Dans le premier article que j’ai publié dans la série « Louise Michel » de décembre-janvier derniers, j’ai mentionné, parmi les femmes qui défendaient Paris contre la guerre civile versaillaise, une « Madame Rochebrune ». Son nom apparaissait en effet, près de celui de Louise Michel, dans la presse communarde.

Je m’étais aussi énervée contre l’article du Maitron en ligne, que j’avais consulté en août 2021, et qui disait:

ROCHEBRUNE (femme)
Communarde
Fusil à la main, elle s’efforça de venger son mari, tué au service de la Commune de Paris.

Je l’ai reconsulté en écrivant cet article, rien n’y avait changé. J’ai fait une copie d’écran (en couverture de cet article). La source de cette non-information est, je suppose, le journal La Commune du 8 avril 1871 (et pas 12-13 avril, comme on le lit dans le Maitron), dans lequel on lit:

Il y a deux jours, à Fleury, le 192e bataillon a perdu quinze hommes.
Non loin de lui combattait, le chassepot en main, la veuve du colonel Rochebrune.
— Je veux venger mon mari, disait-elle, que ces lâches ont assassiné!

(Juste avant un articulet sur Marguerite Lachaise.)

Cette notice a été reprise telle quelle par le Petit dictionnaire des femmes de la Commune, qui a gardé le (fautif) « 12 avril » de la source du Maitron et y a modifié le nom du journal en « JO » (non, il n’y a rien dans le Journal officiel).

Ne nous énervons pas, depuis que je travaille sur la Commune, je passe les deux tiers de mon temps à des âneries de cette sorte.

Il y a certes eu un colonel Rochebrune, François Rochebrün, qui a été tué à Buzenval, le 19 janvier 1871, une bataille contre l’armée prussienne. Peut-on dire que les lâches versaillais l’ont assassiné? Sans doute pas. Comme je l’avais écrit dans l’article du 17 décembre, il y a une épouse dans l’acte de décès de Rochebrune, et elle s’appelle Françoise Joséphine Godebska.

Voulez-vous que j’ajoute un peu de confusion à cette histoire? Trois petites informations:

La première. Elle est dans le Moniteur de la guerre du 14 avril:

La veuve du colonel de Rochebrune assistait, au dire de certains journaux, au combat de Fleury, un chassepot à la main.
Mme de Rochebrune écrit à son cousin à Paris pour le prier de démentir ce fait.
Ce que nous nous empressons de faire.

Elle est confirmée dans Le Rappel du 22 avril:

En réponse à un fait publié par plusieurs journaux, le citoyen Labarre, ancien officier d’ordonnance du colonel Rochebrune, nous prie de dire qu’ « aucune Mme Rochebrune, parente de près ni de loin da colonel, n’a pris part aux combats qui se sont livrés autour de Paris ».

La deuxième. Encore plus sensationnelle. Le Rappel du 20 avril:

Hier, dans l’après-midi, M. Rochebrune, chef d’état-major du vaillant commandant mort au combat de Buzanval, le 19 janvier, a été arrêté.
Il avait refusé de reconnaître l’autorité de la Commune, comme commandant d’un bataillon du 2e arrondissement.

C’est peu clair: qui est le vaillant commandant? On sent la coquille, non? Mais voici Le Siècle du 20 avril:

On nous annonce que M. Rochebrune, commandant du 6e bataillon, qui s’est brillamment conduit à Montretout, et dont le frère a été tué le 19 janvier, a été arrêté dans la journée, ainsi que plusieurs officiers du même bataillon.

… ce qui est repris par de nombreux journaux. Hélas, François Rochebrün est bien mort.

La troisième. Plus délicate. Elle vient de l’état civil, tout simplement, et elle m’a été donnée par Maxime Jourdan (à l’occasion, toujours, de mon article du 17 décembre 2021). J’avais signalé que Rochebrün n’était peut-être pas marié. C’était à cause d’une mention marginale dans son acte de décès. Et en effet,  un jugement du 21 octobre 1871 (transcrit le 17 janvier 1872 dans le registre des décès du 2e arrondissement) a rectifié l’acte de décès de François Rochebrün, qui comportait deux erreurs, l’une sur son nom (que l’on doit orthographier comme ce qui précède), l’autre sur le fait que Françoise Godebska était certainement une amie proche de François Rochebrün, puisqu’en effet il l’avait instituée sa légataire universelle (le 7 septembre 1870), mais qu’elle n’était pas son épouse puisqu’elle était celle de Jean Choralibog…

Ce qui ne nous dit pas qui était cette « Mme Rochebrune » qui se battait contre les versaillais… ni même s’il y en a eu une!