C’est la première réunion du conseil fédéral parisien de l’Association internationale des travailleurs dont nous pouvons lire un procès verbal. Je ne sais pas comment ces procès verbaux sont arrivés à l’éditeur qui les a publiés en 1872 à Paris — certainement pas par solidarité avec les militants de l’Association internationale, qui était alors absolument diabolisée!

J’écris « le » conseil fédéral, mais il y en a eu un autre, celui-ci est le seul dont nous avons des procès verbaux (voir le « rififi » conté le 22 décembre).

La réunion s’est tenue, certainement, à la Corderie du Temple. Comme la réunion de la Délégation des vingt arrondissements, qui a rédigé la célèbre affiche rouge. Et le même jour, ça je m’en suis convaincue: Jules Vallès, dans un (célèbre, lui aussi) article publié dans Le Cri du peuple daté du 7 janvier 1884, s’est souvenu que l’affiche avait fini d’être rédigée au moment où les premiers obus tombaient sur Paris, au petit matin du 5 janvier, donc, comme nous l’avons vu hier, et que le texte en avait été apporté ce jour-là à la réunion de la Délégation des vingt arrondissements.

Les deux réunions ont lieu le même jour. Peut-être pas à la même heure quand même… l’article de Vallès ne laisse pas imaginer qu’il y ait eu deux salles de réunion à la Corderie.

J’ai déjà mentionné le procès verbal de ce conseil fédéral, ainsi que celui de sa réunion suivante, dans un autre article. La réunion était consacrée par le conseil fédéral à la recherche d’un journal, et, un peu par force, au choix entre La République des travailleurs et La Lutte à outrance, le dix-septième et le sixième arrondissements…

Ce que je veux faire aujourd’hui, c’est vous parler d’eux, de ceux qui participent à la réunion, et vous dire à quel point nous ne savons rien d’eux.

La liste des sections présentes ou représentées comporte vingt-trois noms. Il y avait donc peut-être au moins vingt-trois présents à la réunion. Seuls les noms de dix d’entre eux apparaissent dans le procès verbal.

  • Jules Franquin, né en 1838, un imprimeur-lithographe que nous avons déjà rencontré au cours du troisième procès de l’Internationale, il était alors trésorier. Il préside la réunion et certainement représente la section des imprimeurs lithographes.
  • Eugène Varlin, né en 1839, que nous connaissons un peu mieux et qui, nous le savons, est relieur. Mais la section des relieurs n’est pas représentée… peut-être représente-t-il la section des Batignolles, puisqu’il vit là, désormais, mais je crois plutôt à la section « La Marmite, 3e et 4e groupe ». Car la Marmite, fondée il y a à peine trois ans, a désormais quatre groupes, dont un rue Berzélius, où il arrive qu’Eugène Varlin donne ses rendez-vous. Il est assesseur de la réunion.
  • Henri Goullé, né en 1842, un employé de commerce, qui habite le troisième arrondissement (qu’il représente au comité central des vingt arrondissements). Comme son frère Albert, il y a deux mois, il écrivait dans La Patrie en danger. Si on tient à lui mettre une étiquette, c’est un blanquiste. Outre le journal, nous l’avons rencontre, grâce à son frère Albert, dans un autre article. Il est le secrétaire de la réunion.
  • (Benjamin, je pense) Buisson (né en 1846), qui vient des Batignolles et représente La république des travailleurs.
  • Émile Lacord, né en 1838, un cuisinier. Il représente certainement la section de l’École de médecine (et le club du même nom) et La Lutte à outrance.
  • Leo Frankel, né en 1844, un bijoutier, que nous avons, lui aussi, rencontré plusieurs fois, et notamment lors de sa brillante défense lors du troisième procès de l’Internationale, il représente certainement la chambre syndicale des bijoutiers.
  • Boudet — dont je ne sais rien, peut-être un tisseur…
  • Jean-Baptiste Noro, né en 1842, qui est peintre (artiste) et vit dans le quatrième (nous avons rencontré son épouse Émilie Noro, emprisonnée cinq mois plus tard) et dont je ne sais pas quelle section il représente.
  • Zéphirin Camélinat, né en 1840, un bronzier, que nous avons rencontré, lui, notamment au temps du deuxième procès de l’Internationale, il vit dans le quartier Saint-Ambroise et je ne sais pas quelle section il représente.
  • Chatel — dont sais seulement qu’il était employé de commerce — souvenez-vous, lui et Lacord avaient signé de petites protestations comme « délégués » du conseil fédéral (le 28 novembre).

Des jeunes gens… dont plusieurs, Varlin, Goullé, Lacord, Frankel, Noro, Camélinat, peut-être d’autres, se battront sur les barricades dans quelques semaines et dont deux, Varlin et Goullé, seront assassinés par l’armée versaillaise.

Mais nous sommes en janvier 1871. Je suppose que la réunion a lieu à 8 heures du soir, cela semblait être l’habitude. D’ailleurs, le procès verbal de la réunion suivante informe qu’elle se termine à onze heures et demie (sans précision). C’est le premier jour du bombardement de Paris. Ils viennent de chez eux, ou d’ailleurs, peut-être certains ont-ils mangé ensemble, à la Marmite la plus proche, certainement ils ont échangé des commentaires sur le temps qu’il faisait — glacial. La plupart de ceux que j’ai nommés vivaient sur la rive droite, mais Émile Lacord, lui, venait du sixième arrondissement, et sûrement il a confirmé que le petit bras de la Seine était toujours gelé. Malgré le gel, les obus et la difficile situation politique, ils se sont souri, ont dit quelques mots de leur vie familiale — ou pas.

Henri Goullé, le secrétaire, n’a pas noté ces détails, il n’écrivait pas un roman ni un journal mais un procès verbal. Alors nous sommes forcés de les inventer.

Peut-être ont-ils croisé, avant ou après la réunion du conseil fédéral, leurs amis de la délégation des vingt arrondissements,  qui sortaient de la leur ou qui y entraient. Elle était rédigée, mais il fallait encore l’adopter, l’imprimer et l’afficher, cette fameuse affiche rouge — Place au peuple, place à la Commune!

Et, puisque tout cela a lieu en même temps, eh bien, si je ne me trompe pas, le seul signataire de l’affiche rouge qui s’est exprimé au cours de cette réunion du conseil fédéral est Émile Lacord. Henri Goullé ne l’a pas signée mais son frère Albert si. Parmi les autres signataires, trois figureront dans le procès verbal de la réunion suivante, dans une semaine, le 12 janvier, ce sont Jean-Louis Pindy, Armand Lévy et Albert Theisz.

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J’ai déjà utilisé la photographie de la rue de la Corderie dans un article ancien.

Je remercie, notablement, Maxime Jourdan pour les renseignements sur Henri Goullé.

Les procès verbaux sont dans ce livre:

Les séances officielles de l’Internationale à Paris pendant le siège et pendant la Commune, Lachaud (1872).

Cet article a été préparé en mai 2020.