Le 18 avril à dix heures du soir, la Commune tient sa deuxième séance de la journée. Celle-là a lieu « en comité secret ». Elle se prononce, à l’unanimité moins une voix, pour ce qu’elle appelle le « programme de la Commune ».

Le texte se nomme « Déclaration de la Commune de Paris Au peuple français ». Il porte la date du 19 avril (la réunion s’est terminée tard dans la nuit). Il est publié le 20 dans le JO, matin et soir (dans le numéro daté du 21 pour le petit JO), dans Le Cri du peuple (numéro daté du 21), dans La Sociale le 21 (numéro daté du 22) et dans d’autres journaux. Il est aussi affiché sur tous les murs de Paris.

Vous pouvez le lire dans son intégralité ici (la une du Cri daté 21 avril).

Ce n’est certes pas un virulent texte socialiste. Pour résumer, Paris réclame la République, et l’autonomie de la Commune (étendue à toutes les communes de France). On pourra remarquer qu’adopter ce programme fut beaucoup plus rapide que de prendre des mesures sur les Monts-de-piété, par exemple.

La propriété et les « réformes économiques » apparaissent dans le seul paragraphe:

Mais, à la faveur de son autonomie, et profitant de sa liberté d’action, Paris se réserve d’opérer comme il l’entendra chez lui, les réformes administratives et économiques que réclame sa population, de créer des institutions propres à développer et propager l’instruction, la production, l’échange et le crédit, à universaliser le pouvoir et la propriété, suivant les nécessités du moment, le vœu des intéressés et les données fournies par l’expérience.

… même si ces révolutionnaires annoncent la fin du vieux monde, ce qui permet au mot « prolétariat » de figurer quand même dans le texte:

C’est la fin du vieux monde gouvernemental et clérical, du militarisme, du fonctionnarisme, de l’exploitation, de l’agiotage, des monopoles, des privilèges, auxquels le prolétariat doit son servage, la patrie ses malheurs et ses désastres.

C’est bien vague… La « rénovation sociale tout entière, assurant le règne du travail et de la justice » de l’adresse des citoyennes était plus claire… Passons.

Ce programme a été conçu, dans son ensemble et dans sa rédaction, par le citoyen Delescluze

a dit Vallès en le présentant. Il l’a lu, obtenant « l’approbation chaleureuse de l’assemblée », et Rastoul a remarqué:

C’est l’oraison funèbre du jacobinisme, prononcée par un de ses chefs.

L’association des différentes instances communales autonomes est en effet loin du jacobinisme, dont Delescluze était un des partisans. C’est bien plutôt une idée proudhonienne.

Voici une partie de ce que dit Lissagaray de cette déclaration:

Le 19, Jules Vallès, au nom de la commission chargée de rédiger un programme, présenta son travail ou plutôt le travail d’un autre. Triste symptôme et caractéristique des cinq membres de la commission, Delescluze fournit seul quelques passages — et encore; la partie technique fut l’œuvre d’un journaliste, Pierre Denis, proudhonien, ergoteur à humilier les héros de Pascal.

L’attribution à Pierre Denis semble faire l’unanimité chez les historiens, mais je ne sais pas avec certitude quelle en est la source. Lissagaray n’aimait pas Pierre Denis (cela apparait ici dans un article précédent). Pierre Denis est d’ailleurs un des (nombreux) mal-aimés de l’histoire de la Commune.

Je conclus par un avis positif et contemporain sur ce texte. Il est paru dans La Sociale daté du 22 avril (le 21, donc: c’est un journal du soir), le journal avait publié le texte lui-même la veille comme je l’ai signalé ci-dessus. Le programme de la Commune y est compris comme fait pour rassurer la petite bourgeoisie — c’est déjà trop tard, même si l’auteur ne le sait pas encore. Les très minces aspects « socialistes » que j’y ai relevés ci-dessus n’apparaissent absolument pas.

La Commune a donné hier son programme.

Elle a bien fait.

La bourgeoisie attendait depuis longtemps cette déclaration de principe, qui aura pour résultat de fixer les sympathies flottantes encore, de rassurer les esprits timides et de donner à toutes les consciences la certitude.

Ce programme est net, clair, simple, — majestueusement calme au milieu de ce bruit de guerre et de ce tumulte d’opinions.

Et il affirme plus que jamais, contre les doctrines jacobines, le principe révolutionnaire:

LA FÉDÉRATION.

Ni dominer; ni être dominé, — c’est au fond le thème de la déclaration.

Vivre libre.

Et étant libre, heureux.

Voilà tout ce que Paris réclame, — et ce qui le satisfait plus que les privilèges, le monopole, l’autorité dont il a joui jusqu’ici.

Il était un maître,

Il ne veut plus être qu’un égal,

Et cette liberté qu’il réclame pour lui, il veut être le premier à en faire bénéficier les autres;

C’est pour cela qu’on le bombarde!

Libres!

Oui, nous voulons être libres — et l’être absolument!

Nous voulons, nous citoyens de Paris, gouverner, administrer, organiser notre cité comme nous l’entendons, au gré de nos aspirations, d’après les indications de nos connaissances acquises, selon la formule de la Révolution que nous avons faite après l’avoir méditée.

Nous voulons être les maîtres de régler — et de régler seuls — chez nous finances, armée, justice, police, instruction, travail, etc…

Nous ne pouvons admettre que des lois générales règlent d’une façon identique, sur toute l’étendue du territoire national, des intérêts différents d’un endroit à un autre, contradictoires souvent suivant les latitudes, et que la variété des races rend absolument incompatibles.

Ce qui appartient à la cité doit être administré, réglé et exécuté par les hommes de la cité se fédérant eux-mêmes en groupes électoraux et nommant leurs mandataires, — absolument comme ce qui appartient à la Nation doit l’être par les délégués des communes fédéralisées à l’Assemblée fédérale.

Nos droits!

Et les vôtres,

Voilà ce que nous voulons!.. De quoi, gens de province, avez-vous à vous plaindre?

Est-ce que nous ne réclamons pas votre autonomie comme nous réclamons la nôtre?

Et en vous interdisant le droit de vous immiscer dans la discussion de nos affaires communales, nous réservons-nous le droit d’intervenir dans les vôtres?

La déclaration de la Commune est formelle:

« Nous voulons, dit-elle, l’autonomie absolue de la Commune, étendue à toutes les localités de la France et assurant à chacune l’intégralité de ses droits, et à tout Français le plein exercice de ses aptitudes, comme homme, comme citoyen, comme travailleur.

« L’autonomie de la Commune n’aura pour limite que le droit d’autonomie égale pour toutes les autres communes adhérentes au contrat, dont l’association doit assurer l’unité française. »

Il n’y a là rien que de très juste.

Et quel est l’homme de bon sens et de bonne foi qui pourrait accuser la Commune d’autoritarisme?

Ce qu’elle fait au contraire aujourd’hui, c’est la critique du principe d’autorité; c’est la reconnaissance des droits de toutes les communes à se gouverner elles-mêmes, et la substitution de leur volonté propre à la volonté d’un pouvoir central.

Plus de capitales!

Des villes libres!

C’est le cri de la Révolution de 1871, comme celui de la Révolution de 1793 était: Plus de tyrans, des hommes libres!

Et ceci est la première proclamation de la justice pour le groupe, comme en 1793 c’était la première proclamation de la justice pour l’individu.

Le programme de la Commune de paris n’est autre chose que la Déclaration des Droits de l’Homme transposée pour la cité.

La volonté de l’auteur de cet article de rallier les communes de province aux idées de la Commune de Paris pourrait suggérer que cet auteur est André Léo, qui collabore activement à La Sociale et est sans doute l’auteur d’un manifeste adressé aux travailleurs des campagnes (qui a fait l’objet de deux articles, ici et ).

Le procès verbal de la réunion en comité secret du 18 avril est ici (attention, il y a les deux réunions du 18 avril dans ce document).