L’attente est longue et vers minuit [écrit Georges Duveau (dans son livre et à la fin de notre article d’hier 31 octobre)], perdant patience, violant les ordres reçus, le colonel de Legge qui commande les mobiles du Finistère entraîne ses hommes dans un souterrain qui relie la caserne Napoléon [place Lobau] à l’Hôtel de Ville. Legge est bientôt maître du rez-de-chaussée; il fait enfermer dans les caves les insurgés qu’il rencontre.
[…]
Ferry s’impatiente; à deux heures du matin, escorté par les mobiles bretons et par la garde nationale fidèle, Ferry pénètre dans la grande salle où il ne reste plus que deux à trois cents insurgés désemparés.
[…]
Les ministres prisonniers laissèrent entendre que si Flourens et ses amis ne se livraient à aucune violence, le Gouvernement victorieux n’userait pas de représailles.
Tamisier [le commandant de la garde nationale] a avoué avec beaucoup d’honnêteté qu’il avait eu des tractations avec Flourens et avec Blanqui.
Non pas, disait Tamisier, que je fusse d’accord avec les rouges; mais je voulais sauver Favre.
Tamisier fut fidèle à sa parole. Vers trois heures et demie du matin, Tamisier sortit, flanqué de Blanqui à sa gauche et de Flourens à sa droite. Les gardes nationaux royalistes, ne pouvant imaginer que leur chef soit aussi fraternellement entouré par les leaders de la révolution, laissèrent passer sans mot dire Blanqui et Flourens qu’ils ne reconnurent pas. Favre, Simon et Garnier-Pagès, définitivement saufs, tombèrent dans les bras de Ferry, leur sauveur. Trochu monta à cheval, passa en revue sur la place de l’Hôtel-de-Ville les bataillons fidèles. De toutes parts retentissait ce cri:
Vive Trochu!
Et c’est fini.
Enfin, pas tout à fait: il reste à rechercher, arrêter et emprisonner les révolutionnaires (à qui on avait promis qu’il n’y aurait pas de représailles contre eux) (voir nos articles des 7 novembre, 12 novembre…), à révoquer des chefs de bataillons (voir notamment notre article du 13 novembre), à organiser un plébiscite (voir notre article du 3 novembre) et des élections (voir notre article du 5 novembre)…
En attendant, voici quelques compléments d’information.
D’abord sur la liste des membres du « nouveau gouvernement ». La parole au citoyen Lefrançais:
À son tour, il [Flourens] monte sur la table et proclame la formation d’un Comité de salut public dont il lit la composition. En tête figure son nom. Puis viennent les noms de Dorian, Félix Pyat, Blanqui, Delescluze, Victor Hugo, Ranvier, Mottu, Avrial et Millière.
Sans doute ces citoyens valent tout autant que ceux de la liste précédente — d’aucuns s’y trouvent déjà –, le nom seul de Victor Hugo détonne, l’homme n’ayant jamais été un caractère sur lequel la révolution pût compter.
Et donc, la parole à ce (grand) homme détonnant:
31 octobre.
Échauffourée à l’Hôtel de Ville. Blanqui, Flourens et Delescluze veulent renverser le pouvoir provisoire Trochu-Jules Favre. Je refuse de m’associer à eux. Prise d’armes. Foule immense. On mêle mon nom à des listes de gouvernement. Je persiste dans mon refus.
Ont dîné avec moi Schœlcher [qui donc ne se trouvait pas à l’Hôtel de Ville pendant la soirée], Louis Blanc, Charles Blanc, Jules Claretie et Louis Koch.
Flourens et Blanqui ont tenu une partie des membres du gouvernement prisonniers à l’Hôtel de Ville toute la journée.
À minuit, des gardes nationaux sont venus me chercher pour aller à l’Hôtel de Ville, présider, disaient-ils, le nouveau gouvernement. J’ai répondu que je blâmais cette tentative, et j’ai refusé d’aller à l’Hôtel de Ville. À trois heures du matin, Flourens et Blanqui ont quitté l’Hôtel de Ville et Trochu y est rentré.
On va élire la Commune de Paris.
1er novembre.
Nous ajournons à quelques jours la lecture des Châtiments qui devait se faire aujourd’hui mardi à la Porte-Saint-Martin.
Louis Blanc vient ce matin me consulter sur la conduite à tenir pour la Commune.
Unanimité des journaux pour me féliciter de m’être abstenu hier.
Les notes de Victor Hugo sont emplies du contentement de soi de leur auteur, qui apparaît dans les nombreuses félicitations qu’il reçoit (et rapporte). Je rassure les lecteurs naïfs: l’unanimité des journaux est toute relative: La Patrie en danger, par exemple, ne l’a pas félicité.
La phrase sur Louis Blanc me laisse toujours rêveuse…
Il reste, puisqu’il est question de Victor Schœlcher, l’affiche que j’ai mise en couverture de cet article. Je l’ai trouvée dans le livre Murailles mais pas ailleurs. Il en était question dans l’article d’hier. Comme le confirme la présence de Victor Schœlcher chez Victor Hugo le soir, il s’agit d’une décision prise par la réunion des maires d’arrondissements avant la partie insurrectionnelle de la soirée.
Elle a été affichée, il y a même eu des mairies d’arrondissements qui ont renchéri et placardé des renseignements sur ces élections. Mais bien sûr, le maire Arago a vite averti que ces élections n’avaient pas lieu.
Et le gouvernement a annoncé un plébiscite pour le 3 novembre. Voir notre article de demain 2 novembre.
Livres cités
Duveau (Georges), Le Siège de Paris, Hachette (1939).
Lefrançais (Gustave), Souvenirs d’un révolutionnaire, La Fabrique éditions (2013).
Hugo (Victor), Choses vues, Quarto Gallimard (2002).
Murailles politiques françaises, Paris, A. Le Chevallier (1873-1874).
Cet article a été préparé en juin 2020.