Le tour de passe-passe du 4 septembre où la « gauche » s’est attribué tout le pouvoir, on le lit dans une autre affiche que celle que nous voyons ici, affiche dont voici le texte:

Citoyens de Paris,

La République est proclamée.

Un gouvernement a été nommé d’acclamation.

Il se compose des citoyens:

Emmanuel Arago, Crémieux, Jules Favre, Jules Ferry, Gambetta, Garnier-Pagès, Glais-Bizouin, Pelletan, Picard, Rochefort, Jules Simon,

représentants de Paris.

Le général Trochu est chargé des pleins pouvoirs militaires pour la défense nationale.

Il est appelé à la présidence du Gouvernement.

La Gouvernement invite les Citoyens au calme; le Peuple n’oubliera pas qu’il est en face de l’ennemi.

Le Gouvernement est avant tout un Gouvernement de défense nationale.

Ils ont « appelé à la présidence » le général Trochu, qui (dit Georges Duveau) au matin du 4 septembre a joué la grande scène du dévouement à l’encore impératrice aux Tuileries et au soir préside un gouvernement républicain… Et, pour le plaisir de voir leurs noms sur une affiche sans doute, ils ont tous signé. Ils ont aussi distribué les mairies d’arrondissements à des fidèles.

Émotion, quand même, l’Empire haï est tombé, c’est la République.

L’Association internationale des travailleurs essaie, elle aussi, de se réorganiser. Et commence par l’affiche utilisée en couverture. En voici le texte:

Au peuple allemand

À la démocratie socialiste de la nation allemande

Tu ne fais la guerre qu’à l’empereur, et point à la Nation française, a dit et répété ton gouvernement.

L’homme qui a déchaîné cette lutte fratricide, qui n’a pas su mourir, et que tu tiens entre tes mains, n’existe pas pour nous.

La France républicaine t’invite, au nom de la justice, à retirer tes armées; sinon, il nous faudra combattre jusqu’au dernier homme et verser à flots ton sang et le nôtre.

Par la voix de 38 millions d’êtres, animés du même sentiment patriotique et révolutionnaire, nous te répétons ce que nous déclarions à l’Europe coalisée en 1793:

« Le Peuple français ne fait point la paix avec un ennemi qui occupe son territoire.

Le Peuple français est l’ami et l’allié de tous les Peuples libres. — Il ne s’immisce point dans le gouvernement des autres nations ; il ne souffre pas que les autres nations s’immiscent dans le sien. »

Repasse le Rhin.

Sur les deux rives du fleuve disputé, Allemagne et France, tendons-nous la main. Oublions les crimes militaires que les despotes nous ont fait commettre les uns contre les autres.

Proclamons : la Liberté, l’Égalité, la Fraternité des Peuples.

Par notre alliance, fondons les ÉTATS-UNIS D’EUROPE.

Vive la république universelle !

Démocrates socialistes d’Allemagne, qui, avant la déclaration de guerre, avez protesté, comme nous, en faveur de la paix, les démocrates socialistes de France sont sûrs que vous travaillerez avec eux à l’extinction des haines internationales, au désarmement général et à l’harmonie économique.

Au nom des Sociétés ouvrières et des Sections françaises de l’Association internationale des Travailleurs.


Ch. Beslay, — Briosne, — Bachruch, — Camélinat, — Ch.-L. Chassin,
— Chemalé, — Dupas, — Hervé, — Landeck, — Leverdays,
— Longuet, — Marchand, — Perrachon, — Tolain, — Vaillant.

On date cette affiche du 4 septembre. Elle est reprise par le Journal des Débats, Le Rappel, Le SoirLe ConstitutionnelLe SiècleLa PresseLe Gaulois et encore d’autres… Pas mal de publicité, donc.  On sait moins qu’il en existe une deuxième version, datée du 6 septembre, qui en est une traduction en allemand… et dont la liste de signataires comporte aussi les noms de Leo Frankel, Benoît Malon, Eugène Varlin: entre temps, il n’y a pas que Victor Hugo qui est rentré à Paris. Frankel et Malon, libérés de la prison de Beauvais où, on l’a vu, ils avaient été déplacés pendant l’été, Varlin revenu de son exil belge

Theisz et les autres condamnés aussi sont revenus de Beauvais, témoin les revendications que la Chambre fédérale des sociétés ouvrières soumet au gouvernement provisoire et que publie (l’unique numéro de) La Marseillaise datée du 9 septembre, dont nous aurons à reparler.

Et d’ailleurs, dès le 5 septembre au soir, quatre ou cinq cents membres de l’Association internationale des travailleurs et des sociétés ouvrières se sont réunis dans une école du troisième arrondissement. Et, de façon moins naïve que dans le texte de l’affiche, ont commencé à se réorganiser. Le texte suivant est publié notamment dans Le Rappel daté du 7 septembre (paru le 6).

Organisation de comités républicains dans chaque arrondissement

Citoyens,
Dans une assemblée populaire tenue le 5 septembre, rue Aumaire, et composée en grande partie des délégués des sociétés ouvrières et des sections de l’Internationale, a été résolu, à l’unanimité, d’organiser sur-le-champ des comités républicains dans tous les arrondissements de Paris. Les comités délégueront chacun quatre de leurs membres pour former un comité central. Ils se mettront à la disposition du gouvernement provisoire pour exécuter les mesures d’ordre, et lui prêteront leur concours le plus actif et le plus dévoué pour la défense de la capitale.
Tous les citoyens comprendront que, dans les circonstances graves au milieu desquelles nous nous ­trouvons, il est urgent de s’organiser afin de parer à toutes les éventualités.
De l’ORDRE et de l’UNION pour être forts.
Les citoyens du 5e arrondissement sont invités à se réunir au gymnase de la Sorbonne, et ceux du 6e à l’amphithéâtre de l’École de médecine, à huit heures, tous les soirs, pour la formation de leur comité.

Les membres du Comité central provisoire :
Varlin, Privé, Spoetler, Haan, Hamet, Chouteau, Robillard

Permanences du comité, 6 place de la Corderie, siège de la chambre fédérale des Sociétés ouvrières

Moins de publicité pour ce texte que pour la proclamation « Au peuple allemand », mais il paraît quand même aussi dans le Journal des Débats daté du 9 septembre, qui le présente comme une affiche que l’Association internationale aurait fait afficher sur les murs de Paris. Mais je n’ai pas vu trace de cette affiche.

 

Les blanquistes aussi s’organisent. Une affiche annonce la parution, pour demain 7 septembre, d’un nouveau quotidien, La Patrie en danger.

À demain, donc…

*

Toutes les affiches citées viennent du livre « Murailles » ci-dessous. Toutefois, j’ai copié celle que j’ai mise en couverture sur le beau site d’affiches anarchistes Ficedl, que j’ai d’ailleurs découvert pour l’occasion.

Livres utilisés

Les Murailles politiques françaises, Paris, A. Le Chevallier (1873-1874).

Duveau (Georges)Le Siège de Paris, Hachette (1939).

Varlin (Eugène)Eugène Varlin, ouvrier relieur 1839-1871, Écrits rassemblés et présentés par Michèle Audin, Libertalia (2019).

Cet article a été préparé en mai 2020.