Comme annoncé dans un article précédent, voici le début du texte de Theisz, « brut » d’abord:

Theisz est allé dans la nuit au 12e arr., prévient Philippe couché de faire sonner le tocsin et rassembler les hommes, voit Vermorel le matin lundi à l’Hôtel de Ville. Il n’y a pas eu à proprement parler de séances. Le Mardi réunion à la Commune. Pyat y assistait, Frankel aussi. Pyat aurait dit qu’il était disposé à mourir. On a décidé que chacun se rendrait dans son arrondissement. On a désapprouvé l’affiche du Comité central. A la suite de cette réunion, je vais à La Chapelle où on se battait, traverse le boulevard Ornano rue Myrrha; je voulais aller à la mairie du 18e par la rue Saint-André. On plantait à ce moment le drapeau tricolore sur la butte à la tour Solférino. Il est une heure. On tire des coups de fusil de la tour sur nous. Nous nous rabattons sur la Chaussée Clignancourt, nous prévenons les gardes de l’occupation de la tour. La barricade au coin de la Chaussée Clignancourt devait défendre l’entrée de la butte contre Paris. Il voit Vermorel à cheval escortant un convoi de munitions. Il est trop tard pour passer, il est obligé de revenir à la barricade Ornano. Arrive Dombrowski. Cris: Vive la Commune, vive Dombrowski. Les gardes lui serrent la main, il les harangue. Vermorel et Dombrowski demandent des hommes de bonne volonté, peu suivent. Ils partent à cheval et laissent leurs chevaux au petit Dupas. Ils arrivent à pied à la Barricade. Au bout de quelques instants Dombrowski est mort. Vermorel revient trouver Theisz resté pour organiser les renforts. Il lui annonce la mort du général, D… est mort ou peu s’en faut, en lui recommandant de n’en rien dire. A la barricade de la rue Jachey, une panique fait tirer quelques coups sur la barricade de la rue Montmartre toutes deux fédérées.

Puis le même texte, avec mes commentaires et/ou explications en bleu (et un peu de blanc).

Theisz est allé dans la nuit [la nuit du dimanche 21 au lundi 22 mai 1871; l’armée versaillaise est entrée dans Paris par le Point-du-Jour le dimanche après-midi] au 12e arr. [à la mairie du douzième; Albert Theisz a été élu à la Commune le 26 mars par les dix-huitième et douzième arrondissements; il a choisi le douzième; il se rend dans « son » arrondissement], prévient Philippe [Jean Fenouillas, qui se faisait appeler Philippe, élu du douzième arrondissement lors des élections complémentaires du 16 avril — Philippe a voté avec la majorité à la Commune mais s’est surtout occupé de son arrondissement, il sera fusillé le 22 janvier 1873, principalement à cause de perquisitions et arrestations au couvent de Picpus] couché de faire sonner le tocsin et rassembler les hommes, voit Vermorel [le journaliste Auguste Vermorel, membre de la Commune, élu du dix-huitième] le matin lundi à l’Hôtel de Ville. Il n’y a pas eu à proprement parler de séances.

Le Mardi réunion à la Commune. [la dernière réunion de la Commune dont il reste un procès verbal est celle du dimanche 21 mai — il y a peut-être confusion entre des réunions tenues le lundi et le mardi, Lissagaray parle de vingt membres de la Commune le lundi matin,  Vallès (chapitre 30 de L’Insurgé) parle de vingt « chefs de corps ou membres de la Commune »] Pyat y assistait, Frankel aussi. Pyat aurait dit qu’il était disposé à mourir. [le conditionnel pose des questions: Theisz était-il présent? sans doute; l’a-t-il entendu? ou le conditionnel est-il dû au scripteur — Lissagaray « reproduit » une grande déclaration de Pyat le lundi matin, ajoutant que Pyat « court [ensuite] se cacher dans quelque cave »]

PlanTheisz1

[J’utilise toujours le même plan de Paris. Cliquer sur l’image pour l’agrandir]

On a décidé que chacun se rendrait dans son arrondissement. On a désapprouvé l’affiche du Comité central [cette affiche appelait les soldats versaillais à fraterniser]. A la suite de cette réunion [le mardi matin, donc], je [premier « je » de Theisz; le passage de la troisième à la première personne peut être le fait du scripteur (le conditionnel ci-dessus va bien avec la troisième personne)] vais à La Chapelle [Theisz passe sans doute simplement chez lui: il habitait à La Chapelle, rue Jessaint, 12] où on se battait, traverse le boulevard Ornano [notre boulevard Barbès (voir le plan)] rue Myrrha; je voulais aller à la mairie du 18e [qui était alors rue de l’Abbaye (notre rue des Abbesses)] par la rue Saint-André [notre rue André del Sarte]. On plantait à ce moment le drapeau tricolore sur la butte à la tour Solférino [plantée au sommet de Montmartre, cette tour a disparu dans le chantier du Sacré-Cœur — Montmartre a été pris sans vraie résistance (les célèbres canons du 18 mars ne sont pas opérationnels, les célèbres bataillons de Montmartre ont été épuisés dans les forts du sud), notamment par la brigade Montandon, arrivée par la zone « neutre » au nord et donc avec le soutien des Prussiens. Lissagaray: « Les Versaillais grimpent aux buttes par toutes les pentes qui y conduisent, s’installent à midi au moulin de la Galette, descendent à la mairie, à la place Saint-Pierre, occupent sans la moindre résistance tout le XVIIIe arrondissement »].

Il est une heure. On tire des coups de fusil de la tour sur nous. Nous nous rabattons sur la Chaussée Clignancourt [rue de Cligancourt], nous prévenons les gardes de l’occupation de la tour. La barricade au coin de la Chaussée Clignancourt devait défendre l’entrée de la butte contre Paris [il s’agit maintenant de défendre Paris et en particulier les alentours de la gare du Nord, contre Montmartre devenu versaillais]. Il voit Vermorel à cheval escortant un convoi de munitions [Lissagaray: « L’Hôtel de Ville ne sait rien du progrès des troupes quand Vermorel vient y chercher des munitions pour Montmartre. Il repart avec des fourgons et ne peut gagner les buttes que cernent les Versaillais »]. Il est trop tard pour passer, il est obligé de revenir à la barricade Ornano [Lissagaray: « A deux heures, les barricades de la chaussée Clignancourt sont abandonnées »]. Arrive Dombrowski. Cris: Vive la Commune, vive Dombrowski. Les gardes lui serrent la main, il les harangue. Vermorel et Dombrowski demandent des hommes de bonne volonté [il serait dommage de ne pas reproduire ici la description que fait Lissagaray (dès 1871) de Vermorel: « Vermorel, dont la conduite avait donné lieu sous l’Empire à tant de préventions, montra pendant toute la lutte un courage plein de sang-froid. À Cheval, ceint d’une écharpe rouge, pour être mieux reconnu, il parcourait les barricades, invulnérable, encourageant les hommes »], peu suivent. Ils partent à cheval et laissent leurs chevaux au petit Dupas [peut-être le fils d’E. Dupas, médecin, 76 rue Myrrha, signataire du manifeste du Comité des vingt arrondissements, publié dans Le Cri du peuple daté du 27 mars 1871].
Ils [ici Lissagaray mentionne Vermorel et Dombrowski; mais Theisz est là aussi] arrivent à pied à la Barricade. Au bout de quelques instants Dombrowski est mort. Vermorel revient [sans doute de l’hôpital Lariboisière, tout proche, où il a accompagné Dombrowski] trouver Theisz resté pour organiser les renforts. Il lui annonce la mort du général, « D… est mort ou peu s’en faut », en lui recommandant de n’en rien dire.

[Ellipse. On change de lieu.]

A la barricade de la rue Jachey [le nom semble erroné; je ne vois que la rue Joquelet, actuelle rue Léon Cladel, entre la rue Montmartre et la rue Réaumur], une panique fait tirer quelques coups sur la barricade de la rue Montmartre toutes deux fédérées [la rue du Faubourg-Montmartre puis la rue Montmartre forment un chemin « naturel » vers les Halles et l’Hôtel de Ville — ou vers l’Hôtel des Postes, alors situé rue Jean-Jacques Rousseau — dans cette chronologie, il faudrait placer le moment où la rue Jean-Jacques-Rousseau est prise par les Versaillais — et où l’Hôtel des Postes ne brûle pas…].

Outre l’introduction au (et bientôt la suite du) texte de Theisz, on peut consulter les notes biographiques que je lui ai consacrées.

Lire la suite ici.

Voir le document ici.

Voir ce qu’a fait Theisz à l’Hôtel des postes les 22 et 23 mai ici.

Livres et articles utilisés

Scheler (Lucien)Albert Theisz et Jules Vallès, Europe 499-500 (Novembre-décembre 1970), p. 264-272.

Lissagaray (Prosper-Olivier)Histoire de la Commune de 1871, (édition de 1896), La Découverte (1990).

Vallès (Jules)L’Insurgé, Œuvres, Pléiade, Gallimard (1989).