Les informations contenues dans l’article précédent sont dues, je l’ai dit, à Jean-Baptiste Millière.

Qui ne s’attaquait pas à un confrère — comme avocat et bientôt comme député de Paris, l’article du Vengeur est paru le 8 février, jour des élections à l’Assemblée — mais bien au ministre, vice-président du gouvernement de la Défense nationale, auteur d’un communiqué affiché le 3 novembre 1870, reproduit ci-dessus (j’ai trouvé l’affiche au Musée Carnvalet). Rappelez-vous, le 3 novembre, c’est juste après le 31 octobre et on en est au plébiscite. Comme l’écrit Millière (toujours Le Vengeur du 8 février 1871):

Monsieur Jules Favre
Des affiches que vous avez fait placarder sur les murs de Paris, et des articles que vous avez insérés dans le Journal Officiel, après la journée du 31 octobre, il résultait évidemment, pour tout le monde, que l’un des accusés de cet attentat était un faussaire, que vous le connaissiez, et que l’instruction démontrerait sa culpabilité; puis, quand cette manœuvre publicitaire eut produit ses effets, vous avez cru vous en débarrasser au moyen d’une ordonnance de non-lieu.
Je vous l’ai dit, Monsieur, cela ne peut pas se terminer ainsi.
[…] vous avez essayé de soulever contre nous l’indignation publique, en nous dénonçant officiellement comme des faussaires et des voleurs.

etc. En février 1871, il n’y avait pas que les élections. On jugeait « le 31 octobre » (voir les articles du 23 et du 24 février et celui du 10 mars).

Millière s’attaquait donc à Jules Favre. Je n’ai pas tout dit de ces accusations. Le statut des enfants « naturels » vis à vis des questions d’héritage était très précaire et l’on peut comprendre que cela ait préoccupé les parents. Il y avait justement une question d’héritage dans cette affaire, et Millière l’a soulevée aussi. Un ami de Jules Favre, Alphonse Odiot, avait fait des quatre enfants de Jeanne Charmont (qu’il appelle, dans son testament, « Madame Julie », je vais y revenir) ses légataires universels. De crainte d’être accusé de captation d’héritage, Jules Favre avait négocié avec la famille Odiot et « accepté » « seulement » la moitié… Noter qu’Alphonse Odiot était un des témoins qui ont signé l’acte de naissance le plus faux, celui de la petite dernière, sur lequel les parents sont dits mariés (n’hésitez pas à aller voir l’article précédent).

Mais revenons à 1871. Le 8 février, c’est aussi peu de temps avant la Commune — qui n’a pas duré longtemps, comme nous savons.

Jules Favre est ministre des affaires étrangères dans le gouvernement qui envoie ses troupes massacrer Paris. Jean-Baptiste Millière est un journaliste et avocat qui est brutalement (et spectaculairement) assassiné pendant la Semaine sanglante.

Tant de Parisiens ont été exécutés sans raison que je me suis toujours refusée à formuler la question

pourquoi lui?

Quand j’ai préparé l’édition de La semaine de Mai, livre dans lequel Camille Pelletan a consacré pas moins de 17 pages à Jean-Baptiste Millière et à son assassinat, je me suis étonnée que l’auteur n’ait absolument pas mentionné Jules Favre… Mais d’autres l’ont fait. Maxime Lisbonne, par exemple, dans son journal L’Ami du peuple, daté du 23 mai 1885. Sous le titre explicite

L’Assassinat de Millière
par
Jules Favre & Garcin

il publiait une image — d’invention, peut-être même allégorique — sur laquelle on voyait Jules Favre et Garcin sur les marches du Panthéon, au-dessus du corps de Millière, image que j’ai reproduite il y a peu

*

Mais ce n’est pas tout, il semble qu’une autre personne qui s’est mêlée des faux familiaux de Jules Favre ait aussi été victime de la répression versaillaise.

Ce que nous verrons dans le prochain article.

En attendant, je reviens à Jeanne Charmont, « femme invisible » de cette histoire. J’ai évoqué dans plusieurs articles récents (celui-ci et les deux suivants) cette femme courageuse que fut Louise Millière. J’ai commencé l’article précédent sous le signe de Flora Tristan (qui ça?). Jeanne Charmont semble avoir été encore d’un tempérament différent — puisque Jules Favre était tombé amoureux d’elle (si, si). Très effacée, au point, nous l’avons vu, que son existence est ignorée (à défaut d’être niée) sur l’acte de mariage d’une de ses filles, tellement inexistante qu’on la désigne comme « Madame Julie », ce qui n’est même pas son prénom mais une sorte de double féminin de celui de son homme — qui est d’ailleurs aussi celui de leur fils. On ne peut s’empêcher de remarquer que, lorsque Jules Favre s’est marié, plus tard, il l’a fait avec une femme prénommée Julie (et moins inexistante).

Trêve de bavardage et… à suivre!