Le 15 février 1871, les délégués des bataillons de la garde nationale se réunissent au Waux-Hall (ou Vauxhall, ou toute autre variante — je ne suis même pas sûre de la façon dont ce mot se prononçait). Si je comprends bien « Vauxhall » venait de Londres et fonctionnait comme un nom commun: une salle de danse avec une tribune pour l’orchestre.

De quoi faire une grande salle de réunion!

C’est le cas pour le nôtre, qui s’appelle Tivoli-Vauxhall, se trouve, dans le dixième arrondissement, à proximité du canal Saint-Martin, entre les rues de la Douane (Léon-Jouhaux) — où est l’entrée — et du Faubourg-du-Temple — où est la sortie, ce qui en fait une salle assez longue! Voyez l’image sur l’affiche de couverture.

Très bien placé pour les réunions publiques de la fin de l’empire. Contrairement à la salle de la rue d’Arras (voir notre article du 9 octobre) dont on peut retrouver la forme dans celle d’un cinéma, celle-ci a été remplacée par un groupe d’immeubles d’habitation.

Après cette inévitable digression sur le lieu, revenons à la date. C’est le 15 février, dans cet entre-deux, après le siège (mais les Prussiens sont toujours aux portes), après l’élection de l’assemblée (mais qui va siéger à Bordeaux), avant… mais avant quoi? Les Parisiens (hommes) sont toujours gardes nationaux, les armes et les canons, dont on s’est si peu servi contre l’ennemi, sont toujours là.

Et donc les délégués des bataillons se réunissent. Nous sommes à l’aube de la Fédération républicaine de la Garde nationale, de son Comité central — celui qui occupera les lieux du pouvoir quand le gouvernement les aura abandonnés. Mais nous n’en sommes pas là!

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Je ne sais pas à quelle heure se tient cette assemblée au Waux-Hall [c’était à neuf heures du matin, d’après la convocation parue dans Le Mot d’ordre — merci à Maxime Jourdan pour cette précision ajoutée le 15 février 2021], mais je sais que c’est à huit heures du soir que se réunit, pas très loin de là (et symétriquement par rapport au Château d’Eau (République)), à la Corderie du Temple, le comité fédéral de l’Association internationale des travailleurs.

Augustin Avrial préside, Leo Frankel est assesseur et Henri Goullé, secrétaire, rédige le compte rendu. Avant le vrai début de la réunion, dont l’ordre du jour est… la réorganisation de l’Association, les présents entendent des nouvelles de notre ami Le Doré, de Brest (voir notre article du 23 juillet), mais le compte rendu ne dit pas lesquelles. Les parties en vert dans ce qui suit sont des citations.

Augustin Avrial: La Petite Presse annonce que Victor Hugo et Louis Blanc sont présidents honoraires de l’Internationale et que Malon et Tolain ont reçu un à-compte de 20,000 francs sur les 200,000 que l’Internationale leur alloue par an, pendant qu’ils seront députés. Il serait urgent de rectifier.

Auguste Serraillier intervient — il est donc là. Je passe la discussion qui suit les nouvelles données pas Avrial et je passe à une intervention d’Albert Theisz.

Albert Theisz: L’Internationale doit devenir le gouvernement social lui-même dans l’avenir. Les sociétés ouvrières se groupent difficilement aujourd’hui; les sections se constituent plus facilement; les sociétés ouvrières sont fatalement vouées à la lutte quotidienne du salariat: nous savons combien cette tâche est rude, embarrassée dans mille détails, absorbante. Les sections, avec un bon esprit politique et social, sont appelées à posséder une grande domination sur l’opinion publique. Je propose donc au C. F. de marcher résolument vers l’avenir, et, pour en ouvrir la voie, je vous demande la nomination d’une commission spécialement consacrée à faire une enquête au sein même de chaque section et en dresser un rapport qui vous sera soumis. Les membres de cette commission seront les porte-paroles du C. F. et développeront dans les sections la pensée du C. F. Une scission s’est produite dans la dernière élection [voir nos articles sur les élections]; il est certes déplorable d’avoir vu une section hasarder une démarche près de la bourgeoisie.

Une discussion suit.

Augustin Avrial: C’est avec raison que les statuts laissent aux sections le soin de se créer et de se réglementer elles-mêmes. Je mets en discussion la proposition de Theisz.

Leo Frankel: J’appuie la proposition de Theisz pour reconstituer l’Internationale. Je voudrais en outre qu’on avisât aux moyens d’avoir un journal et qu’on nommât des secrétaires pour renouer des relations avec la France et avec l’étranger.

Auguste Serraillier: On s’occupe trop des sections et pas assez du C. F., qui, lui, n’a pas rempli son devoir. Le conseil général de Londres n’a jamais eu assez de renseignements du C. F. pour connaître la situation de la branche française de l’Internationale. Il est urgent de reconstituer et l’Internationale et le conseil fédéral, puis de nommer des secrétaires qui correspondent immédiatement avec l’étranger et avec le conseil général.

Une fusion de tous les dissidents est indispensable. D’accord avec la section de l’Est, plusieurs sections ont nommé un nouveau conseil fédéral [sur ce « deuxième » ou « nouveau » conseil fédéral, voir notre article du 22 décembre]; toutes offrent de le faire siéger ici et de le fondre avec vous, si vous voulez marcher en avant.

À Londres, l’Internationale est une puissance politique de premier ordre: qu’un mouvement socialiste éclate, l’INTERNATIONALE EST PRÊTE en Angleterre. En France, il n’en est pas de même.

C’est pourtant à Paris que le mouvement va éclater…

Henri Goullé. Le prolétaire français n’a pas cette atroce et hideuse misère anglaise pour aiguillon: aussi n’a-t-il pas. cette énergie patiente et tenace. Il a cependant aussi ses qualités, l’ardeur et l’audace ce sont les deux éléments qu’on doit saisir; malheureusement, depuis le 4 septembre les associés ont oublié le devoir, aussi n’a-t-on pas parcouru la carrière qu’on devait parcourir. C’est à l’avenir qu’il faut songer maintenant. J’appuie la proposition de Theisz.

La proposition Theisz est votée à l’unanimité. Sont nommés membres de la commission Theisz, Frankel, Rochat, Babick, Goullé, Piau, Pagnerre, Hamet, Demay et Bernard.

La séance est levée à onze heures un quart.

Vous avez certainement remarqué l’absence d’Eugène Varlin, il n’intervient pas, n’est pas nommé… à coup sûr il n’est pas présent.

Peut-être simplement parce qu’il est aux Tivoli-Vauxhall ce soir-là? [S’il y était, c’était le matin, voir ci-dessus.]

Nous en reparlerons dans notre article du 4 mars.

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L’affiche de couverture date probablement d’avant 1880 (« Château d’Eau » devient alors « République »), je l’ai trouvée au musée Carnavalet.

Livre utilisé

Les séances officielles de l’Internationale à Paris pendant le siège et pendant la Commune, Lachaud (1872).

Cet article a été préparé en août 2020.