Comme annoncé dans les articles 1 (automne 1869), 2 (Rochefort), 3 (Varlin), 4 (les journalistes et la Commune) et comme présenté dans l’article 0 (Demain), voici la Marseillaise, quotidien, quotidiennement.

Attention, c’est un journal du matin, mais il est daté du lendemain.

 134. Mardi 3 mai 1870

« Les paysans et le plébiscite », un éditorial signé « un Campagnard » qui commence par « J’habite la campagne une grande partie de l’année » et qui intervient de façon un peu originale sur ce thème, mais est-ce vraiment un campagnard, je ne sais pas ;

il y a des « Nouvelles politiques », parmi lesquelles je vous garde les arrestations de Theisz et de Protot, mais pas seulement ;

Henri Cernuschi a été expulsé, les députés de gauche protestent ;

« La trinité », c’est celle des trois complots en un, que détaille A. de Fonvielle ;

je vous garde le « Du mal en pis » d’Augustin Verdure, qui développe un thème déjà abordé par Arnould dans le journal d’hier (il manque un morceau dans notre reproduction du journal, j’ai complété grâce à l’aide de la BHVP, que je remercie);

« Le mouvement antiplébiscitaire » continue malgré le complot et Alphonse Humbert nous en parle assez en détail ;

dans les « informations », outre le banquet offert à Flourens par les républicains de Londres, comment ignorer que plusieurs citoyens ont voté un magnifique bouquet de lilas au citoyen Rochefort, c’est vrai, c’est le printemps !, que vingt-cinq chefs de sections de l’Internationale sont déjà à Mazas, et que le dessin de Gill a encore été interdit ;

si je compte bien, nous avons ensuite les comptes rendus de dix-neuf réunions antiplébiscitaires ;

des annonces d’encore d’autres réunions, rue d’Arras il faut sa carte d’électeur (dois-je répéter qu’ainsi la réunion est interdite aux femmes?) ;

et la dernière page du journal ne contient que de la publicité.

NOUVELLES POLITIQUES

INTÉRIEUR

[…]

M. Theisz, signataire du manifeste de l’Internationale a été arrêté hier matin, à 6 heures un quart.

*

Hier soir, à dix heures un quart du soir, un de nos amis s’était rendu chez le citoyen Protot, le défenseur de Mégy, pour avoir de ses nouvelles et savoir au juste s’il était arrêté ; il trouva chez la concierge trois individus mal mis qui, l’entendant parler de Protot, intervinrent aussitôt dans la conversation :

— Monsieur, dit l’un d’eux, je suis chargé de maintenir l’ordre dans cette maison, et s’adressant à la concierge : « Madame, ajouta-t-il, je vous défends d’ouvrir la porte à cette heure, si on ne frappe au nom de la loi. Je vous défends, d’ailleurs, de donner aucun renseignement à ce monsieur. »

Que pouvaient être ces trois messieurs ? et où puisaient-ils le droit d’adresser de telles injonctions ?

Nous apprenons à l’instant que le citoyen Protot avait été emmené à six heures du matin par un commissaire de police.

*

Nous trouvons dans la Patrie les détails suivants, concernant l’arrestation du citoyen Protot :

Un mandat d’amener avait été décerné hier contre le sieur Protot, avocat, un des meneurs les plus en vue du parti révolutionnaire et plusieurs fois poursuivi pour délit de société secrète. Ce mandat a été exécuté ce matin.

Pendant que M. Clément, commissaire de police, procédait à la perquisition dans le domicile de l’inculpé, le sieur Protot s’échappe et s’élance dans l’escalier pour gagner la rue. M. Clément se met à sa poursuite.

Un groupe d’individus s’apprête à prendre parti pour le sieur Protot, qu’on essaie d’enlever aux agents. Une lutte s’engage, mais force est restée à la loi. Le sieur Protot a été immédiatement conduit à Mazas.

[…]

EXTÉRIEUR

[…]

On parle de négociations entre Napoléon III et M. Olozaga, ambassadeur d’Espagne à Paris, au sujet de la candidature du prince Frédéric de Prusse au trône d’Espagne.

*

Napoléon III aurait laissé entrevoir que cette nouvelle face de la question espagnole pourrait prendre un caractère européen d’une telle importance qu’il ne serait pas possible à une nation de la résoudre seule, et que même elle pourrait produire un casus belli entre la France et la Prusse.

ULRIC DE FONVIELLE

DE MAL EN PIS

Le désarroi industriel suit le désarroi politique. Nos seigneurs fabricants perdent la tramontane comme nos hommes d’État. Vraiment, si cela continue, la République ne manquera pas de besogne à son avènement : des fous à lier, des imposteurs à bâillonner, des voleurs et des assassins à expulser ; elle ne saura guère par où commencer son œuvre de réparation et de justice, et, à en juger par les faits qui se déroulent sous nos yeux, nous serions bien portés à croire que le vieux monde s’ingénie à rendre ses énervantes doctrines, ses barbares et stupides procédés, de plus en plus incompatibles avec les aspirations, les besoins et les nécessités du présent, afin de hâter davantage et de rendre plus nécessaire la réalisation de notre idéal politique et social.

Le maître et ses domestiques, toutes les autorités constituées : les sénateurs, les députés, les ministres, les préfets, les maires, les percepteurs, les juges, les prêtres, les soldats et les bourgeois marchent de faute en faute, de turpitude en turpitude, de folie en folie.

Dans le monde des affaires chaque jour de nouveaux scandales succèdent à d’autres scandales. L’honneur y est au plus rusé, au plus filou, au plus rapace, au plus coquin. L’intrigue, la fraude et l’argent sont tout ; la droiture, la vertu et le travail, rien. Les exploiteurs, les spéculateurs, les grecs de l’agio et les macaires de la bourse, sont glorifiés, décorés, rentés et titrés comme les seuls bienfaiteurs de l’humanité ; les véritables et uniques producteurs de la richesse, les travailleurs sont insultés, vilipendés, bernés, affamés et fusillés par ceux-là même qu’ils ont chargés de la défense de leurs intérêts, comme par ceux qu’ils entretiennent ou enrichissent du fruit de leurs sueurs et de leurs talents.

Pas une semaine ne se passe sans que nous ayons à enregistrer une nouvelle iniquité ; sans que nous ayons à ajouter, au martyrologe du prolétariat, une nouvelle page. En Belgique, en Italie, en Espagne, en Prusse, en Autriche, partout mêmes procédés, mêmes insolences, mêmes calomnies, même raffinement de cruautés envers les travailleurs et les citoyens généreux et honnêtes qui se font un devoir de les aider dans la défense de leurs droits trop longtemps méconnus.

Quant aux ouvriers des champs, malheureusement trop isolés, trop étrangers aux affaires politiques, trop ignorants de leurs droits, on les caresse, on les cajole, on les endort, on les aveugle à coups de discours, de manifestes, de proclamations sentimentales et mensongères, on les retient à dessein dans les ténèbres de l’ignorance ; on s’efforce de les abrutir chaque jour davantage par des pratiques énervantes et des doctrines démoralisatrices.

On vante à tout propos leur courage, leurs vertus civiques, leur dévouement à l’empereur et à la patrie. On leur promet bruyamment, en récompense de leur soumission et de leur docilité, maintes réformes, maintes faveurs : des routes vicinales, des chemins de fer, des écoles, des presbytères, des églises, et, en définitive, on ne leur accorde rien du tout. Chaque année, au contraire, augmentent pour eux les contributions de toute nature, les charges de toutes sortes.

Ils payaient UN MILLIARD ET DEMI d’impôts sous la République, il y a de cela vingt ans ; ils paient aujourd’hui DEUX MILLIARDS SIX CENTS MILLIONS, et, grâce à l’empire, la France est encore grevée d’une dette qui s’élève à plusieurs milliards qu’il faudra bien payer tôt ou tard, si nous tenons à ne point passer un jour pour des banqueroutiers.

Ils fournissaient autrefois à l’État une armée de deux cent mille hommes, une armée de parade qui ne faisait du moins la guerre à personne ; ils fournissent maintenant à l’empire cent mille de leurs enfants par an, et, en permanence, une armée d’un million d’hommes, qui menace et tourmente tout le monde, à l’intérieur comme à l’extérieur ; et les mères n’ont plus de fils, et l’agriculture manque de bras.

Le gouvernement républicain coûtait à la France la somme de SEPT MILLIONS SEPT CENT CINQUANTE MILLE FRANCS par an.

Le gouvernement impérial coûte HUIT FOIS PLUS, c’est-à-dire, bon an mal an, SOIXANTE-DIX MILLIONS DEUX CENT QUARANTE-NEUF MILLE SEPT CENT SOIXANTE-QUATRE FRANCS, répartis comme suit :

Liste civile de Napoléon III, 25,000,000

Frais de représentation, réceptions de souverains, musées, cadeaux, etc. 20,000,000

Voyages et établissement de bains 10,000,000

Habillement et livrée 400,000

Lingerie et blanchissage 200,000

Chauffage et éclairage 1,240,000

Bouche et office 1,500,000

Cave 360,000

Gages des domestiques 1,300,000

Dotation des princes et princesses de la famille impériale y compris le prince Pierre 1,500,000

Dotation du Sénat 4,980,000

Dépenses administratives du Sénat 1,122,764

Dotation du corps législatif et indemnité des députés 2,647,000

Total 70,249,764

C’est-à-dire CENT QUATRE-VINGT-DOUZE MILLE FRANCS par jour.

Et une ouvrière gagne 50 centimes, un instituteur de village 2 fr., un ouvrier des champs 2 fr. 50, un ouvrier de la ville 3 fr.

Voilà où nous en sommes. Devons-nous continuer dans cette voie ?

A. VERDURE

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L’image de couverture représente un moment de l’arrestation de Protot, l’avocat de Mégy, qui sera délégué à la justice pendant la Commune… et jamais réintégré au barreau de Paris (pas d’amnistie pour les avocats communeux!). Elle est parue dans le Monde illustré le 7 mai 1870, et elle est sur Gallica, là

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Le journal en entier, avec son sommaire détaillé est ici (cliquer).

Un glossaire actualisé quotidiennement se trouve ici (cliquer).