Plus de trente et un ans ont passé depuis la Semaine sanglante. Comme l’a écrit Camille Pelletan dans La Semaine de Mai, jamais le général Galliffet n’a contesté les prouesses que la presse (en particulier anglaise) a racontées avec quelques détails, comme ce récit, fait par un jeune Anglais qui se retrouva dans une colonne de prisonniers emmenés à Versailles (MacMillan’s Magazine, octobre 1871):

Nous éprouvâmes une véritable joie lorsque, dans l’avenue de l’Impératrice, l’ordre de faire halte fut donné.
Là, fatigués, les pieds ensanglantés, beaucoup tombaient sur le sol, attendant la mort qui, nous en étions convaincus, devait être proche…
Je passai plus d’une heure en proie à mes réflexions découragées, jusqu’à ce qu’un « levez-vous tous » vînt rompre le cours de mes tristes méditations.
Nous nous levâmes et reprîmes nos rangs.
À ce moment, le général marquis de Galliffet passait lentement devant nous, escorté par plusieurs officiers. Il s’arrêtait ici et là, faisant un choix parmi nous, prenant de préférence les vieillards et les blessés; il ordonna de les faire sortir de nos rangs.
— Sors des rangs, toi, vieux coquin! Et toi, par ici, tu es blessé; eh bien! nous te soignerons, disait-il vivement et d’un ton décisif. (Les paroles de M. de Galliffet sont en français dans le texte anglais.)
Un jeune homme de la file voisine qui agitait un papier, appela le général. « Mon général je suis Américain, voilà mon passeport; je suis innocent. »
— Tais-toi, nous avons bien assez d’étrangers et de canailles ici ; il faut nous en débarrasser, dit le général en continuant sa route.
[…]
Nous ne tardâmes pas à être éclairés sur le sort de ceux qui avaient été extraits de nos rangs par le général de Galliffet à notre dernière halte. Ils furent tous fusillés sous nos yeux, les vieillards et les blessés ensemble, au nombre de plus de quatre-vingts, je crois. 

Et ce récit, dans la presse française, le 30 mai 1871:

À la porte Dauphine il y a un arrêt général. On voit alors arriver M. Galliffet et un aide-de-camp. Il passe à travers la foule des prisonniers, parmi les femmes habillées en hommes, parmi les vivandières de la Commune, et ordonne un triage préalable avant de passer le rempart.
[…]
Quatre-vingts prisonniers de toute espèce, principalement soldats de toutes armes, lignards, artilleurs, zouaves, sont mis à part. On dit qu’ils vont être fusillés. On les emmène sut la droite du rempart. Vingt soldats de la ligne sont invités à remettre leurs capotes à l’endroit. Ils s’en vont aux applaudissements de la foule.
Le reste du convoi continue sa route sur Versailles. 

Ou celui-ci, dans Le Tricolore du 31 mai:

Dimanche matin, sur plus de 2,000 fédérés, cent onze ont été fusillés dans les fossés de Passy, et ce, dans des circonstances qui démontrent que la victoire était entrée dans toute la maturité de la situation:
— Que ceux qui ont des cheveux blancs sortent des rangs, dit le général de Galliffet, qui présidait à l’exécution : et le nombre des fédérés à tête blanche monta à cent onze.
Pour eux, la circonstance aggravante était d’être contemporains de 1848. 

Ou cet autre, La Constitution politique et sociale, 31 mai:

Un de nos reporters a vu fusiller dimanche, dans les fossés de Passy, cent onze fédérés. C’est le général de Galliffet qui présidait à ces exécutions. Ils étaient plus de deux mille insurgés. Le général fit sortir des rangs tous ceux qui avaient des cheveux blancs : ce sont ces derniers qui ont été passés par les armes. « Vous, leur disait-il, vous avez vu les journées de juin 1848, et vous êtes plus coupables que les autres. »

Et cette déclaration signée par des habitants de Passy (citée par Camille Pelletan):

Nous nous sommes arrêtés au château de la Muette, où le général de Galliffet, après être descendu de cheval, est passé dans nos rangs, et là, faisant un choix et désignant à la troupe quatre-vingt-trois hommes et femmes, ils furent amenés le long des talus et fusillés devant nous. Après cet exploit, le général nous dit: « Je me nomme Galliffet. Vos journaux de Paris m’ont assez raillé, je prends ma revanche.

Je vous renvoie à La Semaine de Mai (dont une nouvelle édition va enfin paraître bientôt) pour d’autres informations. À ma connaissance, la seule réaction publique du marquis aux talons rouges est parue en 1902 dans le Journal des Débats, qui publiait des extraits du « Journal » de Galliffet, si concis sur la Semaine sanglante que l’auteur lui-même ajouta, dans le numéro du 25 juillet:

Si vous voulez compléter votre instruction, lire la publication du sieur « Camille », surnommé le Père Loriquet [jésuite auteur de livres d’histoires dans lesquels « l’esprit de parti a à dessein altéré la vérité historique »] de l’Histoire de la Commune, pour l’avoir expurgée de tous ses crimes et les avoir mis au compte des versaillais.
Histoire publiée sous le patronage des francs-maçons.

— ce qui est bien loin d’être un démenti, au contraire!

Et pourtant, quelques semaines plus tard… le même Journal des Débats publie une lettre de Galliffet dont voici l’essentiel:

Je donne un démenti formel au récit (que vous me citez), publié par le journal la Petite République socialiste. Je donne un démenti, tout aussi formel, à tous les récits qui sont, de puis trente ans, colportés par les glorificateurs de la Commune.

Mais que s’était-il donc passé? Eh bien, en effet la Petite République (socialiste) du 3 septembre avait publié un article intitulé « Galliffet » et signé de notre vieil ami Amilcare Cipriani.

suite de ce court feuilleton dans le prochain article

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J’ai déjà publié le dessin de Steinlen dans un article plus ancien.

Livre cité

Pelletan (Camille)La Semaine de mai, Maurice Dreyfous (1880).