C’est un peu ennuyeux, de passer tant de temps sur des élections… en tout cas, elles ont lieu le 8 février 1871 et je suis bien obligée d’en parler aujourd’hui.

En allant voter, ces messieurs les électeurs parisiens ont peut-être vu l’affiche que j’utilise en couverture de cet article (et que j’ai trouvée au musée Carnavalet). Une bonne nouvelle: à partir d’après-demain, le pain n’est plus rationné. [Mes excuses pour avoir utilisé deux jours de suite la même couverture, c’est une indication du désordre chronologique dans lequel j’ai écrit ces articles…]

Autre nouvelle du jour, la démission de Gambetta du gouvernement. Souvenez-vous: il a quitté Paris en ballon le 7 octobre, il a rejoint Tours et désormais la délégation gouvernementale à laquelle il appartient est à Bordeaux. Et, aujourd’hui, 8 février, le Journal officiel annonce sa démission:

Le gouvernement a reçu aujourd’hui une dépêche de M. Gambetta contenant sa démission de membre du gouvernement, de ministre de l’intérieur et de délégué du ministère de la guerre. Cette démission a été acceptée. M. Emmanuel Arago a été chargé, à Bordeaux, du portefeuille de l’intérieur. M. le général Le Flô, ministre de la guerre, part ce soir pour prendre la direction des affaires militaires.

Comme dit Le Siècle daté du lendemain, on ne connaît pas les raisons pour lesquelles la lettre que Gambetta a envoyée aux préfets et sous-préfets n’est pas publiée par le Journal officiel. En tout cas, la voici (d’après Le Siècle):

Bordeaux, le 6 février 1871, 3 h.

Intérieur et guerre à préfets et sous préfets.

CIRCULAIRE.

Ma conscience me fait un devoir de résigner mes fonctions de membre d’un gouvernement avec lequel je ne suis plus en communication d’idées ni d’espérance.
J’ai l’honneur de vous informer que j’ai remis ma démission aujourd’hui même, en vous remerciant du concours patriotique et dévoué que j’ai toujours trouvé en vous pour mener à bonne fin l’œuvre que j’avais entreprise.
Je vous prie de me laisser vous dire que mon opinion profondément réfléchie est qu’à raison de la brièveté des délais et des graves intérêts qui sont en jeu, vous rendrez un suprême service à la république en faisant procéder aux élections du 8 février, et vous réservant, après ce délai, de prendre telles déterminations qui vous conviendront.
Je vous prie d’agréer l’expression de mes sentiments fraternels.

LÉON GAMBETTA.

Pour copie conforme :
Le ministre de l’intérieur par intérim, F. HÉR0LD.

Pourquoi donc démissionne-t-il? Eh bien, en préparation des élections, justement, il a promulgué, à Bordeaux, le 31 janvier, un décret qui frappe d’inéligibilité:

1° Les individus qui, depuis le 1er décembre 1851 jusqu’au 4 septembre 1870, ont accepté les fonctions de ministre, de sénateur, de conseiller d’État et de préfet;
2° les individus qui, aux assemblées législatives qui ont eu lieu depuis le 2 décembre 1851 jusqu’au 4 septembre 1870, ont accepté la candidature officielle et dont les noms ont figuré au Moniteur officiel avec les mentions de candidats du gouvernement, candidats de l’administration, candidats officiels.

C’est ce décret dont il était question salle Molière dans notre article d’avant-hier.

Ceux d’entre vous qui ont lu mes articles sur l’amnistie des communards, notamment celui-ci et surtout celui-là, savent que je n’ai pas un grand amour et même pas immensément de respect pour le politicien Gambetta. Pourtant, ici, il a peut-être été plus correct que ses petits camarades du gouvernement (ceux qui sont restés à Paris). Voilà que Jules Simon (l’un d’eux) arrive à Bordeaux, justement le 31 janvier, il y a des mesures à prendre justement pour installer là cette assemblée que l’on va élire. Et il découvre le décret affiché! Le Journal officiel daté du 5 février commente:

Il était impossible que M. Jules Simon donnât son adhésion à une pareille mesure, restrictive du droit des électeurs et créant une véritable candidature officielle par exclusion; il a demandé que le décret fût rapporté. Nous ne savons point encore quelle a été la décision de la délégation; mais, en apprenant ces faits, le Gouvernement a rendu le décret ci-dessus, qui maintient dans son intégrité la liberté du suffrage des électeurs.

Le « décret ci-dessus », le voici… ci-dessous.

Le Gouvernement de la défense nationale,
Vu un décret en date du 31 janvier 1871, émané de la délégation du Gouvernement à Bordeaux, par lequel sont frappées d’inéligibilité diverses catégories de citoyens éligibles aux termes des décrets du Gouvernement, du 29 janvier 1871;
Considérant que les restrictions imposées au choix des électeurs par le susdit décret sont incompatibles avec le principe de la liberté du suffrage universel,

DÉCRÈTE:
Le décret susvisé, rendu par la délégation du Gouvernement à Bordeaux, est annulé.

Les décrets du 29 janvier 1871 sont maintenus dans leur intégrité.

Fait â Paris, le 4 février 1871.
GÉNÉRAL TROCHU, JULES FAVRE, GARNIER-PAGÈS, ERNEST PICARD,
JULES FERRY, EMMANUEL ARAGO, EUGÈNE PELLETAN.

Et voilà pour aujourd’hui: les électeurs votent et, s’ils le souhaitent, ils peuvent voter pour « les mêmes ». Vive la République!

Cet article a été préparé en septembre 2020.