverture : notre beau réac est aux premières loges.]
Mais le moment critique pour ma famille et pour moi allait arriver ; et c’est alors que je préparai le sauvetage de celle-ci, au moyen d’échelles, vers l’hôtel de Chimay converti en ambulance.
Quant à moi, je résolus plus que jamais de me défendre contre ces incendiaires. Ils étaient une dizaine (dont le fameux sergent Dubois) [Alexandre Dubois, sergent aux Vengeurs de Flourens (et voisin de Louis Richard, dont j’ai parlé le 30 novembre 2020, me glisse Maxime Jourdan). Un peu de patience, nous allons voir Levaux témoigner contre lui dans le prochain article.] mais de mon côté j’étais bien armé en revolvers, casse-tête, etc., etc. De plus, je connaissais toutes les cachettes de ma maison.
Cependant, n’est-il pas incontestable que si dans des circonstances aussi terribles, je m’étais sauvé comme les autres, Personne n’aurait eu le droit de m’accuser de faiblesse ?
Or, si j’avais pris ce parti en désespoir de résistance possible, ma Maison, l’hôtel de Chimay, le Palais des Beaux-Arts etc., etc. auraient été incendiés immédiatement [Voir le plan.].
Mais, dès que le sergent Dubois et sa troupe eurent connu ma résolution, ils ne s’occupèrent plus que de résister aux Troupes de Versailles, le plus longtemps pour ensuite aller rejoindre la Barricade de la rue Bonaparte.
En outre, c’est ma persistance à résister jusqu’à la dernière extrémité qui m’a permis de rendre deux grands services, le premier d’empêcher les Marins d’aller se faire mitrailler inutilement devant la Barricade de la rue Bonaparte au coin du Quai, le second de faire prendre au Colonel de Langourian (décédé Général) [Langourian avait été arrêté en mars puis relâché avec le général Chanzy — lequel avait promis de ne pas attaquer la Commune (mais pas Langourian). Il n’est pas sûr qu’il ait réalisé tout ce qu’il devait à Levaux… et que voici] deux Barricades à revers, ce qui lui a permis de s’emparer vivement de l’Institut et de l’hôtel de [la] Monnaie.
Tel est le résumé des Principaux actes de courage et de sauvetage qui méritaient la décoration militaire de la Légion d’honneur.

[Suite de cette épopée dans l’article suivant.]

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Toujours merci à Maxime Jourdan. Toujours un extrait de mon plan de Paris habituel en couverture.

Livre cité

Lissagaray (Prosper-Olivier)Histoire de la Commune de 1871, (édition de 1896), La Découverte (1990).