Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.
Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.
138. Samedi 7 mai 1870
La recommandation d’hier sur le résultat des votes, reprise aujourd’hui, se complète de quelques articles de la loi électorale, chaque électeur a le droit d’assister aux opérations électorales dans toutes les communes de France ;
dans ses « Lettres de la Bastille » et sous le titre « Branle-bas suprême », le numéro 444 commente la grande découverte que viendrait de faire Ollivier :
Il existe parmi nous un parti révolutionnaire
pour conclure que les libertés réelles
sont indestructibles. Aussi n’y a-t-il que le Peuple qui puisse se les donner ;
je vous garde la déclaration du Conseil général (à Londres) de l’Association internationale des travailleurs (ci-dessous) ;
il y a des « Nouvelles politiques » ;
la place du feuilleton est occupée par « Le Complot contre la vie de l’empereur (bas des pages 1, 2, 3 et 4) constitué de pièces parues hier dans l’Officiel et dont voici la liste : rapport à l’empereur (Ollivier, 4 mai, celui qui contient la phrase qui a inspiré Grousset-444), convocation de la haute cour (empereur, 4 mai), rapport de Grandperret, procureur impérial, à Ollivier, garde des sceaux, contenant lettres de Dupont, Félix Pyat, Varlin, H.P., etc., et même la célèbre lettre de Flourens, que voici, tenez-vous bien…
20 avril 1870
Bien cher ami,
J’ai en effet, reçu vos trois lettres ; je regrette que vous me les ayez adressées par cette voie et non par M. Smalley, New-York Tribune 13, Pall Mall, Londres, en mettant une enveloppe intérieure avec mon prénom ; mais j’espère que nous n’aurons plus à nous écrire longtemps et que la semaine prochaine nous nous reverrons à Paris, où tout se terminera très bien.
Vous avez dû recevoir ma lettre du 19, adressée à M. Fleury, où il y en avait une pour mon ami de la Banque. Si vous l’avez, en effet reçue, et si cet ami vous a fait parvenir par Mme S… la somme de 400 fr., brûlez la lettre ci-jointe pour lui, et que tout soit dit, sinon, envoyez-la-lui, et agissez aussitôt les 400 fr. reçus.
Il n’y a pas un moment à perdre, l’homme au brevet irait à la campagne, et tout serait retardé. Mais réussissez. Je compte sur vous, sur vos amis fidèles. Ne sortez que de nuit, ou en voiture. Ménagez l’argent. Pas d’imprudence. Je suis avec vous de cœur. Ne manquez pas, peut-être serai-je très vite à Paris pour vous soutenir. Tout dépend de vous. Encore une fois, ce que je vous disais ici : ou il ne fallait pas s’en mêler ou réussir.
Votre Gustave
c’est digne d’un beau feuilleton, n’est-ce pas, d’ailleurs ça se termine par « à suivre » ;
le « Courrier politique » d’Arnould reprend lui aussi « Le parti révolutionnaire » d’Ollivier, oui il y a un parti révolutionnaire ;
dans « Le complot et le plébiscite », A. de Fonvielle explicite ce que l’on imagine sur l’effet de l’un sur l’autre ;
« Informations » :
TOUT EST TRANQUILLE. — LES ARRESTATIONS CONTINUENT.
EUGÈNE MOUROT
(et c’est tout) ;
un ouvrier boulanger de Cette (Sète) écrit pour recevoir un enfant du Creuzot ;
les ouvriers doreurs sur bois adoptent les enfants du citoyen Flahaut ;
« La liberté sous l’empire », signalée encore une fois, cette fois, c’est l’entrée par effraction de la police sans mandat de perquisition au siège de la société du bronze dont elle a saisi les livres (signé de dix-huit membre de la société) et de même la chambre syndicale des ouvriers boulangers (qui devait avoir son siège au même endroit, à savoir 6 rue de la Corderie, puisqu’il s’agit du même commissaire de police au même moment) ;
quant à la société de résistance des ouvriers ferblantiers-tourneurs-repousseurs, elle a fusionné avec l’Association internationale, idem pour les tourneurs sur métaux ;
revoilà le « Mouvement antiplébiscitaire » avec ses comités et ses manifestes, à Paris et en province ; une « Communication ouvrière », elle est pour les ouvriers et employés horlogers ;
il y a des réunions publiques ;
des « Faits divers » assez nombreux mais je n’ai plus assez de place ;
je vous garde « Les Tribunaux », comme ça vous saurez ce qu’il y avait dans ce numéro de la Rue que nous n’avons pas vu ;
il y a la Bourse ;
et un article de « Variétés » de Mourot, qui accompagne les pièces publiées hier dans l’Officiel et aujourd’hui dans le feuilleton ; et il reste un peu de place pour les théâtres.
ASSOCIATION INTERNATIONALE
Conseil général de Londres
AUX MEMBRES DE L’ASSOCIATION
INTERNATIONALE DES TRAVAILLEURS
Londres, le 3 mai 1870
À l’occasion du dernier soi-disant complot, le gouvernement français a fait arrêter plusieurs membres des sections de Paris et de Lyon et insinue que l’Association internationale des travailleurs est complice de ce soi-disant complot.
D’après nos statuts, c’est certainement la mission spéciale de toutes nos branches, en Angleterre, aux États-Unis et sur le continent d’agir, non seulement comme centres de l’organisation militante de la classe ouvrière, mais aussi d’aider dans leurs différents pays tous les mouvements politiques qui peuvent servir à l’émancipation économique du prolétariat. En même temps, ces statuts obligent toutes les sections d’agir au grand jour. Si ces statuts n’étaient pas formels sur ce point-là, la nature même d’une association identifiée à la classe ouvrière exclurait toute idée de société secrète. Si la classe ouvrière qui forme la grande masse des nations, qui crée toutes leurs richesses, et au nom de laquelle tout pouvoir prétend régner, conspire, elle conspire publiquement, comme le soleil contre les ténèbres.
Si les autres incidents du complot dénoncé par le gouvernement français sont aussi faux et aussi dénués de fondement que ses insinuations contre l’Association internationale, ce dernier complot se rangera dignement auprès de ses deux prédécesseurs, de ridicule mémoire. Les mesures violentes prises contre nos sections françaises ne sont évidemment que des manœuvres à l’intérieur, de la politique plébiscitaire.
Au nom et par ordre du conseil général de l’Association internationale des travailleurs :
R. Applegarthe [Robert Applegarth], président de la séance
A. Serraillier, secrétaire pour la Belgique et secrétaire suppléant pour l’Espagne
G. Cohen [James Cohn], secrétaire pour le Danemark
E. Dupont, secrétaire pour la France
J. Agossa [Giuseppe Dassy?], secrétaire pour l’Italie
Karl Marx, secrétaire pour l’Allemagne
A. Zabiski [Zabicki], secrétaire pour la Pologne
H. Iung [Hermann Jung], secrétaire pour la Suisse
J.G. Eccarius, secrétaire pour le conseil général et les États-Unis
G. Harris, B. Lucraft, J. Mottershead, membres du comité financier
J. Borra [?], J. Hales, W. Hales, F. Lesner [Lessner], Odger, J. Weston, C. Murray, W. Teconsend [Townshend], J. Rühl, Karl Pfender [Pfänder], G. Milner, membres du conseil général de l’Association internationale
Pour copie conforme
EUGÈNE DUPONT
Secrétaire-correspondant pour la France
TRIBUNAUX
POLICE CORRECTIONNELLE (7e Chambre)
Présidence de M. Bazire. — Avocat impérial
M. Aulois
Audience du 3mai
AFFAIRE DU JOURNAL La Rue. — ARTICLES TRAITANT DE MATIÈRES
POLITIQUES ET D’ÉCONOMIE SOCIALE PUBLIÉS DANS
UN JOURNAL SANS CAUTIONNEMENT
Le 15 avril, on saisissait la Rue. La rédaction comprit bien vite que le journal était tué ; et elle voulut, elle aussi, mourir dignement.
On fit donc un numéro d’adieu ; et, cette fois, on dit ouvertement tout ce qu’on avait sur le cœur. Condamnés une fois, condamnés deux fois, qu’importait ? Ils voulurent jeter à la cause qu’ils défendaient un dernier cri d’espérance.
Comme de raison, les poursuites ne se firent pas attendre. Le gérant Dacosta et l’imprimeur Mme Gaittet furent cités pour le 3 mai devant la sixième chambre, et le tribunal, comme s’il eût concentré toutes ses forces pour écraser définitivement un implacable ennemi, à rendre [a rendu?] le jugement affilé comme un couteau, dont nous publions les extraits suivants :
Attendu que, dans le numéro 23 du journal la Rue, portant en tête pour date ces mots : « Samedi saint », lequel journal s’imprime à Paris, le sieur Dacosta, qui en est le gérant, a, le 16 avril 1870, publié divers articles où il est traité de matières politiques et d’économie sociale ;
En effet attendu que, dans l’article intitulé : la Condamnation, signé Charles Dacosta, l’auteur se plaint dans les termes ci-après de n’avoir pas la licence de parler politique :
« C’est entendu, à moins d’avoir 100,000 fr., qu’il nous faudrait voler, on ne pourra jamais parler au peuple, et ce seront toujours les riches qui causeront des pauvres ; nous allons mourir parce que nous avons sifflé Tardieu et salué les femmes du Creuzot. Depuis un mois, j’ai fait un métier répugnant de censeur. Notre misérable feuille d’un sou vous a tout de même inquiétés, et vous poursuivez jusqu’au menu du pauvre. Vous nous faites pitié ! »
Attendu que, dans l’article suivant intitulé : la Fosse commune, signé : la Rédaction, l’auteur gémit sur le sort de son journal qui, même bâillonné, était utile à la cause sacrée, cause toute politique, exposée tant dans ce numéro que dans ceux précédemment publiés, et va succomber, puis finit par ces mots de menace : « Ils vont tuer ce pauvre petit journal qui s’appelait la Rue, qu’ils tuent la Rue, mais patience ! Le jour du coup de balai …. du côté du manche. »
Attendu que dans un article en vers et en forme de strophes, intitulé : la Canaille, signé « Nous », l’auteur, déplaçant le sens de ce mot canaille qui, actuellement, sert à désigner, comme terme de mépris, les gens devenus vils par leur conduite, l’applique au peuple né pauvre et qui travaille ; dit, de ce peuple, qu’il est traité comme un esclave, méprisé, honni, conspué, mitraillé pour mourir à vingt ans, de travail et de misère, et l’invite à la révolte en ces termes : « Va, rebelle, — de la pêle, — frappe et fêle — la cervelle — du valet — qui te scelle — au boulet. »
Attendu que, dans l’article intitulé : les Anniversaires, signé Maxime Vuillaume, l’auteur, faisant allusion au gouvernement impérial qui a remplacé la République, dit notamment : « Le 16 avril, il y a de cela vingt-deux ans (1848), nous en descendions tous, le peuple, bannières en tête, gais, joyeux, saluant la deuxième aurore de notre jeune République ; mais voilà qu’au beau milieu de toute cette fête, quand nous portions dans nos bras notre nouveau-né, les baïonnettes scintillent ; et nous entendons battre ce rappel désespéré qui sonnait comme un glas funèbre : Silence au pauvres ! et nous avons laissé tomber notre enfant qui s’est piqué le front sur le sabre d’un soldat ! Il y a de cela vingt-deux ans ! Aujourd’hui nous sommes cloués dans la tombe ; nous étouffons, étranglés par un cercle de fer ; et quand, de temps à autre, nous nous retournons dans notre linceul pour essayer d’ouvrir notre bouche violette, on met le pied sur le couvercle de notre bière. »
Attendu que, dans un dernier article intitulé : « Paris, Misère, la Faim, la Mort, » signé Dr Égalitaire, l’auteur élève une discussion sur la misère de Paris comparée à celle de Londres, soutient qu’il existe une fois moins de misère à Londres qu’à Paris, dresse une statistique de la mortalité causée à Paris par le froid et la faim, qui engendrent la bronchite, les rhumatismes, la pneumonie par l’abandon des enfants, par la prostitution, refuge nécessaire des filles à bout de ressources et de forces, et prétend qu’à un treizième près, la moitié de la population parisienne meurt à l’hôpital, victime de la misère sociale, et par suite de la misère physiologique, etc., etc.
Attendu que, des analyses et des extraits qui précèdent, ressort jusqu’à la dernière évidence que le numéro 28 du journal la Rue contient dans lesdits articles des discussions, appréciations se rapportant aux affaires publiques, à la forme et aux actes du gouvernement et à l’organisation de notre société, etc., etc. ;
Par ces motifs,
Le tribunal condamne Dacosta en trois mois de prison et 1,000 francs d’amende, la femme Gaittet en un mois de prison et 100 francs d’amende, sans que ces peines puissent se confondre avec celles qu’ils ont pu encourir précédemment ;
Dit à nouveau et en tant que de besoin que le journal la Rue cessera de paraître ;
Fixe la durée de la contrainte par corps à six mois en ce qui concerne Dacosta et à quatre mois en ce qui concerne la femme Gaittet.
Ils ont beau faire : on ne meurt pas si vite que cela dans le journalisme. Tant qu’ils ne nous auront pas bâillonnés les uns après les autres !…
G. PUISSANT
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La Mer orageuse, de Gustave Courbet, que j’ai utilisée comme couverture, est au Musée d’Orsay, et aussi sur le site de la réunion des musées nationaux, là. Pourquoi elle est là? Voyez le journal de demain!
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Merci à mes amis Yves C. et Jean-Pierre Bonnet pour leur aide (en général et) avec ce numéro du journal.
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Le journal en entier, avec son sommaire détaillé est ici (cliquer).
Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).