Vous croyez que c’est fini?
Mais non, on meurt toujours, on arrête toujours.

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Auguste Vermorel a été blessé, par une balle à la cuisse, sur le boulevard Voltaire, le 25 mai, comme Albert Theisz nous l’a raconté. Une concierge l’a accueilli, mais il a été dénoncé, ou alors trouvé « par hasard » (au cours d’une perquisition quand même) et arrêté, il a été emmené, sur une civière, en train, puis dans une voiture de place escortée de six gendarmes, à Versailles, d’abord à la prison Saint-Pierre, puis à l’infirmerie de cette prison militaire, enfin à l’hôpital militaire de Versailles. Ceci a l’air à peu près crédible, mais j’en ai lu tellement sur lui dans les journaux que je ne jurerais pas de tout. Voyez: un talent de troisième ordre, le crâne fracassé par une balle sur la barricade du Château-d’Eau, blessé au col du fémur, fusillé avec Dombrowski, il a prononcé l’oraison funèbre du même Dombrowski avec une rage concentrée, il a été passé par les armes, il est mort, il est moribond…

Et finalement il est mort, à l’hôpital militaire de Versailles, le 20 juin. Je vous renvoie à l‘article dans lequel son ami Albert Theisz a raconté, une deuxième fois, ces moments.

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On dit que Nathalie Lemel a essayé de se suicider. Je copie un de ces journaux.

Cependant, la citoyenne Olga [c’est d’Elisabeth Dmitrieff qu’il est question, je suppose] et la citoyenne Nathalie Duval, comandante sous ses ordres, avaient échappé à toutes les recherches, lorsque des circonstances assez curieuses ont amené l’arrestation de cette dernière.
Ne voulant pas survivre à la ruine de la Commune, elle avait résolu de se faire périr par le charbon. Elle s’enferma, en conséquence, dans son domicile, rue Larrey, 8 [on se souvient qu’il s’agit de l’adresse de La Marmite, la plaque de la couverture de cet article se trouve assez loin de là, à la Corderie], fit ses préparatifs de suicide, alluma du charbon dans deux réchauds et, pour s’étourdir, but environ un demi-litre d’absinthe.
L’air manquait; le charbon ne brûla qu’imparfaitement. Etourdie à la fois par les vapeurs d alcool et par les miasmes carboniques, la malheureuse femme tomba la tête sur l’un des réchauds qui la brûla cruellement. Elle n’avait pas la force de bouger, mais elle pu jeter des cris qui attirèrent les locataires voisins. La porte fut enfoncée. On trouva Nathalie Duval dans cette horrible position. On s’empressa de la soustraire au péril et de lui donner des soins.
Averti aussitôt, le commissaire de police du quartier Saint-André-des-Arts se rendit sur les lieux, procéda aux constatations et commença une enquête.
Pressée de questions par ce magistrat, la citoyenne Nathalie, qui est originaire de Brest, finit par avouer le rôle quelle elle avait joué au Comité central [toujours aussi précis, ces journaux!!!]. Elle déclara que ce Comité, qui s’était donné pour mission d’attiser les passions révolutionnaires, armait les femmes décidées à combattre et leur enseignait le maniement du fusil. Les exercices avaient lieu tous les jours dans la cour de la mairie.
Plus tard, c’était le comité central féminin [le journaliste est lancé, rien ne peut plus l’arrêter] qui enrôlait les pétroleuses, leur distribuait les substances incendiaires et explosibles, indiquant à chacune d’elles la tâche qui lui était réservée et le lieu où elle devait l’accomplir.
La femme Nathalie Duval est depuis longtemps séparée de son mari, industriel aussi honnête qu’habile dans sa profession et jouissant de la considération générale [on se demande bien pourquoi elle l’a quitté!].
Elle a été mise à la disposition de la justice. 

C’est le 21 juin que Nathalie Lemel — elle avait quitté son mari mais elle portait toujours son nom, c’est celui sous lequel elle est connue, mais bon sang, laissons les gens choisir comment ils souhaitent qu’on les appelle!!! — a été arrêtée. Ses préparatifs macabres datent donc d’aujourd’hui 20 juin.