Comme hier, je lis Le Rappel, celui daté du 15 février, et j’y lis, non pas encore les résultats définitifs des élections, il manque encore les résultats complets des quatorzième et dix-huitième arrondissements, ceux de vingt-deux des soixante-dix-sept communes de banlieue et le vote de l’armée (les militaires présents à Paris votent, à part, comme la gravure de Daniel Vierge ci-dessus, parue dans Le Monde illustré le 18 février, l’illustre).

Pourtant, on sait que d’ores et déjà sont élus (et Le Rappel les range par ordre décroissant du nombre des voix (dépouillées) obtenues (j’ai indiqué en rouge les futurs élus à la Commune):

  1. Victor Hugo [ce qui doit faire plaisir à la rédaction du Rappel, journal hugolien]
  2. Louis Blanc
  3. Edgar Quinet
  4. Gambetta
  5. Garibaldi
  6. Rochefort
  7. Amiral Saisset
  8. Pierre Joigneaux [représentant du peuple en 1848, exilé en Belgique après le 2 décembre 1851]
  9. Delescluze
  10. Schœlcher [oui, celui dont on a « déboulonné » des statues à Fort-de-France en mai 2020]
  11. Pyat
  12. Henri Martin
  13. Pothuau
  14. Gambon [« notre » Gambon, celui à la vache]
  15. Ranc
  16. Dorian
  17. Lockroy
  18. Malon [voir notre article du 4 février]
  19. Brisson
  20. Sauvage
  21. Dufraisse
  22. Martin Bernard [typographe représentant du peuple en 1848]
  23. Greppo [canut et représentant du peuple en 1848]
  24. Vacherot
  25. Langlois
  26. Frébault
  27. Floquet
  28. Littré
  29. Cournet
  30. Thiers
  31. Clemenceau
  32. Tolain
  33. Brunet

Qui seront les dix autres n’est pas encore bien clair (voir les souvenirs de Gustave Lefrançais, qui est l’un des suivants, dans notre article du 11 février). Au cas où vous ne l’auriez pas remarqué, je le souligne, les seuls membres du gouvernement dans cette liste sont Gambetta, qui était à Tours et Bordeaux pendant la plus grande partie du siège, et Dorian, assez populaire aux alentours du 31 octobre.

Les résultats définitifs seront connus demain, mais vous en avez peut-être assez de lire des articles sur ces élections (en tout cas, moi, j’en ai assez écrit), donc les voici avec un jour d’avance, toujours dans Le Rappel daté du 16 février (et avec le même code couleur).

  1. Louis Blanc
  2. Victor Hugo
  3. Garibaldi
  4. Edgar Quinet
  5. Gambetta
  6. Rochefort
  7. Amiral Saisset
  8. Delescluze
  9. P. Joigneaux
  10. V. Schœlcher
  11. Félix Pyat
  12. Henri Martin
  13. Amiral Pothuau
  14. Lockroy
  15. Gambon
  16. Dorian
  17. Ranc
  18. Malon
  19. Brisson
  20. Thiers
  21. Sauvage
  22. Martin Bernard
  23. Dufraisse
  24. Greppo
  25. Langlois
  26. Frébault
  27. Clemenceau
  28. Vacherot
  29. Brunet
  30. Floquet
  31. Cournet
  32. Tolain
  33. Littré
  34. Jules Favre
  35. Arnaud (de l’Ariège)
  36. Ledru-Rollin
  37. Léon Say
  38. Tirard
  39. Razoua
  40. Edmond Adam
  41. Millière
  42. Peyrat
  43. Farcy

Voici les positions occupées par certains autres candidats auxquels les lectrices et lecteurs de ce site pourraient s’intéresser: 46. Tridon, 47. A. Arnould, 49. Lefrançais, 50. Oudet, 54. Jules Miot, 59. Jaclard, 60. Assi, 62. Johannard, 64. Varlin, 68. Blanqui… Gustave Tridon est pourtant élu, mais par le département de la Côte-d’Or.

Je n’ai pas recopié les nombres de votes obtenus par chacun des élus. Je vous rassure, Louis Blanc et Victor Hugo sont presque à égalité, avec environ 215,000 voix chacun. Je suis sûre que vous avez remarqué l’arrivée dans les élus de Jules Favre (plus courageux que ses autres petits camarades du gouvernement, il s’était présenté, il méritait donc un petit coup de pouce) et surtout la remontée extraordinaire du petit Thiers (qui n’avait pas besoin de ce tripatouillage, puisqu’il était élu par plusieurs départements, mais, on a beau détester Paris…).

Nous avons eu les commentaires de Gustave Lefrançais, voici ceux de la rédaction du Rappel (l’article n’est pas signé) (en vert la citation):

Quarante-trois candidats ayant réuni la majorité voulue, c’est-à-dire les voix de plus du huitième des électeurs inscrits, il n’y aura pas à Paris de scrutin de ballotage.

Les options des représentants élus dans plusieurs départements devront seules donner lieu à de nouvelles élections.

Nous ne soupçonnons pas le gouvernement de jouer avec les chiffres du scrutin et de les arranger à sa fantaisie; mais nous lui serions reconnaissants de nous aider à comprendre les contradictions singulières qu’il y a entre ses chiffres d’hier matin et ses chiffres de cette nuit.

Hier matin, le Journal officiel donnait les résultats définitifs pour presque tous les arrondissements; ce qui en manquait était insignifiant, et ne semblait guère pouvoir modifier la liste ni le nombre des voix.

Aujourd’hui, les quelques sections qui manquaient ont suffi à tout bouleverser: ainsi, M. Thiers, qui ne paraissait pas devoir être élu, arrive vingtième.

Une autre chose extraordinaire, c’est le manque de proportion entre le nombre de voix gagnées par les candidats. Quand la différence est minime comme entre Victor Hugo, qui a gagné 9,181 voix et Louis Blanc qui en a gagné 7,469, passe. Nous admettons encore que Garibaldi n’en ait gagné que 8,459 pendant que M. Dorian en gagnait 15,281 et M. Jules Favre 13,721.

Mais nous avouons n’être pas parvenus à nous expliquer par quel miracle M. Thiers, qui n’en avait que 61,831, se trouve brusquement en posséder 102,945, c’est à-dire quarante-et-un mille cent quatorze de plus.

Ce miracle n’est rien à côté d’un autre.

Félix Pyat, dans le Journal officiel d’hier, avait 141,531 voix; dans le Journal officiel d’aujourd’hui, il en a 141,118, — quatre cent treize de moins!

Hier, Edouard Lockroy en avait officiellement 152,313; aujourd’hui, il en a non moins officiellement 134,435, — dix-sept mille huit cent dix-huit de moins! 

Ceci est un mystère que nous conjurons le gouvernement de nous éclaircir. Car, si notre raison s’explique peu comment MM.Thiers et Jules Favre ont pu gagner tant de voix, elle ne s’explique pas du tout comment Félix Pyat et Edouard Lockroy ont pu en perdre.

Cet article a été préparé en août 2020.