C’est l’histoire d’un aristocrate. Il s’appelle Jean-Marie-Mathias-Philippe-Auguste de Villiers de l’Isle Adam et, comme le nombre de ses prénoms nous l’indique, à nous simples roturiers, c’est un « vrai » comte. C’est aussi un poète, sous le seul prénom Auguste (et tous ses noms). Il s’est fait beaucoup d’amis républicains pendant les dernières années de l’Empire. Il était très lié, par exemple, avec Victor Noir, et il a joué son rôle lors de la manifestation qu’est devenu l’enterrement du jeune journaliste en janvier 1870. Mais j’ai déjà raconté cette histoire.

Il est attaqué dans Le Figaro, par une petite phrase insultante, insidieuse et délatrice, le 10 octobre 1871:

Pour un uniforme et quelques francs par jour, des hommes très nobles ont sali à jamais leurs noms en servant la Commune. On dit qu’il y a eu dans ce nombre un vrai comte Villiers de l’Isle Adam.

Vous voyez que les délateurs de Je suis partout soixante-dix ans plus tard n’ont rien eu à inventer… À quoi ledit comte, qui n’avait pas quitté Paris, répondit:

Paris le 10 octobre 1871

À M. le rédacteur en chef du Figaro

Monsieur le rédacteur en chef

Je lis dans le Figaro d’hier [sic]

[ici les deux phrases ci-dessus, que je ne reproduis pas]

Le vrai comte de Villiers de l’Isle Adam, c’est moi. Je n’ai, pendant l’insurrection, porté aucun uniforme, ni reçu aucune paie.

Je vous prie de vouloir bien publier cette rectification.

Agréez, Monsieur, l’assurance de ma considération distinguée.

Villiers de l’Isle Adam

Le Figaro publia cette lettre sans commentaire, dans son édition du 12 octobre. Villiers ne niait pas avoir « servi la Commune ». Ce qui était, assurément, noble. Et certainement aussi courageux. La répression n’était pas terminée et, par exemple, parmi les poètes, Paul Verlaine et Louis-Xavier de Ricard avaient préféré s’éloigner de Paris.

Mais qu’avait donc fait Villiers?

C’est lui qui avait écrit, sous le pseudonyme « Marius », et sous le titre « Tableau de Paris », un feuilleton dont cinq épisodes parurent dans Le Tribun du peuple de Lissagaray et Lepelletier. J’avais annoncé, dans l’article consacré à ce journal, que je reparlerais de ce Marius.

Voici les dates (le journal est daté du lendemain) et les titres (quand ils en ont) de ces épisodes:

  • I (sans titre, où il est question, entre autres tableaux de Paris, des concerts aux Tuileries) — 17 mai,
  • II Les Clubs — 19 mai (le numéro du 18 mai avait glissé, à la place du feuilleton, la « Nouvelle ode à la colonne », vous savez, voilà comment en tirant, etc.),
  • III Les Bas-reliefs de la colonne Vendôme — 20 mai,
  • IV Les Cafés chantants — 21 mai,
  • V La Chasse aux réfractaires — 22 mai (ce numéro parut le dimanche 21 après-midi, au moment où les Versaillais entraient dans Paris).

Les cinq « épisodes », cinq articles, plutôt, ont été écrits plus ou moins au moment de leur publication et pas des semaines auparavant, il suffit de les lire pour s’en convaincre.

Un auteur, donc, qui soutenait encore la Commune au mois de mai.

Le secret du pseudonyme fut bien gardé.

Mézalors… Comment sait-on que Marius, c’est Villiers?

C’est ce que vous saurez en lisant les prochains épisodes