Ça se passe demain 8 mars, mais je le publie aujourd’hui 7 mars parce que, à partir de demain, nous accueillerons de nouveaux lecteurs — ce « journal » va être relayé quotidiennement par L’Humanité en ligne — et j’ai trouvé cet article un peu « abrupt » pour des « nouveaux »…

Commençons par l’assemblée de Bordeaux. Le compte rendu est copié dans La Presse des 10 et 11 mars.

[…] Sur la question d’annulation de l’élection de Garibaldi [qui a été élu, n’était pas français, et a été mal traité par les députés, voir notre article du 16 février], M. Victor Hugo demande la parole.

La France, dit-il, n’a rencontré que la lâcheté de l’Europe. Et la France avait pris en main la cause de l’Europe. Pas une puissance, pas un roi ne s’est levé. Un homme seul est intervenu et cet homme est une puissance.

Une voix à droite. — Une puissance délétère. (Agitation.)

Cet homme, qu’avait-il? Une idée et une épée. Cette idée avait délivré un peuple; cette épée voulait en délivrer un autre. Garibaldi est le seul des généraux qui ait combattu pour la France et qui n’ait pas été vaincu. (Longue agitation.)

Plusieurs voix. — À l’ordre  à l’ordre!
M. de Chanzy dit quelques paroles qui se perdent dans le bruit.
De vives interpellations se croisent de divers côtés.
Les cris: À l’ordre! redoublent.
M. le président demande qu’on le laisse juge du rappel à l’ordre.
Voix à droite. — On le demande!
M. le président demande à M. Victor Hugo de s’expliquer.

M. Victor Hugo. — Il y a trois semaines que vous avez refusé d’entendre le général Garibaldi. (Nouveau bruit!)

Voix nombreuses. — Non! non!

M. Victor Hugo essaye de dominer le bruit, puis il déclare, au milieu du tumulte, donner sa démission

Un membre à droite. — Avant de juger si le général Garibaldi est ou non éligible, il faudrait qu’une enquête eût lieu sur les faits qui ont amené les désastres dans l’Est. Nous produirons des télégrammes de M. Gambetta reprochant au général Bourbaki de ne pas avancer, quand son inaction dépendait peut-être de celle d’un autre. Il faudrait savoir si le général Garibaldi, bien plutôt que combattre pour la France, n’est pas venu défendre la République universelle. (Nouvelle agitation.)

M. le président demande à M. Victor Hugo s’il maintient la lettre de démission qu’il vient de déposer.

M. Victor Hugo. — Oui, j’y persiste.

M. le président l’invite encore à se recueillir.

M. Victor Hugo déclare encore persister à donner sa démission.

M. le président demande à l’Assemblée de ne pas lui donner connaissance de la lettre de M. Victor Hugo avant demain.

La violence des passions se manifeste dans toutes les parties de l’Assemblée, dit M. le président, et il serait utile que la passion disparût d’une Assemblée délibérante.

Après que le calme est rétabli un membre du 15e bureau déclare qu’au nom du droit, le général Garibaldi n’est pas citoyen français, et que par cela même il n’est pas éligible.

M. Lockroy s’écrie, au milieu de l’agitation qui se renouvelle : M. le général Ducrot nous avait promis de revenir, mort on victorieux. (Vives réclamations à droite.) [voir notre article du 29 novembre]

M. le président. — Vous vous écartez de la question, ou plutôt vous n’y entrez pas; vous n’avez pas la parole.

M. le général Ducrot. — Je suis resté deux mois aux avant-postes sous les murs de Paris; je laisserai d’ailleurs à ceux que l’ai eu l’honneur de commander le soin de me défendre.

Le général Le Flô, en qualité de ministre de la guerre à Paris, rend pleine justice à la bravoure du général Ducrot. Du reste, ceux qui se battaient ont été souvent insultés par des gens qui ne se battaient pas. (Bravos prolongés.) Il faut dire à l’honneur de cette brave garde nationale de Paris qu’elle aussi a été insultée par ceux qui ne se battaient pas. (Applaudissements à droite, bruit à gauche.) Je parle de ceux qui insultent et non de ceux qui se sont battus. Ceux qui se battent n’insultent pas. (Bravo! bravo!) Je crois avoir satisfait aux sentiments de l’Assemblée, dit le général Le Flô,  je n’y ajoute rien. (Approbation.)

M. Langlois voudrait qu’il y eût union entre tous les citoyens sur le terrain de la patrie et de la République. Et c’est triste à dire, c’est cette union qui manque le plus. Je ne m’occupe pas de savoir qui a été vainqueur, qui a été vaincu; mais il serait digne de l’Assemblée de valider l’élection d’un homme qui a combattu pour la France jusqu’au bout, du général Garibaldi. (Non! non!) Il y a dans cette enceinte beaucoup de députés catholiques. Eh bien! pour des catholiques, pour des chrétiens, il n’y a pas seulement le baptême de l’église, il y a le baptême du sang; c’est ce baptême qui a fait Français Garibaldi. (Très bien! très bien! à gauche.)

M. le président. — Les conclusions des membres du bureau sont pour l’annulation de l’élection du général Garibaldi. (Non! non!)
Un membre déclare que le bureau n’a pas délibéré.
Après quelques paroles du rapporteur, il est entendu que le bureau sera consulté sur ses conclusions définitives.

Et maintenant, la parole à Jules Vallès, qui raconte le procès du 31 octobre et de l’affiche rouge. C’est un extrait de son roman L’Insurgé.

8 mars.

Le 31 octobre est jugé.
Un tribunal de soldats a acquitté la plupart de ceux qui, au nom du traité conclu dans cette nuit au dénouement sinistre, n’auraient jamais dû être arrêtés, ni poursuivis. [voir nos articles du 23 et du 24 février]
L’épée des juges du Conseil de guerre a cloué les parjures de l’Hôtel-de-Ville au pilori de l’Histoire.

Il ne reste plus sur la sellette que Goupil, moi, et quelques autres cités à la barre pour des faits que ne pouvait couvrir la convention.

Car l’Affiche rouge, elle aussi, est sortie victorieuse des débats.

Il y a eu deux séances au Cherche-Midi [le conseil de guerre se tient à la prison (militaire) du Cherche-Midi], deux fournées d’accusés, deux verdicts semblables d’absolution. Les gens de la Défense en sont, jusqu’à présent, pour leur courte honte.

Le Ferry s’était montré enragé pourtant: crossant les vaincus, et jurant sur l’honneur qu’il m’avait parfaitement reconnu — oui, moi, Vingtras! [Jacques Vingtras est le nom que se donne Jules Vallès dans ses romans autobiographiques] — la nuit du 31 octobre, à l’Hôtel-de-Ville: que j’étais parmi ceux qui braillaient le plus fort, et qui parlaient de l’expédier à Mazas.

Pour lui mettre la trompe dans son mensonge, il a fallu que j’aille déclarer:
1° Que moi qui ai tâté de Mazas, je préférerais faire guillotiner un camarade que d’y envoyer un ennemi;
2° Que je le crois lui, Ferry, plus digne de la fessée que du martyre;
3° Qu’il m’a été impossible, à mon grand regret, d’injurier le Gouvernement sur sa chaise curule, puisque je suis poursuivi pour avoir, à La Villette, à cette heure-là, séquestré le père Richard, maire légitime, et rendu toute une population malade en la nourrissant de harengs « destinés aux blessés ».

Il a bien fallu se rendre à l’évidence, mais Ferry a dû me recommander au prône; et pour peu que le président du Conseil de guerre ait des attaches avec le Gouvernement, mon affaire est claire… ils vont me soigner ça!

(La suite, donc, dans notre article du 10 mars!)

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En couverture, pour celles et ceux qui aiment flâner sur les grands boulevards, un dessin de Gustave Doré, boulevard Montmartre (au musée Carnavalet).

Livre cité

Vallès (Jules)L’Insurgé, Œuvres, Pléiade, Gallimard (1989).