Suite de l’article précédent

Élue le 26 mars, la Commune est proclamée le 28, se réunit une première fois le soir-même et deux fois le lendemain. C’est au cours de la deuxième séance du 29 mars que le décret sur les loyers a été voté. C’est très exactement le deuxième décret de la Commune (le premier abolit la conscription). Vous pouvez le lire sur l’affiche qui sert de couverture à cet article (et que j’ai déjà utilisée là). Je passe la parole à Arthur Arnould, qui raconte:

Il était inique et révoltant qu’à la suite d’un long siège qui avait suspendu les transactions, supprimé le travail, ruiné en partie le commerce, les propriétaires vinssent exiger le paiement de leurs loyers, de telle sorte qu’eux seuls n’eussent point à souffrir d’une calamité nationale qui avait porté atteinte à tous les intérêts matériels.
Aussi tout le monde était d’accord à la Commune pour faire remise de leurs loyers aux locataires, et pour faire supporter à la propriété sa quote-part des souffrances générales.
Mais, à côté du principe absolu, il y avait à tenir compte de certaines considérations.
Tous les individus n’avaient pas également souffert du siège. Quelques-uns même en avaient profité pour élever, sur la misère publique, leur fortune privée.

Il dit que onze membres dont il donne la liste (Frankel, Arnould, J.-B. Clément, Dereure, Vaillant, Arnaud, Descamps, E. Langevin, Clémence, E. Gérardin, Babick) ont proposé, le lendemain (le surlendemain 31 mars, en fait), une résolution qui, selon eux, était le correctif nécessaire.

La Commune de Paris,
Considérant qu’il y a des commerçants et industriels qui, pendant le siège, ont exercé une industrie rémunératrice;
Considérant qu’il y a des fonctionnaires et rentiers qui, pendant le siège, ont joui des mêmes revenus qu’en temps ordinaire;
Décrète:
Article unique.
Tous les citoyens ayant joui de leurs revenus ordinaires pendant l’état de siège sont tenus de verser le montant de leurs loyers dans les caisses municipales.
Un jury sera nommé dans chaque arrondissement pour rechercher ceux qui se trouvent dans cette situation.

Parent, puis Varlin argumentent que le décret a été voté et la Commune ne vote pas cette résolution. Pourtant, il est bien possible que le texte du décret n’ait pas été très clair. Par exemple, à l’approche du terme d’avril, dans le Journal officiel du 5 avril, l’administrateur délégué à la mairie du neuvième publiait d’assez longues explications, que je résume: les locataires sont bien exonérés des trois termes précédents, ils peuvent décider de résilier leur bail à partir du 1er octobre, mais ils ne peuvent pas déménager sans payer, quant aux nouveaux logements où ils voudraient emménager, ils doivent s’assurer qu’ils sont vraiment libres. D’ailleurs, toujours dans le Journal officiel, deux jours plus tard, on pouvait lire:

Depuis dimanche [le 2 avril], un grand nombre de locataires ont mis à exécution le décret de la Commune sur les loyers, en déménageant sans payer.
Quand par hasard quelque concierge récalcitrant [c’était souvent le concierge qui recevait les loyers] tentait de s’opposer à cette façon jusqu’ici méconnue de lui, de prendre congé de son propriétaire, un détachement de gardes nationaux aussitôt requis ne tardait pas à lui rappeler et à lui expliquer le texte du décret en question.
Ce ne sont pas seulement des petits ménages qui ont profité de la décision de la Commune, mais bien aussi des locataires de grands appartements.
On nous cite un habitant de la rue Tronchet qui ne devait pas moins de 10,000 francs à son propriétaire et qui, dimanche, a liquidé la situation de la façon que nous venons d’indiquer.

Et, toujours selon la même source, le 16 mai, au cours de la réunion du club Nicolas-des-Champs, les six mille (cela me semble beaucoup) participants ont voté à l’unanimité une série de mesures, dont celle-ci:

Tous les propriétaires ou leurs représentants doivent délivrer dans les vingt-quatre heures quittance des termes échus, des termes de juillet et d’octobre prochain.
Remise entière est faite aux locataires dont le loyer est inférieur à 500 fr.; au-dessus de cette somme, remise d’un tiers.

Une décision dont on ne voit pas très bien qui va faire en sorte qu’elle s’applique.

Et après? D’après Danièle Voldman, la loi votée à Versailles le 21 avril 1871, selon laquelle les locataires devaient prouver que les événements les avaient vraiment empêchés de payer (en général parce qu’ils n’avaient pu travailler), appliquée après la Semaine sanglante, a provoqué un afflux de demandes… qui se sont majoritairement conclues en faveur des locataires.

Livres et article cités

Arnould (Arthur)Histoire populaire et parlementaire de la Commune de Paris, Bruxelles, Librairie socialiste Henri Kistemaeckers (1878), — réédition avec une préface de Bernard Noël, Paris, Klincksieck (2018).

Bourgin (Georges) et Henriot (Gabriel)Procès verbaux de la Commune de Paris de 1871, édition critique, E. Leroux (1924) et A. Lahure (1945).

Voldman (Danièle), « Le moratoire des loyers, mesure de circonstance ou utopie sociale? », in La Commune de 1871 Une relecture, sous la direction de Marc César et Laure Godineau, Créaphis (2019).