Jean-François Robinet… je ne l’ai pratiquement jamais nommé sur ce site. Pourtant…
Il est médecin, exerce rue Saint-Placide, dans le sixième. Il a été maire de cet arrondissement après le 4 septembre. Après la capitulation de Bazaine, avec son adjoint André Rousselle (un avocat, que nous avons vu au « troisième procès » de l’Internationale, et plus récemment défenseur d’Urbain puis de Marie Leroy) et le Comité républicain de l’arrondissement, il a « sommé » par affiches le gouvernement de supprimer tous les généraux bonapartistes, de faire quelque chose pour défendre Paris, et sinon de démissionner, au plus tard le 5 novembre… Vous comprenez que c’était en même temps que l’insurrection du 31 octobre… Malgré la réaction (réactionnaire, si vous me permettez cette répétition) qui a suivi, il a été élu adjoint au maire du sixième en novembre, et est redevenu maire quand Hérisson (le maire élu) est devenu adjoint de Jules Ferry à la mairie de Paris. Il a été candidat aux élections de février 1871 sur la liste soutenue par le Comité central (juste derrière Eugène Varlin) et n’a pas été élu (non plus). Il a été élu à la Commune le 26 mars (avec 300 voix de plus qu’Eugène Varlin), mais il en a démissionné dès le 30 mars. Ici j’ajoute que sa lettre de démission a disparu (comme on le lit dans les Procès-verbaux de la Commune), et qu’il n’est pas vrai, contrairement à ce que j’ai lu (en juillet 2021) dans la notice du Maitron, que « le Journal officiel de la Commune du 2 avril publiait le discours dans lequel il s’en expliquait, mettant en cause sa mauvaise santé ». Par contre, il est vrai qu’il mentionne cette mauvaise santé dans une courte lettre adressée à Rochefort et publiée par Le Mot d’ordre le 12 avril.

Comme je l’avais annoncé, je reviens au premier numéro du Radical de Jules Mottu, le 15 octobre. Voici l’article du Docteur Robinet, sous le titre « Au moins les enfants et les femmes! »:

Parmi les mesures de rigueur adoptées contre Paris, il en est une particulièrement douloureuse et sensible à ceux qui croient que la politique ne doit pas être inflexiblement fermée à la morale, à la justice, à la pitié.
Après les exécutions sommaires, après les incarcérations et les transportations qui ont fait dans la masse du peuple parisien les vides effrayants révélés par l’enquête municipale [précisée ci-dessous], après les souffrances qu’endurent depuis quatre mois, dans les cachots et sur les pontons, des milliers de nos frères, de tous âges et de toutes conditions, enfants, hommes, vieillards, ouvriers, ingénieurs, commerçants, médecins, artistes, etc., on pouvait croire que rien de plus ne restait à déplorer!… Et cependant il y a pis encore.
Quand le sang eut coulé, que les hommes furent pris ou dispersés, des femmes et des jeunes filles, par centaines, furent arrachées à leurs foyers et jetées dans les prisons. Parmi les premières, quelques-unes venaient de mettre au jour des enfants qui furent traînés avec elles en captivité, d’autres étaient sur le point de devenir mères. — Rien n’arrêta les vainqueurs. — Et les lieux de détention se peuplèrent aussi de nouveaux-nés…
Le crime de ces citoyennes était, le plu souvent, d’avoir refusé de livrer un fils, un époux ou un père, de s’être montrées républicaines, d’avoir été au club, ou d’avoir partagé la foi de leurs maris! — Toutes celles qui les avaient suivis au combat, avaient trouvé la mort auprès d’eux. — Quant aux autres, Saint-Lazare [la prison pour femmes, pas la gare…] fut leur première étape, puis Versailles, puis les prisons départementales: Villers-Cotterets, Clermont, Beauvais, où l’on créa pour elles les divisions de détenues politiques.
Le plus grand nombre n’a rien à sa charge, ni présomption de crimes, ni énonciation de délits, rien! Elles n’ont encore vu ni le magistrat, ni le juge (il faut dire le capitaine instructeur!). Et voilà quatre mois accomplis qu’elles se consument dans le dénuement et le chagrin, loin de leurs enfants, de leurs parents, de leurs amis, oubliées de leurs concitoyens, abandonnées de la société, laissées hors du droit, déchirées par toutes les douleurs…
Nous connaissons plusieurs de ces infortunées: personnes douces, délicatement élevées, absolument inoffensives et étrangères à la vie publique. L’une d’elles venait d’accoucher lorsqu’on l’arracha de son lit pour la conduire en prison avec son nouveau-né. Le père était traqué, en fuite, on ne sait où; un autre enfant, petite créature blonde de trois années à peine, fut recueilli par des membres de la famille. Frappé au fond de l’être par tant de secousses et de bouleversements, par les envahissements et les perquisitions de la force publique, par les cris de sa mère, par la perte de ses parents, il devint triste, taciturne, inquiet. Une méningite ne tarda point à le prendre et il mourut dans un accès d’effroi, sans avoir à son chevet ceux qui avaient coutume de lui sourire et de le bercer…

Paris! Paris! qu’il en coûte pour établir la liberté, et de quelles indescriptibles douleurs tu es assailli…
Il y a dans ces agissements, dans cet arbitraire glacial, dans ce mépris de la nature humaine en ce qu’elle a de plus délicat et de plus touchant, l’enfance et la maternité, le symptôme le plus effrayant peut-être qu’ait mis à la surface de choses le bouleversement terrible qui vient de nous ébranler. Car un pays qui applique aux femmes et aux petits enfants les fureurs de la lutte politique, qui ne distingue pas entre l’âge et le sexe pour exercer la vindicte des partis, qui suspend indéfiniment les lois civiles pour faire régner la force des armes, qui fait de la détention préventive (et quelle détention!) un régime légal, qui applaudit, enfin, ou reste indifférent à de tels oublis de la justice et de l’humanité, ce pays est hors du bien et du vrai; il s’éloigne de la civilisation, il renie le progrès et se met sous le coup de ses châtiments terribles que la fatalité des droits naturelles et l’enchaînement des faits, que d’autres appellent la justice de Dieu, appesantissent sur le nations qui en viennent à méconnaître les fondements même de la sociabilité.

Mais ce n’est point seulement à ces considérations qu’il faut s’arrêter.
Il y a des centaines de femmes (n’y en ait-il eu qu’une seule!) qui attendent en vain depuis quatre mois, dans les angoisses du corps et de l’âme, qu’on veuille les juger! — que justice leur soit faite! — il ne s’agit pas de grâce, mais de droit.
Et vous, dames de Paris et de France, que le hasard des conditions a mises à l’abri de semblables rigueurs, ne pouvez-vous distraire quelques instants de vos plaisirs, de vos devoirs, de votre liberté, pour songer à ces sœurs éprouvées, et joindre vos prières et vos larmes pour demander qu’elles nous soient rendues? Songez à leurs foyers déserts, à leurs demeures abandonnées, à ces petits êtres qu’elles portent à leur sein et qui ne respirent l’air de la patrie qu’à travers les barreaux d’un cachot! Unissez-vous, nous vous en conjurons, et que ce cri: Pitié, justice! sortant de vos poitrines, aille ébranler les portes de leurs prisons.

Dr Robinet

Livre cité

Situation industrielle et commerciale de Paris en octobre 1871, Rapport de l’enquête faite par une fraction du Conseil municipal, Librairie des bibliophiles (1871).

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J’ai copié la photographie du Dr Robinet sur sa fiche dans le Maitron, avec toutes mes excuses pour la mauvaise qualité de l’image.