Le samedi soir, il ne restait plus aux fédérés que le quadrilatère compris entre la rue du Faubourg-du-Temple, la rue Folie-Méricourt, la rue de la Roquette et les boulevards extérieurs. Le dimanche, à six heures et demie du matin, le maire du sixième élu le 5 novembre, marie Lucie Repiquet et Tony-Moilin dans le palais du Luxembourg. À huit heures, la mairie du vingtième est occupée par les versaillais. La barricade de la rue de Paris [notre rue de Belleville], au coin du boulevard, reste défendue par le commandant du 191e et cinq ou six gardes qui tiennent jusqu’à épuisement de munitions. Le journal Le Gaulois se réjouit des sept à huit cents communeux massacrés au cours de la prise du Panthéon mercredi. Les députés de Versailles se rendent à la messe. Tony-Moilin est exécuté près du bassin du Luxembourg, on a tiré à la tête pour que sa femme ne puisse le reconnaître dans le tas de cadavres. L’édition de Versailles du Paris-Journal annonce que vingt tombereaux de cadavres de gardes nationaux sont entrés à Versailles la nuit passée. À dix heures, la résistance est réduite au petit carré que forment les rues du Faubourg-du-Temple, des Trois-Bornes, des Trois-Couronnes et le boulevard de Belleville. Un adjoint au maire du douzième signe un permis d’inhumer pour quatre cents cadavres au cimetière de Bercy. Il pleut à torrents. À Satory, les détenus sont entassés dans un enclos découvert, Le Siècle dit qu’il en meurt un grand nombre chaque jour, de congestion cérébrale ou de froid. La rue Ramponneau se défend encore. Eugène Varlin, Théo Ferré, Ferdinand Gambon, le chassepot en bandoulière, descendent la rue des Champs et entrent dans le onzième pour défendre la barricade de la rue du Faubourg-du-Temple et de la rue Fontaine-au-Roi. Jean-Baptiste Clément et une ambulancière sont là aussi. Eugène Protot est blessé au visage. Après trois jours passés dans l’église Sainte-Elisabeth, les corps de Delescluze et des morts de la barricade du Château d’Eau sont déplacés au square du Temple. Eugène de Goncourt part à la découverte du Paris brûlé et rencontre une fournée de vingt-six condamnés de la cour martiale du Châtelet emmenés à la caserne Lobau pour y être exécutés. Un correspondant d’un journal marseillais visite le cimetière du Père-Lachaise et décrit le sang et les cadavres qu’il y a vus. La barricade de la rue de la Fontaine-au-Roi est évacuée. À midi, le dernier coup de canon fédéré part de la rue de Paris. La dernière barricade est rue Ramponneau, dit Lissagaray, au coin de la rue la Tourtille, et il écrit la légende du dernier fédéré qui la défend seul pendant un quart d’heure, qui trois fois casse la hampe du drapeau versaillais arboré sur la barricade de la rue de Paris et qui, pour prix de son courage, réussit à s’échapper. À une heure, tout est fini. Ou peut-être est-ce à deux heures. À deux heures et quart, Thiers envoie un télégramme de triomphe. À la Roquette, Anatole Claude Clinchant, dont le nom sera inscrit dans un registre de morts avant arrestation, est fusillé. À quatre heures, place Cadet, Eugène Varlin est reconnu, dénoncé et arrêté. Le correspondant du Standard a appris que cinq cents personnes ont été exécutées caserne Lobau la nuit dernière. Au cimetière Montparnasse, on a creusé d’immenses fosses, écrit Le Siècle, dans lesquelles on place les cadavres vingt par vingt, et on les recouvre d’une couche de chaux. Place Voltaire, des jeunes fusiliers se vantent, devant Lissagaray et Humbert (incognito) d’avoir commis des viols. Quatre convois de vingt-deux voitures amènent au cimetière de Passy 112 corps d’inconnus du quatrième arrondissement et 180 de la morgue. Mille neuf cent sept fédérés sont massacrés à la prison de la Roquette. À Montmartre, Eugène Varlin est assassiné. Au Père-Lachaise, on continue de ne pas inscrire les morts dans le registre.

Livres utilisés

Lissagaray (Prosper-Olivier)Les huit journées de mai derrière les barricades, Bureau du Petit Journal, Bruxelles (1871), — Histoire de la Commune de 1871, (édition de 1896), La Découverte (1990).

Dayot (Armand), L’Invasion, Le siège, la Commune. 1870-1871. D’après des peintures, gravures, photographies, sculptures, médailles, autographes, objets du temps, Flammarion (s.d.).

Audin (Michèle)Comme une rivière bleue, L’arbalète-Gallimard (2017), La Semaine sanglante. Mai 1871, Légendes et comptes, Libertalia (2021).

Cet article a été préparé en décembre 2020.