Nous avons parlé (article d’hier) de capitulation, mais le gouvernement, lui, n’a employé que le mot armistice. Je commence par citer Lissagaray (les citations en vert):

Ce Gouvernement défendu tant qu’on l’avait cru de défense puait pour tous la capitulation. Le jour même de l’échauffourée [le 22 janvier], il fit sa dernière jésuiterie. Jules Simon, ayant réuni les maires et une douzaine d’officiers supérieurs, offrit le commandement suprême au militaire qui proposerait un plan. Ce Paris qu’ils avaient reçu exubérant de vie, les hommes du 4 Septembre l’abandonnaient à d’autres, maintenant qu’ils l’avaient fait exsangue. Aucun des assistants ne releva l’ironie. Ils se bornèrent à refuser cet héritage désespéré. Jules Simon les attendait là. Quelqu’un dit:

Il faut capituler,

le général Lecomte. Les maires comprirent enfin pourquoi on les avait convoqués et quelques-uns étanchèrent un pleur.

Dès lors Paris vécut comme le malade qui attend l’amputation. Les forts tonnaient toujours, les morts et les blessés continuaient de rentrer, mais on savait Jules Favre à Versailles. Le 27, à minuit, le canon se tut. Bismarck et Jules Favre s’était entendus d’honneur. Paris était livré.

Je copie la proclamation du gouvernement dans Le Rappel daté du 29 janvier:

Proclamation

Citoyens,

La convention qui met fin à la résistance de Paris n’est pas encore signée, mais ce n’est qu’un retard de quelques heures.
Les bases en demeurent fixées telles que nous les avons annoncées hier:
L’ennemi n’entrera pas dans l’enceinte de Paris;
La garde nationale conservera son organisation et ses armes;
Une division de douze mille hommes demeure intacte ; quant aux autres troupes, elles resteront dans Paris, au milieu de nous, au lieu d’être, comme on l’avait d’abord proposé, cantonnées dans la banlieue. Les officiers garderont leur épée.

Nous publierons les articles de la convention aussitôt que les signatures auront été échangées, et nous ferons en même temps connaître l’état exact de nos subsistances.
Paris veut être sûr que la résistance a duré jusqu’aux dernières limites du possible. Les chiffres que nous donnerons en seront la preuve irréfragable, et nous mettrons qui que ce soit au défi de les contester.
Nous montrerons qu’il nous reste tout juste assez de pain pour attendre le ravitaillement, et que nous ne pouvions prolonger la lutte sans condamner à une mort certaine deux millions d’hommes, de femmes et d’enfants.

Le siège de Paris a duré quatre mois et douze jours; le bombardement, un mois entier. Depuis le 15 janvier la ration de pain est réduite à 300 grammes; la ration de viande de cheval, depuis le 15 décembre, n’est que de 30 grammes. La mortalité a plus que triplé. Au milieu de tant de désastres, il n’y a pas eu un seul jour de découragement.

L’ennemi est le premier à rendre hommage à l’énergie morale et au courage dont la population parisienne tout entière vient de donner l’exemple. Paris a beaucoup souffert; mais la République profitera de ses longues souffrances, si noblement supportées. Nous sortons de la lutte qui finit, retrempés pour la lutte à venir.
Nous en sortons avec tout notre honneur, avec toutes nos espérances; malgré les douleurs de l’heure présente, plus que jamais nous avons foi dans les destinées de la patrie.

Paris, 28 janvier 1871.

Les membres du gouvernement :

Général TROCHU, JULES FAVRE, EMMANUEL ARAGO, JULES FERRY, GARNIER-PAGÈS, EUGÈNE PELLETAN, ERNEST PICARD, JULES SIMON,
LE FLO, ministre de la guerre, DORIAN, ministre des travaux publics, MAGNIN, ministre de l’agriculture et du commerce.

Souvenez-vous, Trochu l’avait juré (voir notre article du 7 janvier), le gouverneur de Paris ne capitulera pas. Mais lui, Trochu (qui n’est plus gouverneur de Paris, voir notre article du 22 janvier), lui, peut capituler, et il le fait.

Au passage cité ci-dessus, Lissagaray ajoute:

La ville resta morne. Ces longues journées d’émoi avaient affaissé les colères.

Ce n’est pas exactement l’impression qu’a eue Florent Rastel:

La capitulation fait bouillir les faubourgs sans rien cuire de bon: nous crevons de « clubailleries », le mot est de Guifès [l’imprimeur, internationaliste]

Clubs et ligues sont des sables mouvants, plus on s’y remue, plus on s’y enfonce. La bourgeoisie flattera le Prussien pour qu’il l’aide à conserver sa puissance. Le peuple paiera, et beaucoup plus que les deux cents millions de francs exigés par le vainqueur.

Pour l’imprimeur, qui commande la 5e compagnie de tirailleurs, la seule issue demeure dans l’organisation des ouvriers sous la houlette de l’Internationale.

La République est en danger, affirme-t-il. Les internationaux doivent s’unir aux Républicains pour la défendre.

Ici on ne peut s’empêcher de se souvenir que Florent et Guifès sont des personnages d’un roman paru en 1970.

Mais Florent est (aussi) avec Gustave Flourens.

Entre deux conciliabules, Flourens collationne ses textes, discours, articles, réflexions, et comptes rendus. De briques et de morceaux, l’universitaire construit un pamphlet sur la capitale livrée.

— Voilà, Florent, quelles en seront les premières lignes:

Cinq cent mille hommes armés, renfermés dans une place forte; viennent de se rendre à deux cent mille assiégeants. L’histoire aura peine à comprendre un pareil fait, unique dans ses annales.

— L’histoire dira qu’à Metz, lui répondit un de ses visiteurs, une armée immense, encadrée, instruite, formée de vieux soldats, se laissa livrer sans qu’un maréchal, un chef de corps, se levât pour la sauver de Bazaine, tandis que les Parisiens, sans guides, sans organisation, devant deux cent quarante mille soldats et mobiles acquis à la paix, firent reculer de trois mois la capitulation.

Gustave Flourens cite en effet les premières lignes de son livre Paris livré. Ni Florent ni son auteur ne nomment le visiteur. Mais les grands esprits (Chabrol et moi, soyons modestes) ici se sont rencontrés pour parler de la capitulation et ce que dit le visiteur est une citation de… Lissagaray.

Gustave Flourens écrit son livre avant la Commune. Lissagaray écrit le sien après. Voici la phrase complète:

tandis que les Parisiens sans guides, sans organisation, devant deux cent quarante mille soldats et mobiles acquis à la paix, firent reculer de trois mois la capitulation et la vengèrent de leur sang.

*

L’image de couverture, d’après une lithographie de Daumier, représente l’armistice, elle est reproduite dans le livre de Dayot, et c’est là que je l’ai copiée, sur Gallica.

Livres cités

Lissagaray (Prosper-Olivier)Histoire de la Commune de 1871, (édition de 1896), La Découverte (1990).

Chabrol (Jean-Pierre)Le Canon fraternité, Paris, Gallimard (1970).

Flourens (Gustave)Paris livré, Lacroix, Verboeckhoven et Cie, 1871.

Dayot (Armand), L’Invasion, Le siège, la Commune. 1870-1871. D’après des peintures, gravures, photographies, sculptures, médailles autographes, objets du temps, Flammarion (s.d.).

Cet article a été préparé en août 2020.