Comme annoncé dans le dernier article sur mai 1885, voici trois articles d’information sur Jules Favre.
L’avocat Jules Favre s’est fait une réputation de républicain et d’homme de gauche dès 1835, en défendant, au cours de ce qu’on a appelé « le procès monstre », les insurgés lyonnais de 1834. Avant les coups de gueule de Maxime Lisbonne, nous l’avions rencontré sur ce site comme ministre du gouvernement de la Défense nationale, et ses activités n’ont certainement pas entraîné une admiration éperdue de notre part.
Entre les deux, 1835 et 1870, il s’est passé pas mal de choses… Mon attention a aussi été attirée par Jules Favre en lisant dans la presse les comptes rendus du procès (31 janvier et 1er février 1839) du féminicide (terme anachronique mais adapté) André Chazal, qui avait tiré un coup de pistolet à bout portant sur son épouse, Flora Tristan. De celle-ci je reparlerai certainement. Pour aujourd’hui, disons que Jules Favre a défendu l’accusé… en accusant la victime d’être responsable de l’attentat, et il a mis en cause sa supposée immoralité et sa propagande en faveur de la bigamie… Cette bigamie fantasmée m’a ramenée à 1871, à l’assassinat de Millière (voir ce très vieil article ainsi que ceux, plus récents, consacrés à Louise Millière — celui-ci et les suivants), à l’arbitraire des arrestations et emprisonnements à Versailles, etc., etc.
Flora Tristan, séparée de son mari mais pas divorcée (de 1816 à 1884, en France, on ne divorce pas), dont Jules Favre a méchamment et fielleusement insinué qu’elle était la maîtresse de l’avoué qui avait défendu sa demande de séparation, ne pouvait que m’évoquer une autre femme…
Celle-ci s’appelait Jeanne Charmont. Née en 1811, elle était mariée avec Louis Adolphe Vernier, ils avaient travaillé ensemble comme marchands de drap, ils avaient une fille, Berthe, née le 6 mars 1839… Pas très longtemps après le procès de Chazal, elle fit appel à un avocat pour la défendre dans la demande de séparation de corps de son mari. Je ne sais pas si elle connaissait déjà Jules Favre et, si non, comment elle l’a choisi. Ils ont fait connaissance assez vite et assez bien pour que, le 25 novembre 1845, il se rende à la mairie du Ier arrondissement (ancien) pour y déclarer la naissance d’une fille de Jeanne Charmont trois jours plus tôt. Malgré les trois jours de réflexion, malgré sa connaissance du droit, il fit là une erreur: il savait bien que l’enfant n’était pas la fille d’Adolphe Vernier et il la déclara
de père non dénommé
alors que, fille d’une femme mariée, elle était légalement fille du mari (c’était comme ça…).
C’est une erreur, et c’est déjà presque un faux. Quatre ans plus tard, il avait un peu appris lorsqu’il alla déclarer la naissance d’un fils, à Sceaux cette fois,
de lui déclarant et de Mademoiselle Jeanne Charmont, …, non mariés.
Là, c’était vraiment un mensonge. Et ça ne fit qu’empirer lorsque, en 1855, il alla déclarer un troisième enfant,
fille de Claude Gabriel Jules Favre, propriétaire, âgé de 46 ans, et de Jeanne Charmont, son épouse, propriétaire, âgée de 44 ans, …, mariés à Dijon (Côte d’Or)
Non, ils n’étaient pas mariés, d’ailleurs Adolphe Vernier était toujours vivant. C’était un vrai faux. Trois ans plus tard, il est allé reconnaître sa première fille, celle qui était « de père non dénommé », âgée de 13 ans.
Et puis, il l’a mariée. C’était le 17 juillet 1867 et dans le VIIIe arrondissement. Elle avait 22 ans. Je note, et ce sera une des dernières données privées de cette histoire, dans l’identité de la mariée, cette information incroyable:
Jeanne Gabrielle Marie Cécile Favre, sans profession, née à Paris, le 22 novembre mil huit cent quarante cinq, y demeurant avec son père, rue d’Amsterdam 87, fille majeure de Claude Gabriel Jules Favre, avocat, membre du Corps Législatif et de l’Académie française [le grand homme ne se déclare plus simple « propriétaire »], âgé de cinquante sept ans, présent et consentant, et de Jeanne Charmont [on ne la qualifie plus], dont l’existence est ignorée.
Je suppose qu’il s’agissait d’éviter de faire trop de faux sur l’acte de mariage de la jeune femme. Mais quand même… Dont l’existence est ignorée… D’accord, dans les actes précédents, elle n’était pas présente, mais au moins, elle faisait les enfants.
Elle n’était pourtant pas morte. Pas encore. Voici un faire-part:
Vous êtes prié d’assister aux convoi, service et enterrement de madame Jules Favre, décédée à Rueil le 10 juin 1870, dans sa cinquante-huitième année, qui auront lieu le mercredi 15 courant, à dix heures très précises, en l’église de Rueil. On se réunira à la maison mortuaire. — De profundis.
De la part de M. Jules Favre, etc., etc.
Ce qui donne envie d’aller voir l’acte de décès.
Du onze juin mil huit cent soixante dix à neuf heures du matin. Acte de décès de Jeanne Charmont, sans profession, âgée de cinquante huit ans, née à Vérizey (Saône et Loire) décédée à Rueil en son domicile boulevard Saint-Cloud numéro trois, hier à quatre heures du soir, épouse de A. Vernier, employé, domicilié en Algérie…
Je vous passe la suite. Les déclarants sont un gendre et un neveu de Jeanne Charmont. Jules Favre n’apparaît pas sur cet acte. Ce qui explique peut-être que ce soit le premier acte sans mensonge que nous voyons… À part cet acte, toutes les informations contenues dans cet article viennent tout droit du Vengeur daté du 8 février 1871. Et la couverture aussi!
Article signé de Jean-Baptiste Millière.
Dont il sera question dans l’article suivant.