Voici quatre livres, (une partie de ce) que je lis ces jours-ci.

L’un d’eux a déjà une dizaine d’années, La Commune de Paris par ceux qui l’ont vécue, de Laure Godineau, mais c’est un bel et bon livre, dont je me suis aperçue récemment avec consternation qu’il n’était pas dans ma liste de livres. Voilà, c’est arrangé! Il est disponible en librairie. N’hésitez pas.

Il y a le gros livre, La Commune de Paris 1871, dont je ne vais pas vous parler: il y a eu plusieurs articles de presse enthousiastes de journalistes qui certainement avaient eu le temps de le lire en entier. Je n’ai encore lu qu’un tiers des notices biographiques et que la moitié des articles thématiques…

Le livre rouge, c’est la première biographie de Léo Frankel en français, c’est Julien Chuzeville qui l’a écrite, elle vient de sortir, elle ne sera en librairie que le 18 février, mais elle est déjà en pré-vente à la librairie en ligne de Libertalia. Je vais en parler plus longuement dans un prochain article. N’hésitez pas à la commander, c’est un beau livre et un soutien pour l’éditeur dans cette période difficile!

Ce dont je veux vous parler aujourd’hui, c’est du quatrième livre sur la photo. Il est paru déjà depuis un mois ou deux, mais voilà, l’auteur (pas Benoît Malon, Jean-Pierre Bonnet) voulait me l’envoyer, bref, je ne l’avais pas encore. Rattrapons le temps perdu. Il s’agit de lettres de Benoît Malon, adressées à André Léo (entre 1868 et 1871) puis à Mathilde Roederer (entre 1872 et 1876) et à quelques autres. Il y a une présentation de Claude Latta, un préambule de Jean-Pierre Bonnet, un début de texte Vies parallèles d’André Léo et de Benoît Malon, de Lucien Descaves, et — enfin! — les lettres, admirablement présentées et annotées par Jean-Pierre Bonnet.

Benoît Malon est emprisonné à Sainte-Pélagie après le « deuxième » procès de l’Internationale. Il vient de faire la connaissance de l’écrivaine André Léo. Grâce à cet emprisonnement, il lui écrit. Ainsi nous avons des échos de ce dont discutaient nos amis de l’Association internationale pendant ces trois mois de 1868 — ils parlaient de femmes! sans doute pas seulement, mais ce dont Malon parle à André Léo, ce sont les discussions à propos des femmes entre les « proudhoniens » et les autres. Je ne vous raconte pas tout, parce que, peut-être, vous allez lire le livre (si votre libraire ne l’a pas, elle peut vous le commander!).

C’est ensuite 1869. Ils sont à nouveau éloignés. Il termine une lettre par:

Je vous aime de tout mon cœur.

Passent des informations sur les violences policières après les élections de juin 1869. Et puis, cela fait un an qu’ils se sont rencontrés.

Votre amitié n’en reste pas moins la circonstance dominante de cette époque de mon existence. Au revoir, quand vous reverrai-je? en attendant permettez-moi de vous embrasser de tout mon cœur, comme je vous aime.

(Le 16 juin 1869.) Et, le 25 juin:

Il faut pourtant que je termine ce griffonnage où je me complais; tout plaisir a une fin. Croyez à ma toute filiale affection. J’attends avec impatience le jour qui me permettra de vous dire de vive-voix que vous êtes mon idole d’amitié.

Et encore:

[…] vous êtes un modèle d’amitié; je me bornerai à vous dire qu’en retour je vous aime plus que je ne saurais dire et autant qu’il est possible d’aimer.

Il a versé, dit-il, des larmes de joie, et ajoute

J’ai dans l’âme une fleur que nul ne peut cueillir.

(Ceci est un article fleur bleue!). Et il clame son bonheur. Et voilà 1870. Apparemment, pendant qu’il rend compte des grèves du Creusot et des procès des mineurs pour La Marseillaise, il ne lui écrit pas (voir ici la liste de ses articles). Mais il y a le plébiscite, le manifeste antiplébiscitaire, l’emprisonnement des responsables de l’Association internationale des travailleurs, mais j’ai déjà raconté tout ça, et puis le « troisième » procès, que j’ai raconté aussi, et il est incarcéré à Sainte-Pélagie le 25 juillet.

J’ai repris mon ancienne cellule de 68; j’écris sur la table que j’ai il y a deux ans mouillée de larmes de joie.

Et voilà la lettre que j’attends (pour ne rien vous cacher, je les ai déjà lues, ces lettres, avant qu’elles deviennent ce livre). Parce que, sur ces moments, j’ai beaucoup lu, et j’ai beaucoup écrit. Notamment les Écrits d’Eugène Varlin, qui se terminent par le constat:

Il n’y a aucune lettre d’amour dans ce livre.

En réalité, il n’y a aucune lettre d’amour dans toute cette histoire. Ni dans le livre d’Eugène Varlin, ni dans les articles de ce site. Ceux et celles qui en ont écrit ou reçu les ont fait disparaître. Si vous en connaissez, envoyez-les moi!

De sorte que, lorsque j’ai lu pour la première fois la lettre du 21 août 1870, j’en ai presque pleuré, moi aussi (je vous l’ai dit, ceci est un article fleur bleue!).

Très chère amie c’est seulement maintenant que je reçois ta lettre bien aimée, je l’ai embrassée avec effusion parce qu’elle me tire d’un véritable engourdissement moral.
[…]
Maintenant laisse-moi te redire que je t’aime toujours de toutes les forces de mon cœur […]

Mais oui, rassurez-vous, il parle de la guerre, de la situation politique, des articles d’André Léo, notamment à propos de l’ « Affaire de La Villette » (nous les avons lus ici). Et il conclut:

Je t’embrasse mille fois et je t’aime plus que je ne saurais dire.

Merci à Jean-Pierre Bonnet de nous donner ces lettres à lire!

Références des livres sur la photo

Chuzeville (Julien)Léo Frankel, communard sans frontière, Libertalia (2021).

Malon (Benoît)Lettres à André Léo & à quelques autres, textes édités et annotés par Jean-Pierre Bonnet, Ressouvenances (2020).

Cordillot (Michel) (coord.), La Commune de Paris 1871. Les acteurs, l’événement, les lieux, L’Atelier (2021).

Godineau (Laure)La Commune de Paris par ceux qui l’ont vécue, Parigramme (2010).

Et aussi

Varlin (Eugène), Eugène Varlin, ouvrier relieur 1839-1871, Écrits rassemblés et présentés par Michèle Audin, Libertalia (2019).