En 1897, vingt-six ans après la Commune, Félix Fénéon et la Revue blanche posent une série de questions à des « anciens » de la Commune et publient une « Enquête sur la Commune ».

La revue est disponible sur Gallica (et précisément, pour le numéro qui contient cette enquête, là). Un petit livre en a été tiré il y a quelques années. Bref, ceci n’a rien d’une nouveauté.

Parmi les quarante-six personnes interrogées, il n’y avait que deux femmes, Louise Michel (qui l’eût cru?…) et « Mme N*** » (et même pas Nathalie Le Mel).

Mme N*** s’appelait Émilie Noro, et c’est d’elle qu’il s’agit dans cet article.

Elle était née Marie Émilie Barral, le 29 juillet 1839, dans une famille d’ouvriers lyonnais. Elle avait épousé, toujours à Lyon, le 3 octobre 1863, un ouvrier peintre sur verre nommé Jean-Baptiste Noro.

En 1871, je ne sais pas si elle exerçait une profession, mais je sais que son mari était artiste peintre et que tous deux vivaient dans l’Île Saint-Louis, à Paris. Nous l’avons rencontré, lui, dans une réunion du conseil de l’Association internationale des travailleurs en janvier 1871. Pendant la Commune, il commandait son bataillon de la Garde nationale, le 22e.

Émilie Noro, comme elle va nous le raconter, a été prisonnière à Versailles, à partir de la fin mai, et jusqu’en août 1871. Libérée avec un non-lieu. Pourtant elle avait été bien maltraitée.

Elle s’est peut-être occupée d’abord d’envoyer ses meubles en Suisse (ils ont été arrêtés et saisis à Bellegarde, comme le dit Jean-Baptiste Noro dans une lettre à L’Égalité de Genève parue le 5 novembre). Et elle a rejoint son mari à Genève. Si je comprends bien, il vivait avec Paule Minck. Ce qui n’empêcha pas Émilie et lui d’avoir un fils, né le 23 avril 1873, à Genève — qu’il alla déclarer à l’état civil accompagné d’un homme de lettres nommé Eugène Razoua et d’un avocat nommé Eugène Protot (en qui nous reconnaissons le délégué à la Justice de la Commune), une indication du fait qu’ils étaient bien intégrés dans la proscription communaliste genevoise.

Elle est peut-être l’auteure, elle est en tout cas l’instigatrice, de ce que je crois être le tout premier article de presse consacré à Louise Michel, paru dans L’Égalité datée du 24 décembre 1871 (avant l’article du Radical déjà reproduit sur ce site). Voir un prochain article de cette série.

En 1880, après l’amnistie des communards, les Noro ont dû rentrer à Paris. En tout cas, Émilie Noro participa, au moins par une lettre, aux accusations portées par d’anciens détenus comme elle contre le lieutenant Marcerou, le tortionnaire-chef dont elle avait subi injures, coups et tortures.

Il semble que plus tard, elle et son mari sont allés à Alger, puis en Tunisie.

Elle est venue en région parisienne en 1897: elle a assisté, mais pas son mari, qui est resté à Sfax, au mariage de son fils, à Guerville (au bord de la Seine en aval de Mantes) le 27 mai 1897. C’est certainement au cours de ce voyage qu’elle a répondu aux questions de la Revue blanche. Pourquoi son nom ne figure pas en entier dans ce journal, je ne le sais pas (elle est d’autant plus facile à identifier que le rédacteur signale qu’elle est la femme d’un peintre).

Si je comprends bien, elle est morte « de faim » à Tunis en 1910 (dans un asile de vieillards?) — son mari était mort dans la même ville en 1909.

Ce ne sont pas les réponses d’Émilie Noro à la Revue blanche que je vais publier, mais un texte moins connu et beaucoup plus long, qui a été publié par l’hebdomadaire anarchiste Les Temps nouveaux en 1913. Malgré sa date de publication tardive, je vais le classer parmi les « témoignages ».

Je ne suis pas certaine des dates d’écriture de ce texte.

  • Après neuf ans d’exil. Probablement au moment où le quotidien nouvellement fondé L’Intransigeant a lancé, sous l’égide de Frédéric Cournet et au mois d’août 1880, une campagne d’accusations contre le tortionnaire Marcerou. Émilie Noro a contribué à cette campagne par (au moins) une lettre (que l’on trouvera dans un prochain article) et il est bien possible qu’elle ait eu l’envie d’en écrire plus.
  • Il est possible qu’elle l’ait confié, en 1897, à un rédacteur de la Revue blanche, qui a publié les lettres de Louise Michel qui l’accompagnaient, et une petite interview — le texte était trop long pour être publié là. Il me semble que, et pas seulement à cause de sa plus grande longueur, le texte est plus précis que les réponses de « Mme N*** », ce qui confirmerait qu’il a été écrit bien avant.
  • Il s’est retrouvé ensuite dans un tiroir de Jean Grave. Les liens entre celui-ci et la Revue blanche sont certainement aussi nombreux que les anarchistes liés à l’une ou à l’autre. D’ailleurs Grave lui-même a répondu à l’enquête sur la Commune.
  • Grave semble s’être enquis de l’auteure, et a décidé de publier son texte après avoir appris sa mort.

Ce texte est si inconnu que le Maitron n’en signale qu’une traduction en roumain sous le titre Vae victis, dont il existe en effet un exemplaire à la Bibliothèque nationale de France (je l’ai consultée), parue après 1916, qui n’est rien de plus qu’une traduction (mais la traductrice a ajouté des titres aux « chapitres » dont Émilie Noro a dit ne pas savoir comment les nommer).

Il est inconnu et je ne l’aurais pas trouvé si un de mes amis ne me l’avait indiqué. Et pourtant le journal Les Temps nouveaux est sur Gallica.

Voici la liste des « chapitres » de ce texte (comme la traductrice roumaine, j’ai choisi des titres), avec quelques compléments que j’y ai intercalés. Chacun de ces items formera un article de ce site.

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Je n’ai malheureusement pas trouvé de photographie d’Émilie Noro. La comédienne Line Noro, que l’image de couverture montre dans Pépé le Moko, était sa petite-fille. Peut-être lui ressemblait-elle un peu?

Livre utilisé

Rey (Claudine), Gayat (Annie), Pépino (Sylvie)Petit dictionnaire des femmes de la Commune de Paris, 1871 : les oubliées de l’histoire, Le Bruit des autres (2013).

Noro (Mme)Vae victis, traduit par Cornelia Ṣtefănescu, biblioteca « Revîstei ideei », Bucarest (sans doute 1916).